» Je suis choqué «
Le patron de la Politique scientifique belge enrage. Il est le seul haut fonctionnaire fédéral concerné par le décret wallon.
Philippe Mettens est à la tête des services de la politique scientifique belge, une administration aux multiples facettes qui regroupe les grands musées fédéraux, l’IRM, l’Observatoire, les archives de l’Etat , la Bibliothèque royale ou l’Institut des sciences naturelles ; qui gère les grands programmes de recherche en développement durable, en biodiversité ou en énergie ; qui administre la base Princesse Astrid en Antarctique et la participation belge dans l’Agence spatiale européenne ou dans Airbus. Près de 3 000 personnes…
Il est également le bourgmestre (PS) des 3 483 habitants de Flobecq, une commune à facilités du Hainaut occidental où il a succédé, après l’avoir longtemps remplacé, à Rudy Demotte parti vers des cieux tournaisiens plus larges. Mais Philippe Mettens ne pourra plus être bourgmestre. Les hauts fonctionnaires seront en effet interdits de collège communal ou provincial (bourgmestre, échevin, président du CPAS ou député provincial). » J’en suis choqué, explique-t-il, parce que ce décret parle de rétablir la confiance entre le citoyen et le mandataire, en disant rendre à ce dernier la capacité de s’investir pleinement dans sa mission. Je devrais donc démissionner de mon travail pour être plus disponible pour ma commune de moins de 3 500 habitants ? Et le bourgmestre de Herstappe, dans le Limbourg, qui ne compte que 87 habitants, devrait-il être lui aussi à 100 % disponible pour sa commune ? Flobecq a été désignée en 2005 commune la mieux gérée de Wallonie et, il y a quinze jours, capitale belge de l’énergie photovoltaïque, et on viendrait me dire que je ne suis pas assez disponible ? Alors qu’un médecin peut être maïeur, même si ses patients sont aussi ses électeurs ? C’est une entrave à la liberté démocratique. «
Cumulard ? Escroc ?
» Dans mon boulot, je ne peux pas me contenter d’une simple gestion administrative. La base antarctique, le musée Magritte ou les pôles d’attraction interuniversitaires méritent un engagement. Je gère un budget de l’ordre de 600 millions (pour 2,5 à l’ordinaire dans ma commune !). Je travaille ici avec Dirk Frimout ou Frank Dewinne, et à Flobecq je connais tout le monde, c’est ça qui est chouette. L’un aide l’autre : la tête dans les étoiles, et les pieds sur terre, cela me permet d’être plus efficace à la fois dans mon métier, et dans mes rencontres avec les gens. «
Ce qui blesse le plus Philippe Mettens, c’est que cette disposition nouvelle a été votée en octobre 2010 dans la foulée des affaires de Charleroi, pour limiter les cumuls et empêcher à l’avenir toute possibilité de conflit d’intérêts entre un mandat politique et une fonction publique. » Je me retrouve ainsi assimilé à des cumulards, des escrocs, des inculpés qui ont tapé dans la caisse. Ce n’est pas juste. Je ne cumule aucun revenu, au contraire même : je suis soumis à un congé politique obligatoire de trois jours par mois, même si je ne les prends pas, et mon traitement est diminué d’autant. «
Au départ, le projet de décret ne visait que les hauts fonctionnaires régionaux ou communautaires. » Il y a clairement un problème constitutionnel, une rupture d’égalité, poursuit Philippe Mettens. Au fédéral, mon collègue Koen Snyders (CD&V) est administrateur général de l’ONSS, ce qui n’est pas rien, et également bourgmestre d’Edegem, une commune de plus de 20 000 habitants. Rien ne s’oppose à ce qu’il se succède à lui-même. Comment la Région wallonne peut-elle imposer des contraintes à un autre niveau de pouvoir ? Moi, je peux me présenter en octobre, et être élu bourgmestre, OK, mais je dois alors démissionner de mon job. Cela me laisserait un revenu à peine supérieur au chômage… Il y a chez nous 156 communes de moins de 20 000 habitants, et aucune n’est dirigée par un bourgmestre qui ne dispose pas d’un autre revenu. Dont pas mal de retraités, mais est-ce le modèle que nous voulons ? «
Philippe Mettens est le seul haut fonctionnaire fédéral concerné. » Comment expliquer aux gens que je ne suis pas un cumulard, et que, non, ma situation n’est pas scandaleuse ? Ils peuvent penser que mon cas personnel serait à ce point contraire à l’éthique que la Région wallonne s’est sentie obligée de légiférer rien que pour moi… En octobre, normalement, j’emmènerai la liste, j’en prends le risque, et cela me permettra d’être évalué par rapport à mon travail. J’expliquerai ma situation aux habitants de Flobecq, je leur expliquerai que je risque de ne pas pouvoir continuer à être leur bourgmestre, et je veux que, par leur vote, ils évaluent le travail que j’ai fait. S’ils se positionnent en ma faveur, en toute connaissance de cause, ils feront savoir qu’ils soutiennent mon projet. «
Pas résigné
Le recours qu’il a introduit auprès de la Cour constitutionnelle a été rejeté, la Cour estimant qu’il n’y avait pas d’atteinte à son droit à être élu, qu’il n’avait qu’à choisir entre bourgmestre et directeur, et que la taille de la commune n’était pas un critère pertinent, toute commune devant être dirigée par » un collège dont les membres sont indépendants et disponibles « . Pourquoi alors, fait valoir Philippe Mettens, le nombre d’élus, le salaire du secrétaire communal ou le traitement du bourgmestre et des échevins sont-ils, eux, fonction de la taille de l’entité ? » Je serais obligé de démissionner, poursuit-il, alors qu’un ministre, lui, peut être élu bourgmestre et ensuite se déclarer empêché. Il se présente aux communales en expliquant aux électeurs qu’il est au gouvernement pour porter les projets de la commune, et espère ainsi séduire les électeurs par sa capacité supposée à défendre les intérêts communaux. » Ce qui représente clairement, pour lui, un impudent conflit d’intérêts dont personne ne semble s’offusquer.
» Je ne peux pas admettre d’être un citoyen émasculé, conclut-il. Je suis de surcroît fragilisé car je suis, dans mon métier, soumis à une évaluation permanente, mon mandat de directeur général se termine dans trois ans et sa reconduction n’est pas automatique, alors que le ministre qui viendrait à perdre son maroquin peut, lui, récupérer son écharpe maïorale du jour au lendemain. Moi, en tout cas, je ne jouerai pas la carte de la résignation, et j’explorerai tous les recours possibles, notamment à l’Europe. «
MICHEL DELWICHE
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