» Je reviens, je suis déterminé « 

Pour sa première interview politique depuis 2003, il a choisi Le Vif/L’Express. Dix ans après avoir quitté le landerneau, Vincent Decroly fait le chemin inverse. Il ne sait pas s’il sera candidat, il entretient le flou sur la forme que prendra son engagement, mais il est résolu à se jeter dans la bataille électorale de 2014. Pour défendre quel projet ?  » Il y aura du rouge et du vert « , annonce l’ex-chevalier blanc de la commission Dutroux.

Pendant dix ans, Vincent Decroly a disparu des écrans-radars. Il a entrepris des études de droit et travaille désormais dans une association où il coordonne un service d’aide juridique, après avoir exercé comme avocat au barreau de Bruxelles. Mais avant cette existence anonyme, il y eut un autre Decroly : membre d’Ecolo depuis 1983, élu député en 1995, ce psychologue acquiert une subite notoriété par ses interventions tranchantes au sein de la commission Dutroux. Au point de devenir l’un des visages médiatiques du mouvement blanc, et l’une des stars de la politique belge. Parallèlement, Decroly s’oppose de plus en plus à la direction d’Ecolo, jusqu’à quitter le parti en 2001. Il siège encore deux ans comme indépendant, puis fait ses adieux à la politique. Pour y revenir aujourd’hui.

Le Vif/L’Express : A 50 ans, pourquoi retournez-vous dans l’arène politique ?

Vincent Decroly : Parce qu’il est temps de construire un nouveau mouvement politique. Un mouvement ouvert aux citoyens qui ne sont pas engagés, qui n’ont pas une grande expérience militante, parce que ce sont ceux-là les plus nombreux, et les plus menacés, notamment par les tentations d’extrême droite. L’offre politique existante en Wallonie et à Bruxelles ne répond pas à ce besoin-là. Le seul horizon des partis traditionnels consiste à limiter les dégâts, avec ce discours de plus en plus insupportable tellement il est mensonger :  » Sans nous, ce serait pire « .

Vous visez le Parti socialiste ?

Je vise l’ensemble des partis. Ils sont devenus inaptes à répondre aux attentes des gens. Ils ont réduit la politique à un exercice comptable. J’en veux pour ça à tout le monde, à gauche comme à droite. On se trouve face à des élus qui confondent le compromis qu’ils viennent de passer avec l’horizon à long terme qu’on leur a demandé de rallier. Ces élus finissent par consacrer toute leur énergie à tenter de nous convaincre que, sans ce compromis, ça aurait été encore plus catastrophique. Je comprends leur embarras puisque, dans le cas de la gauche, la plupart des compromis acceptés depuis vingt ans sont des pas en arrière. C’est difficile de montrer vers où l’on va quand on fait marche arrière…

A quel stade en est la construction de ce nouveau mouvement politique ? Il se dit que vous pourriez être tête de liste aux élections européennes.

Non, non, rien n’est décidé… Aujourd’hui, je prends la parole pour dire : stop ! On ne peut pas repartir dans une campagne électorale où le MR, le PS, Ecolo et le CDH vont se disputer à coups de slogans pour savoir comment moduler le fonctionnement du système. La politique, qu’est-ce que c’est ? Dessiner un point sur l’horizon. La beauté, la force, le génie de l’action collective, ça a toujours été ça. Le point peut être plus ou moins à gauche, à droite, au-dessus, en dessous, mais la politique doit le dessiner. Qui fait encore ça aujourd’hui ? Dans les partis traditionnels, personne.

Concrètement, quel sera votre rôle dans la prochaine campagne électorale ?

Au minimum, je soutiendrai des gens qui proposeront une rupture radicale.

Vous serez vous-même candidat ?

Ce n’est pas certain.

Qu’est-ce qui vous fait hésiter ?

Je ne suis pas sûr d’être indispensable. Je me demande si j’ai le meilleur profil aujourd’hui. Je vois aussi beaucoup de gens très intéressants autour de moi.

A combien évaluez-vous la probabilité qu’un mouvement alternatif, avec des candidats sérieux et crédibles, concoure aux élections de 2014 ?

A 100 %.

Vraiment ?

Bien sûr. Je vais tout faire pour que ça arrive. Je suis déterminé. Là, je suis en train de prendre des contacts, de répondre à des sollicitations, et je dis : il va se passer quelque chose ! Je ne sais pas encore quelle forme tout ça va prendre, mais quoi qu’il arrive, ce sera concerté. Ce n’est pas le petit Vincent Decroly qui va décider tout seul. Par contre, si je peux aider, je ne vais pas ménager mes efforts. A ce propos, ne sous-estimez pas l’impact qu’a eu l’appel de la FGTB-Charleroi, le 1er mai 2012. Le lien organique entre le monde syndical et le PS est en train de se fissurer sérieusement. Tant mieux, car ce lien est stérilisant. Il a fait du monde du travail le berné systématique des vingt dernières années en Belgique. Donc voilà un espoir ! Cela dit, je ne suis pas prêt à m’engager dans n’importe quelle aventure poststalinienne… En réalité, toutes sortes d’alternatives sont en train d’émerger, notamment avec des gens qui ont quitté Ecolo sans renoncer à l’écologie politique.

En avril dernier, Le Vif/L’Express révélait que Paul Lannoye, l’un des pères fondateurs d’Ecolo, avait lancé des groupes de travail, avec en ligne de mire les élections de 2014. Plusieurs figures historiques des Verts semblaient prêts à le suivre, notamment Martine Dardenne, coprésidente du parti de 1986 à 1989. Vous avez reçu un appel de leur part ?

En tout cas, je vois ce qu’ils font et je trouve ça très intéressant. Paul Lannoye, c’est une personnalité éminente, quelqu’un qui a beaucoup de sens politique, mais aussi une éthique bien enracinée. Je pense que mon rôle, c’est d’aider à la mise en place de convergences avec cette initiatives-là.

Le nom de Gino Russo est régulièrement cité parmi les personnalités susceptibles d’incarner ce nouveau mouvement. On parle aussi de l’ancien député socialiste Jean Cornil, un proche de Philippe Moureaux. Vous allez leur parler ?

J’ai vu Jean récemment. C’était une rencontre très fructueuse. Je n’ai pas eu de contacts récents avec Gino Russo, mais je pense qu’il fait aussi partie des gens qui veulent dire quelque chose en termes d’espoir pour notre société. Et c’est ça dont nous avons le plus besoin. Le meilleur antidote contre l’extrême droite, ce ne sont pas des petits aménagements à gauche et à droite, c’est l’espoir, le réenchantement.

Les élections ont lieu dans six mois. Pour bâtir une nouvelle offre politique, diffuser le nom du mouvement, faire connaître les candidats, n’est-il pas déjà trop tard ?

Il est temps de s’y mettre. Mais la révolution en Tunisie, ça a pris trois mois.

Vous voulez dire que la dynamique peut s’enclencher très vite ?

Evidemment ! Il suffit que les gens le veuillent, que les gens y croient.

Si votre mouvement obtient 2 ou 3 %, vous estimez que ce sera déjà un succès d’estime ?

Vous êtes fou ? Il faut beaucoup plus !

Alors, quel objectif ?

Rendre l’espoir aux gens, les remobiliser. Depuis quarante ans, la gauche leur dit : on est votre bouclier, et chaque fois, le coup qui suit est un peu plus dur pour eux. La peur doit changer de camp ! Ce ne sont plus les petites gens qui doivent avoir peur de ce que les six prochains mois leur réservent, ce sont les actionnaires, les financiers.

Le PTB grimpe dans les sondages. Vous ne pensez pas que la place à la gauche du PS est déjà prise ?

J’ai été sollicité par le PTB, mais à mes yeux, ce parti garde une ambiguïté sur la question du productivisme. Je reste un écologiste convaincu. L’overshoot day, c’est-à-dire le jour où la Terre a épuisé son budget écologique annuel et à partir duquel l’humanité pompe sur la réserve, en 2013, c’était le 20 août. Le prix du pétrole a été multiplié par quatre au cours des vingt dernières années, et rien n’indique que ça va cesser. Ce sont des enjeux fondamentaux. Et moi, j’ai toujours un doute à propos du PTB : a-t-il bien intégré la dimension écologique ?

Pas question, donc, de vous allier au PTB ?

Il ne faut pas exclure des convergences, des alliances stratégiques. On verra.

Il y a dix ans, vous avez quitté la politique pour retourner travailler dans la société civile. Pourquoi ce come-back, maintenant ?

Qu’est-ce que j’ai fait pendant ces dix ans ? J’ai confirmé une série d’intuitions que j’avais en 2001 en claquant la porte d’Ecolo. L’intuition qu’une partie grandissante du peuple belge n’est plus représentée nulle part dans les institutions démocratiques. Dans mon travail, je rencontre tous les jours des gens qui sont floués par le système. Le successeur de Didier Bellens à la tête de Belgacom va gagner 25 000 euros par mois, et moi, je suis obligé de quémander devant le tribunal du travail un peu d’argent pour qu’une dame puisse boucler ses fins de mois avec les trois enfants dont elle a la charge. Cette dame se lève à 5 heures, elle marche vingt minutes jusqu’à l’arrêt de tram, puis elle va faire quatre heures de nettoyage dans un hôpital bruxellois. A la fin du mois, elle ne gagne pas un cent de plus que si elle ne travaillait pas, car toute l’aide sociale qu’elle recevait avant du CPAS lui est à présent retirée.

Ce discours sur les pièges à l’emploi, c’est précisément celui que tient Charles Michel, le président du MR.

Peut-être, mais je n’entends pas le MR dire qu’il faut réduire les salaires des CEO. Je vois des situations affolantes, une société qui est en train de se déliter sur ses valeurs les plus fondamentales. Des gens qui travaillent, qui souffrent de diabète, ou d’un cancer, et à qui on refuse une aide médicale, sous prétexte que ce n’est pas urgent. En octobre 1996, lors de la Marche blanche, on a été 300 000 à manifester pour les droits de l’enfant. Où en est le respect de l’enfant aujourd’hui ? A Bruxelles, des présidents de CPAS en sont à refuser d’octroyer une aide médicale urgente sous prétexte que l’enfant se trouve en séjour illégal. Quand on en arrive là, on n’est plus dans des nuances, on n’est plus dans des discussions sur la répartition des richesses, on est au coeur même des valeurs démocratiques. Je ne parle même pas de l’éducation, je parle du coeur de l’existence, la santé d’un enfant. Je pense qu’une forme de préfascisme est déjà à l’oeuvre, et il n’est pas l’apanage des partis les plus à droite.

Le socialisme, le libéralisme, ce sont des projets clairs. Mais le message que vous portez, à quelle idéologie correspond-il ? Les électeurs ont parfois besoin d’étiquettes pour se repérer.

Ce dont je suis certain, c’est qu’il y aura du rouge et du vert. Le mouvement sera antiproductiviste, anticapitaliste, et radicalement démocratique.

On vous reprochera d’être surtout  » anti « .

Je crois au socialisme, mais le socialisme des débuts, celui d’Emile Vandervelde, du Front populaire, de Rosa Luxemburg. Un socialisme ancré dans la réalité des gens. Ceux qui représentent aujourd’hui ce courant ont perdu le contact avec leurs idéaux fondateurs. Ce sont ces idéaux qu’il faut remettre au goût du jour, en passant par-dessus la social-démocratie et tous ses avatars, de Papandréou à Di Rupo. Je continue aussi à croire dans un idéal écologiste. Mais pas une écologie qui se contente de repeindre les entreprises en vert. Le green business, c’est de la mauvaise magie. C’est une conviction qui s’est renforcée en moi au fil de mes dix années loin de la politique : écologiste, je l’ai toujours été ; anticapitaliste, je le suis devenu. J’ai acquis la certitude que le capitalisme doit disparaître si on veut sauver notre peau. Ce sera lui ou nous.

Entretien : François Brabant

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