Jusqu’au bout du rêve

Guy Gilsoul Journaliste

En onze ans de conquêtes, Alexandre le Grand, le Macédonien, mit non seulement la Grèce entière à ses pieds, mais aussi l’Asie. Son secret : une vie entre imaginaire et réalité.

L’Histoire fit d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) le héros de l’hellénisme dont on retient l’esprit humaniste irriguant les terres étrangères du souffle grec. Ainsi, par exemple, la naissance des premières  » images  » du Bouddha qui fera la gloire de l’art gandhara. Mais pour la postérité, et ce dès l’époque romaine, c’est surtout l’homme qui fascine. Il est loué au Moyen Age, et Louis XIV aurait aimé lui ressembler. Quant à Catherine II de Russie, elle en fit son modèle. Ses ennemis l’appelaient pourtant Alexandre le Terrible. Sa violence était crainte et ses victoires sentent aussi la fumée et le sang. Lorsqu’il entre dans Persépolis, la capitale de l’Empire perse, l’ennemi de toujours, il n’hésite pas à incendier le palais de Xerxès alors qu’il accorde à sa soldatesque le droit au pillage le plus radical. On ne badine pas avec Alexandre le Grand. Il aurait peut-être même tué son père. Et sans aucun doute, un de ses amis proches qui lui avait pourtant sauvé la vie.

Alexandre ne serait qu’un conquérant de plus s’il ne s’était peu à peu persuadé (il meurt à 32 ans) d’incarner le rêve humaniste grec, porté, on le sait, par la littérature, les récits olympiens, la saga homérique et ses héros. Soit une vision de l’homme très profondément construite sur l’équilibre entre tous les contraires : le corps et l’esprit, la réflexion et l’action, la raison et l’intuition, la singularité locale et l’ouverture aux autres, la violence et l’amour… Après tout, Athéna, qui symbolise la sagesse d’Athènes, n’est-elle pas aussi déesse de la Guerre… et du rêve ?

Fils de Ra

Pour atteindre cette harmonie, le héros doit au moins posséder deux qualités : le courage et l’intelligence. Or celle-ci use souvent de la logique mais aussi de la ruse. Alexandre (dont un des précepteurs n’est autre que le philosophe Aristote) ne manquera ni de l’une ni de l’autre. De là à rêver rejoindre l’assemblée des dieux, il n’y avait qu’un pas qu’il franchit allègrement sur les terres de Perse et surtout d’Egypte, quitte, après avoir écouté l’oracle de Zeus-Amon dans le désert, à s’autoproclamer  » fils du dieu Ra « . Son rapport aux récits mythiques l’amène même parfois à de bien peu rationnels agissements. Ainsi, lorsqu’il entre dans la ville de Troie, il pénètre dans le temple d’Athéna où sont accrochées les armes d’Achille, son héros favori. Ni une ni deux, il les échange avec les siennes. Plus tard, lorsqu’il arrive à Gordion (en territoire perse), il découvre un char dédié à Zeus dont la légende assure que celui qui sera capable de dénouer le n£ud du joug (le n£ud gordien), deviendra le maître de l’Asie. Alexandre n’hésite pas. Un seul coup de glaive suffit.

Organiser une exposition qui vise le portrait d’un personnage aussi complexe dont la fortune critique ne l’est pas moins, n’est donc pas chose aisée. La solution passe dès lors par la présentation de pièces archéologiques dont les datations et les origines varient en fonction du propos. Ici, des images évoquant les héros légendaires et modèles de l’empereur. Là, des £uvres grecques contemporaines des temps de conquêtes réalisées soit en Grèce, soit bien plus loin, auxquelles se mêlent d’autres pièces soulignant la façon dont l’hellénisme a été perçu, voire comment certaines régions ont pu lui résister. Enfin, il y a l’héritage, d’autres images encore qui construisent peu à peu, au fil des siècles, le mythe toujours renaissant d’Alexandre le Grand.

Amsterdam, Hermitage. 51, Amstel. Du 18 septembre au 13 mars. Tous les jours, de 10 à 17 heures. Le mercredi jusqu’à 20 heures. www.hermitage.nl

GUY GILSOUL

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