» Je n’attends plus rien des Flamands « 

Bart De Wever remet le curseur de la N-VA sur le communautaire. Et maintenant, on fait quoi ?  » On redresse la Wallonie et vite, bon sang ! « , tonne le député régional MR. Qui appelle le Wallon à ne compter que sur lui-même pour ne plus être dépendant sans devenir… indépendant.

Il insiste : il s’exprime à titre personnel et n’engage pas son parti, le MR. Que Bart De Wever retourne à ses amours communautaires laisse Jean-Luc Crucke parfaitement de marbre. L’élu wallon assure avoir dépassé le stade de l’émoi ou de l’indignation devant ce qui obsède la Flandre nationaliste. En revanche, il bout littéralement quand il exhorte à se concentrer sur la priorité :  » Parlons de la N-VA ? Non, parlons de la Wallonie !  »

Le Vif/L’Express :  » Je n’ai jamais été dupe par rapport aux Flamands. Je sais où ils veulent en venir, et pas seulement la N-VA « , déclarez-vous au parlement wallon. Alors, où veulent-ils en venir ?

Jean-Luc Crucke : Je ne crois pas que la N-VA seule ait un agenda communautaire. Pour avoir siégé au Parlement fédéral, je me souviens y avoir entendu des propos flamingants venant du CD&V, parfois de l’Open VLD ou du sp.a, autant que de la VU à l’époque. N’oublions jamais le vote en 1999 par le parlement flamand, à la quasi-unanimité, des résolutions visant, non pas à l’indépendance de la Flandre, mais à une autonomie plus forte. Là, ils ont poussé le bouchon très loin.

Revendiquer davantage encore d’autonomie de la part de la Flandre, c’est toucher à l’os de la construction belge ?

Non, je ne le pense pas. Ce qui exaspère les Flamands autant que moi en tant que libéral, c’est ce système mis en place en Wallonie par une majorité de gauche : il est inefficace, extrêmement coûteux, lourd à gérer et empêche la Wallonie de se redresser. Rien à voir avec une haine du Wallon. Arrêtons de pointer l’autre du doigt : c’est un leurre. Certains n’ont que la N-VA à la bouche pour mieux masquer le fait qu’ils ne veulent ou ne savent rien faire pour relever la Wallonie. Arrêtons de parler de la N-VA, parlons de la Wallonie !

Parlons encore de la N-VA : vous ne lui donnez pas entièrement tort dans son raisonnement ?

La N-VA a des facettes qui m’exaspèrent : ses expressions en termes de valeurs sont parfois limite. Moi, je crois en une société pluraliste où tout le monde peut et doit trouver sa place. Pour moi, quelqu’un qui n’est pas wallon, belge ou européen, n’est pas pour autant mauvais. Je ne fonctionne pas dans cette logique. Le Wallon comme le Bruxellois, qu’on l’aime ou pas, a autant besoin et droit au respect que le Flamand. Si j’étais Flamand, je n’appartiendrais pas à la N-VA, parce que je suis d’abord libéral.

Retour au parlement wallon. Début mars 2015, vous y précisez votre pensée :  » J’ai peur quand j’entends certains penser encore que les Flamands pourraient aider la Wallonie. Il ne reste même plus dix ans.  » Dix ans, c’est l’échéance qu’évoque la ministre N-VA Liesbeth Homans pour espérer la fin du pays : 2025. Les grands esprits se rencontrent ?

Je ne m’aligne certainement pas sur l’agenda de Liesbeth Homans, mais je maintiens : il nous reste moins de dix ans avant d’atteindre le point de non-retour, c’est-à-dire le début de la fin de l’impôt de solidarité nord-sud inscrit dans la dernière réforme de l’Etat. Les Wallons ne sont pas assez conscients que, sans mesures à prendre dès aujourd’hui, cela ira encore plus mal demain.

Les Flamands ne feront plus de cadeau à partir de 2025 ?

Mais c’est la loi qui en a décidé ainsi. Elle a été votée par tout le monde, y compris le PS et le CDH ! Je n’attends plus rien des Flamands, je ne les attends plus pour redresser la Wallonie, je ne compte pas sur les autres pour résoudre nos problèmes. Refédéraliser des compétences serait tout aussi dingue. Le Wallon ne peut et ne doit compter que sur lui-même pour se redresser.  » Aide-toi et le ciel t’aidera.  »

Il vous arrive aussi de vous épancher au parlement :  » Vous connaissez mon coeur wallon, il évolue de plus en plus vers cette indépendance que nous aurons un jour.  » La Belgique n’y a plus sa place ?

Oui bon, c’est mon côté romantique qui a parlé ce jour-là… Nous avons tous un côté romantique, pas vrai (sourire) ? Non, je ne crois pas à une division du pays. Je suis pour une Belgique forte, au travers de quatre Régions fortes. Ce sont elles qui permettront de maintenir le pays. Voilà pourquoi nous devons redresser la Wallonie. Redresser la Wallonie, c’est servir le pays.

Mais cette marche programmée de la N-VA vers l’indépendance, faut-il la subir ou bien la forcer en prenant les devants ?

Je ne perds pas mon temps à lire l’avenir de la Flandre à travers les astres de la N-VA, ni du CD&V, de l’Open VLD ou du sp.a. Ma grille de lecture à moi est wallonne. Je dis : il faut arrêter de gémir, de pleurer, de cultiver l’effet Calimero. C’est parce que la Wallonie reste économiquement faible, qu’on lui tape dessus encore plus fort. Le Wallon a aussi besoin d’orgueil. Il doit réagir. Et cesser de faire semblant de réagir !

Votre  » PS bashing  » ne vire-t-il pas à l’obsession ?

Pas du tout. C’est ce modèle socialiste qui fait tant de mal à la Wallonie. Je le dis à mes amis socialistes : osez votre changement mental, vivez dans le XXIe siècle, abandonnez vos recettes éculées ! On me traite de néolibéral, de droite : j’en suis fier. Mais je refuse qu’on me taxe de  » mauvais wallon  » parce que j’affirme que la situation en Wallonie ne s’améliore pas. Je rejette cette culture unanimiste de certains socialistes wallons qui pensent que parce qu’ils sont socialistes, ils ont tout à dire.

Le plan B francophone se résume à ça : redresser la Wallonie ?

Un plan B ? Je n’y crois vraiment pas. Ce qu’il faut, c’est une réforme de l’Etat intrafrancophone, entre Wallons et Bruxellois. Il faut travailler aux structures institutionnelles et opérationnelles qui font fonctionner la Wallonie et l’entité francophone, pour les rendre plus efficaces, moins lourdes, moins morcelées. Cela ne nécessite que du courage. Je comprends que l’aspect alimentaire de la chose puisse faire peur ou faire mal à certains, mais bon…

Le credo communautaire et indépendantiste de la N-VA, c’est une piqûre de rappel bienvenue pour réveiller le Wallon ?

Si cette sortie de la N-VA peut en secouer certains, tant mieux.

Le Vlaamse Volksbeweging, leMouvement flamand, prétend, lui, que les francophones seront les premiers à larguer les amarres, que leur plan B est déjà un plan A. Ce sont les francophones, les vrais séparatistes ?

(Haussement d’épaules) Libre au Mouvement flamand de croire que les noisettes poussent dans l’eau. Cela ne m’émeut pas. Quand nous aurons relevé la Wallonie, alors nous déciderons. Je ne réclame pas l’indépendance sur le plan institutionnel, mais je ne veux plus que la Wallonie soit dépendante. Etre dépendant des autres, c’est subir leur poids.

Il se dit même dans les cercles flamingants que la Flandre ne saurait toujours pas vraiment ce qu’elle ferait de son indépendance. Cet état d’impréparation a quelque chose de rassurant ?

Je n’en sais rien. Cela peut être rassurant pour autant que cela n’ait pas un effet endormant et n’incite pas les francophones à ne pas accomplir les efforts nécessaires.

Entretien : Pierre Havaux

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