Quatre ans de prison ferme et le bénéfice du doute pour Pierre Riga, à l’issue d’un procès exceptionnel où deux familles se sont fait face avec dignité
Coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le verdict du jury populaire de la cour d’assises du Brabant wallon est tombé, dans la soirée du 21 mai, après quatre longues heures de délibération. Condamné le lendemain à cinq ans de prison dont un avec sursis, Pierre Riga n’a toutefois pas été reconnu coupable de meurtre, comme l’espéraient les parties civiles, à savoir les parents et les amis de Nicolas. Soulagement chez les uns, déception chez les autres. La décision souveraine des douze jurés a sans doute un goût de compromis. Ceux-ci ont eu beaucoup de mal, semble-t-il, à trancher. Et c’est le doute qui a finalement pesé, de manière déterminante, sur leur choix.
Pierre Riga a-t-il voulu tuer lorsqu’il a appuyé sur la détente de son fusil de chasse Merkel calibre 20 en direction de Nicolas Vander Stukken qui tentait de fuir, entraînant la mort du jeune homme de 18 ans ? La question a hanté les esprits durant toute la durée du procès, à Nivelles. Les avocats de l’accusé ont défendu la thèse de l’accident. Les conseils des parties civiles et le ministère public celle du meurtre. Le jury a choisi la voie médiane.
Une décision visiblement embarrassée. Mais compréhensible, tant la notion d’intention homicide, sur laquelle les avocats ont interminablement glosé, est subtile. En effet, il s’agissait, ici, de juger une pensée davantage qu’un acte.
Pour Me Anne Krywin, qui représentait les parents Vander Stukken, l’intention de tuer a bel et bien existé dans l’esprit de l’accusé, au moment où Nicolas s’est encouru: « Pierre Riga avait averti les jeunes qu’il tenait en joue: « Ne bougez pas, sinon je tire ! » » a rappelé l’avocate bruxelloise, dans sa plaidoirie. « Riga n’était pas mort de peur, mais fou de rage, lorsqu’il est descendu avec son fusil vers l’étang où se trouvaient les quatre jeunes, a également souligné Me Thierry Moreau, pour les parties civiles. Il a voulu faire la loi lui-même. »
Pour la défense, Me Jean-Philippe Mayence a, lui, tenté de démontrer que l’intention de tuer résulte d’une volonté consciente, libre et définitive. « Or, ici, l’auteur du coup de feu n’a jamais souhaité la conséquence de son geste, c’est-à-dire la mort de Nicolas, a soutenu l’avocat du barreau de Charleroi. En effet, a-t-on déjà vu un meurtrier aussi catastrophé par ce qui vient de se produire ? » Enfin, Me Marc Preumont, également conseil de Riga, a laconiquement résumé le raisonnement qui aura, somme toute, emporté la décision du jury : « Il n’est pas possible d’affirmer qu’il y a eu intention de tuer, ne fût-ce que parce qu’il y a controverse sur ce point. » Controverse et, donc, doute.
Procès exceptionnel ? Justice nuancée ? Certes. Mais on ne peut malgré tout s’empêcher de penser que ce sont la notabilité de l’accusé, la qualité de ses défenseurs et même la médiatisation dont le procès a bénéficié qui ont, avant tout, permis aux débats de se révéler remarquables. Lors de son réquisitoire, l’avocat général Pierre Rans a d’ailleurs comparé cette affaire avec celle, moins connue, d’un certain Mohammed qui, lui, a été condamné pour meurtre alors qu’il avait tiré sur son agresseur dans un réflexe de défense pour sa famille… Pour qu’il n’y ait plus de soupçon de justice de classe, il faudrait que la justice offre la même « classe » à tous les justiciables.
Au-delà du verdict et de la qualité des débats autour de l’intention de tuer, ce qu’on retiendra de ce procès mémorable, c’est également le face-à-face entre deux familles. Ou, autrement dit, la confrontation entre deux mondes très différents que séparent non seulement un « maudit » fusil de chasse (selon les termes de l’accusé lui-même), mais aussi, et peut-être surtout, un manque de paroles. Un fossé d’incompréhension. D' »incommunicabilité », a très justement dit l’avocat général.
D’un côté du fusil, au bout du canon: Nicolas, ses trois compagnons de vadrouille, mais également ses parents, son jeune frère David, sa petite amie Vanessa, ses nombreux copains. De l’autre côté de l’arme, celui de la crosse: Pierre Riga, et, derrière lui, sa femme Béatrice, son père André, son « clan » si solidaire.
Le contraste entre les deux familles s’est essentiellement révélé lors de l’audition des parents et des témoins de moralité. Nicolas a été dépeint comme un jeune homme affectueux, câlin, enthousiaste, extraverti, gai, sensible. Il était le « psy », le « coeur » de son groupe d’amis. Il aimait la douceur des fleurs – qu’il étudiait – et était amoureux de la vie. A l’opposé, c’est par ses qualités de travailleur que le pater familias André Riga a d’abord décrit son fils. Pierre est perçu par ses proches comme un homme droit, honnête, courageux, sérieux, respectueux de ses engagements familiaux. Un vrai « gentleman ». « Je me souviens très bien du jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, a raconté Béatrice, son épouse. C’était le jour du mariage de la princesse Astrid ! »
Dans ce déshabillage psychologique impudique auquel un procès d’assises soumet généralement l’accusé et la victime, c’est la mise à nu de Pierre Riga et de son entourage qui a, sans doute, le plus captivé l’assistance. « J’aime la cour d’assises, a lancé Me Krywin au début de sa plaidoirie, parce que c’est un morceau de société qui entre ici. » Il faut dire que le milieu presque caricatural auquel appartient l’accusé intrigue autant qu’il glace. Les experts psychiatres ont évoqué un monde de silence, où l’on exprime très peu ses sentiments et où l’on vit en vase clos.
Pierre Riga a, en effet, été élevé en milieu fermé. Son école se trouvait à quelques centaines de mètres de sa maison. Il n’a jamais fréquenté un mouvement de jeunesse, ni pratiqué d’activités parascolaires. Dès l’âge de 8 ans, il suivait son père et sa mère à la chasse. Il passait toujours ses vacances en famille. Et ce n’est que lorsqu’il a effectué son service militaire qu’il est sorti, pour la première fois, de ce cocon hermétique, de cette propriété très privée.
Un univers si protégé qu’il n’est pas étonnant que s’y développe la crainte fantasmée du jeune en blouson de cuir, donc drogué, donc armé, donc délinquant. Cet imaginaire effrayant, où « l’autre » représente forcément un danger, a sans doute empêché que l’accusé et la victime se rencontrent autrement que par le biais fatal d’un fusil de chasse. Nicolas souhaitait demander à Pierre Riga la permission de pouvoir venir se promener au bord de son étang paradisiaque, en échange de menus travaux sur sa propriété. Une rencontre ratée…
Ce n’est bien évidemment pas pour ce qu’il est que Riga devait être jugé, ni pour le milieu social auquel il appartient. Dans leurs débats, les différentes parties ont, d’ailleurs, su éviter cet écueil. Mais il y a une morale à tout procès, surtout lorsque celui-ci se déroule devant un jury populaire. En l’occurrence, l’affaire Riga a souligné, avec une cruelle évidence, les conséquences désastreuses d’une absence, d’un refus de dialogue. « Taisez-vous ! » criait l’accusé en pointant son arme vers les jeunes qui avaient pénétré sur sa propriété, le 13 juin 1999. Un malentendu dramatique, qui trouve ses racines dans un environnement psychologique, familial où l’on a toujours pris le soin, absurde, de fermer toutes les barrières.
On retiendra, enfin, des débats devant la cour d’assise, la souffrance, tellement inutile et évitable, de deux familles. Oui, deux familles. Car, il faut bien reconnaître que le procès a été un véritable calvaire pour l’entourage de Pierre Riga et que sa détention le sera encore plus pour ses trois enfants. Quoi qu’il en soit, leur épreuve est peu de chose à côté de celle qu’endurent, depuis deux ans, Martine et Christian Vander Stukken. La perte d’un fils. Définitive. Mais, dans leur souffrance, les parents de Nicolas sont restés dignes jusqu’au bout. Ils ont accepté le verdict du jury populaire et l’arrêt de la cour, comme ils s’y étaient engagés. Ils vont, enfin, pouvoir commencer leur deuil.
Thierry Denoël