JODIE FOSTER  » OUVRIÈRE SPÉCIALISÉE « 

Star discrète, voire secrète, Jodie Foster, 53 ans, est de retour derrière la caméra avec Money Monster, un thriller survolté doublé d’une charge contre Wall Street. Rencontre avec une artiste qui fait le job.

Cinq ans après la sortie du Complexe du Castor, l’actrice et réalisatrice Jodie Foster a présenté, au festival de Cannes hors compétition, son nouveau film Money Monster (1). Une oeuvre qui rassemble les stars George Clooney et Julia Roberts et qui dit beaucoup sur notre époque. Pour autant, Jodie Foster est convaincue que la télévision, avec ses séries de plus en plus efficaces, a désormais supplanté le cinéma.

Money Monster révèle une Jodie Foster engagée, que vos trois films précédents comme réalisatrice ne laissaient pas forcément soupçonner. Pour quelles raisons ?

Ce n’est pas un film personnel, mais un film de genre. Un thriller, branché sur l’actualité. Au fond, il y est question de la quête spirituelle d’un homme qui a perdu son âme. Lee Gates, ce présentateur vedette d’une émission financière, est un entertainer, un clown, totalement égocentrique, obsédé par sa propre insignifiance. Il voudrait avoir de la valeur, or, aux Etats-Unis, la valeur de quelqu’un se mesure à son compte en banque. J’ai toujours trouvé ça étrange.

Face à lui, Kyle Budwell est  » l’homme de la rue  » : un col bleu ruiné après avoir suivi les conseils d’investissement de Gates. Partagez-vous la rage de Kyle vis-à-vis d’un monde qui n’est pas juste ?

La rage, ce n’est pas dans mon caractère. Mais j’avais envie de servir de porte-voix à Kyle. Tout ce qu’il demande, c’est la justice. Sauf qu’il ne va pas au tribunal, mais à la télé. Il a toujours fait ce qu’on lui a dit de faire, et regardez où ça l’a mené. Il est instable, il brandit une arme, mais c’est le seul à dire la vérité.

Money Monster insiste beaucoup sur la technologie sur laquelle s’appuie notre système financier mondialisé. Cette technologie, pensez-vous qu’elle nous aliène ou qu’elle nous libère ?

C’est une arme à double tranchant. Elle multiplie les possibilités de communication, tout en contribuant, paradoxalement, à rendre le monde plus déshumanisé. Le scénario du film révèle cette ambivalence : d’un côté, la technologie permet aux loups de Wall Street de frauder en toute tranquillité ; mais c’est aussi elle qui va permettre à Kyle et à Lee de mobiliser, en Corée ou en Islande, ces gens qui, sans se connaître, unissent leurs forces contre le monstre, ce monstre que nous avons nous-mêmes créé.

Des divers candidats à la présidentielle américaine, lequel vous semble le plus à même de lutter contre le  » monstre  » ?

Bien essayé, mais je ne fais pas de politique ! Je laisse ça à George (Clooney)… Cela dit, tous les candidats disent qu’ils veulent réformer Wall Street. Tous. Car la crise de 2008 a montré à quel point le système est corrompu. Le problème, c’est qu’on vit dans une économie mondialisée : on aura beau réformer Wall Street, rien n’empêchera, par exemple, les traders de délocaliser leurs opérations financières en Afrique pour ensuite rapatrier leurs profits dans les banques américaines. Il y aura une autre crise. Une crise globale. Tous ceux qui travaillent dans la finance le savent, mais ils ne sont pas payés pour s’en inquiéter.

Seriez-vous socialiste ?

Non, je suis une bonne capitaliste. Le problème, c’est qu’on en a perdu l’esprit. Aujourd’hui, c’est la mode du leveraging : le recours massif à l’effet de levier qu’utilisent les fonds spéculatifs. A la base, on empruntait pour des raisons très nobles : payer des études à ses enfants pour qu’ils s’élèvent dans la société. C’est ce qui a permis aux pays occidentaux de se développer. Mais on s’est mis à abuser du système, afin que des intermédiaires puissent se sucrer au passage.

On connaît l’engagement de Clooney en faveur d’Obama, et maintenant d’Hillary Clinton. N’a-t-il pas essayé de vous recruter ?

Non, il avait trop de dialogues à mémoriser pour penser à autre chose. Plus sérieusement, j’admire sa capacité à être multitâche. Moi, je suis très monomaniaque.

Vous êtes surtout très discrète, pour une star de Hollywood…

Disons que j’ai tendance à compartimenter. J’ai ma vie professionnelle, et puis ma vie réelle. Elles sont très différentes, et bien séparées. L’autre jour, je faisais une séance photo avec George et Julia (Roberts), et je me suis rendu compte à quel point ils sont bons dans cet exercice… Ils improvisent, ils font des blagues, ils sont à l’aise… J’aimerais tellement être comme eux.

Pourtant, vous êtes une enfant de la balle. Vous aviez à peine 3 ans quand vous avez tourné une pub pour la crème solaire Coppertone…

C’est une façon étrange de grandir. Absurde. Par miracle, je n’ai pas terminé de façon tragique, je m’en suis sortie à peu près intacte. Le truc, c’est que je n’ai jamais eu la personnalité d’une star de cinéma, ni même d’une actrice. Pour moi, c’est un boulot. J’ai mis au point un système qui fonctionne : je me pointe sur le plateau, quelqu’un m’habille, quelqu’un d’autre me dit quand sourire, et puis à 17 heures, je rentre chez moi. C’est ce que ma mère m’a inculqué quand j’étais gamine.

Vous êtes une ouvrière spécialisée à Hollywood !

Exactement.

Y a-t-il eu des moments particulièrement difficiles ? Des moments où, à l’instar de Clooney dans le film, vous auriez pu vous perdre dans votre personnage ?

C’est un équilibre à trouver, et parfois, oui, c’est difficile. Le boulot en lui-même, j’ai toujours adoré ça. Etre sur un plateau de cinéma, ça veut dire se geler à 3 heures du matin et boire du café horrible. C’est dur, mais j’aime cette façon de vivre. La promo, c’est autre chose. Je m’y plie pour faire connaître mes films, pas pour me vendre moi.

Vous êtes une des rares réalisatrices à Hollywood, et pourtant on ne vous a pas entendue au moment de la polémique sur le sexisme dans le cinéma américain…

Je ne suis pas la bonne personne pour m’exprimer là-dessus, car j’ai eu de la chance. Je suis passée derrière la caméra avec Le Petit Homme (l’histoire très autobiographique d’un enfant surdoué élevé par une mère célibataire) grâce au soutien de producteurs qui avaient déjà travaillé avec moi et me faisaient confiance. Il faut dire que je venais de gagner un Oscar (pour Les Accusés, de Jonathan Kaplan), que je me suis proposée pour jouer le rôle de la mère et que je n’ai pas été payée. Le risque était donc minime pour eux. J’étais la fille prodige, la fille dont ils étaient fiers. J’étais dans une situation unique : j’étais déjà dans le système.

D’accord, mais cette polémique, ces accusations de sexisme lancées contre Hollywood, qu’en pensez-vous ?

Il n’y a pas de grand complot contre les femmes. On ne cherche pas à les empêcher de travailler. C’est juste qu’on est à un moment bizarre, dans l’histoire de Hollywood, où les studios ont parié leur avenir sur les films de superhéros et cherchent à minimiser le risque financier. Or, pour une raison qui m’échappe, les femmes sont vues comme un risque. C’est en train de changer dans le cinéma indépendant, à la télévision. Mais on est très en retard par rapport à l’Europe.

Que vous inspire l’état du cinéma américain ?

Les gens ont perdu l’habitude d’aller en salle. Les ados continueront de s’y rendre pour ces très gros films événements que j’évoquais, des spectacles en 3D bourrés d’effets spéciaux. Les adultes, eux, iront dans des petits cinémas, voir des films indépendants. Mais les films du milieu comme Money Monster, originaux, et avec des stars, ont plus ou moins disparu. Ils se sont réfugiés à la télé.

Vous avez réalisé deux épisodes de la série Orange is the New Black, et un épisode de House of Cards. La télé a-t-elle supplanté le cinéma ?

Sans aucun doute. Regardez Breaking Bad, que j’ai suivi avec avidité. Ou bien Les Soprano, que j’ai regardé deux fois en intégralité. Ou encore True Detective. Ce que j’attends, c’est que la télé investisse davantage dans des films d’une durée classique, parce que toutes les histoires ne sont pas faites pour durer huit saisons. Mais, selon moi, l’avenir du cinéma est à la télévision. Le discours sur le fait que regarder un film chez soi ne saurait rivaliser avec l’expérience de la salle est un peu dépassé, je trouve.

Vous tournez peu, désormais…

Vous savez, ça fait cinquante ans que je fais l’actrice. C’est beaucoup pour un seul job. Et puis, je me sens aujourd’hui davantage réalisatrice. Mais je ne suis pas accro au boulot. Il faut prendre le temps d’apprendre des choses. Si vous enchaînez les films, vous n’avez rien à dire.

De tous ceux que vous avez tournés, quel est celui dont on vous parle systématiquement ?

Le Silence des agneaux. Je crois que c’est le film qui a le plus touché les gens. Il n’a pas vieilli.

Pour vous aussi, c’est un film important ?

Oui. J’avais joué beaucoup de femmes en péril. De victimes. J’étais attirée par ce genre de rôles. Puis est arrivé un moment dans ma vie et ma carrière où j’ai eu envie de jouer celle qui sauve les femmes en péril.

Un film comme Le Silence des agneaux pourrait-il se monter dans le Hollywood d’aujourd’hui, plutôt adepte des superhéros ?

Wow… Je ne sais pas. Peut-être, car c’est un film de genre. Ce qui est sûr, c’est que s’il était produit par une major aujourd’hui, il coûterait bien plus cher. Ce serait une grosse production, et il serait difficile pour Jonathan Demme d’avoir le moindre contrôle créatif. Or, Le Silence des agneaux est réussi parce que Jonathan a pu faire ce qu’il voulait, de A à Z. Même l’affiche est de lui. De nos jours, elles sont conçues à partir de sondages. C’est ça, faire un film avec un studio : vous serrez la main d’un gars tout en sachant que vous allez vous battre à mort contre lui.

(1) Sortie en Belgique : le 1er juin.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER BONNARD

 » Le truc, c’est que je n’ai jamais eu la personnalité d’une star de cinéma, ni même d’une actrice  »

 » Etre sur un plateau, ça veut dire se geler à 3 heures du matin et boire du café horrible. C’est dur, mais j’aime cette façon de vivre  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire