Johann B., gardien à Auschwitz

La justice allemande a décidé d’ouvrir une procédure pénale contre cet ancien soldat SS, aujourd’hui installé aux Etats-Unis. Une enquête préliminaire très fouillée décortique sa vie.

(1) auschwitz.parties.civiles@gmail.com

La justice des hommes va-t-elle rattraper Johann B., 87 ans, avant sa mort ? Cet ancien gardien de camp à Auschwitz, aujourd’hui retraité aux Etats-Unis, est la cible d’une minutieuse enquête préliminaire diligentée par le Centre national de Ludwigsburg (Allemagne), créé en 1958 pour traquer les criminels de guerre nazis. Les accusations sont lourdes : Johann B. aurait participé au massacre de plus de 344 000 juifs, dont 100 000 enfants de moins de 12 ans, gazés à Auschwitz-Birkenau entre le printemps et l’été 1944.

Le rapport de 182 pages a été transmis au parquet de Weiden, en Bavière, fin août. Et, le 25 septembre, le procureur a jugé le dossier assez solide pour ouvrir une procédure judiciaire contre B. et demander son extradition aux autorités américaines.

Johann B. pourrait bien subir le même sort que l’Américain d’origine ukrainienne John Demjanjuk. En mai 2011, après dix-huit mois de procès et nonante-trois jours d’audience, un tribunal de Munich a jugé l’ex-sentinelle du camp d’extermination de Sobibor (Pologne) coupable de complicité dans l’assassinat de 27 900 juifs. Le mécanicien de Cleveland (Ohio) a été condamné à cinq ans de prison – il est mort dix mois plus tard. Ce verdict est une première en Allemagne, où les simples servants de la machine de mort nazie s’étaient toujours abrités, avec succès, derrière les ordres de leurs supérieurs. Soixante-sept ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, à défaut d’avoir pu ou voulu juger les maîtres, l’Allemagne fait désormais la chasse aux exécutants, où qu’ils aient trouvé refuge. Johann B. est l’un d’eux.

Le roman de sa vie, l’octogénaire au pesant accent allemand l’a raconté en novembre 1991 aux enquêteurs de l’Office for Special Investigations (OSI), chargés de pister les nazis installés aux Etats-Unis. Ceux-ci soupçonnent Johann B., outilleur-ajusteur de son état, émigré outre-Atlantique depuis 1952, d’avoir travesti son passé.

Que sait-on de lui ? B. voit le jour le 30 mai 1925 à Neuwalddorf, petit village de l’est de la Slovaquie, un ancien territoire austro-hongrois, dont la plupart des habitants sont des Volksdeutsche, des Allemands de souche. Son père, prénommé lui aussi Johann, a exploité une ferme aux Etats-Unis avant de revenir travailler la terre natale. Sa mère, Katarina, est née à Manayunk, un faubourg de Philadelphie. Sa famille a tenté l’aventure américaine, elle aussi, puis elle est rentrée au pays. Avant guerre, Johann père, Katarina, Maria, la s£ur aînée, et son mari, Adalbert, sont membres du Deutsche Partei, le parti qui défend les intérêts des Allemands vivant en Tchécoslovaquie.

Il jure n’avoir fait qu’assurer la surveillance extérieure

Les SS recrutent à tour de bras parmi ces Allemands qui vivent en lisière du Reich. En décembre 1942, à 17 ans, le jeune Johann se porte volontaire pour endosser l’uniforme. Deux mois plus tard, il est enrôlé dans le sinistre SS-Totenkopf, le bataillon des têtes de mort, celui des gardiens. Direction le camp de concentration de Buchenwald, où il s’exerce pendant six semaines au maniement des armes.

Ensuite, les versions divergent. Johann B. affirme avoir été transféré à Auschwitz, au printemps 1944. Une mesure de rétorsion, selon lui, car il aurait demandé à quitter la SS. Il jure ses grands dieux qu’il n’a fait qu’assurer la surveillance extérieure. Jamais au grand jamais, il n’a servi à Birkenau, la partie du camp dévolue à l’extermination.

Pourtant, devant les enquêteurs de l’OSI, l’ancien Oberschütze (soldat de première classe) B. a décrit les  » baraquements en bois  » d’Auschwitz, alors que seuls ceux de Birkenau étaient bâtis dans ce matériau. Après avoir passé au crible ses déclarations et écumé les archives allemandes et américaines, la juge Kirsten Goetze, qui a rédigé l’enquête préliminaire, esquisse un scénario bien différent. Cinq documents d’époque témoigneraient de la présence de Johann B. à Auschwitz dès la fin de 1943, ainsi que son appartenance, d’avril à novembre 1944, à une compagnie exclusivement affectée à Birkenau.

Pendant ces quelques mois, la mécanique à broyer les vies s’emballe. A Birkenau, jour et nuit, les convois de déportés promis aux chambres à gaz se succèdent. Les permissions des gardes SS sont annulées. Les hommes se relaient pour monter la garde le long de la rampe où débarquent hommes, femmes et enfants, et les pousser vers la mort. La plupart des trains viennent de Hongrie, d’autres d’Italie, de Grèce, de Serbie, de Belgique, d’Allemagne et de France.  » En 1944, 13 convois sont partis de Drancy et un de Lyon « , précise Serge Klarsfeld, président de l’association des Fils et filles des déportés juifs de France. Raflés le 6 avril sur l’ordre de Klaus Barbie, le chef de la Gestapo lyonnaise, les 44 enfants juifs réfugiés à Izieu (Ain, centre-est de la France) ont embarqué dans ces fourgons à bestiaux.

Aux Etats-Unis, Johann B. est sorti vainqueur de sa guérilla judiciaire. En 2002, la justice a renoncé à lui retirer son passeport. Motif : sa mère, née à Philadelphie, lui a transmis la nationalité américaine.  » Mais rien ne s’oppose à ce qu’il soit visé par un mandat d’arrêt international, si le parquet de Weiden décide d’ouvrir une procédure pénale contre lui « , souligne Kurt Schrimm, directeur du centre d’enquêtes de Ludwigsburg.

L’avocat bavarois Thomas Walther prépare d’ores et déjà le terrain. C’est lui, l’ancien juge à Ludwigsburg, qui a patiemment ficelé le dossier contre John Demjanjuk, la sentinelle de Sobibor. Aujourd’hui, Walther (1) s’est lancé dans un nouveau combat : il veut retrouver les derniers témoins d’Auschwitz. Et identifier des survivants ou des descendants de victimes qui pourraient se porter partie civile contre Johann B…

ANNE VIDALIE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire