» Je n’ai pas pillé les richesses de mon pays « 

Affaire des  » biens mal acquis « , Françafrique, droits de l’homme… Le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso, qui s’apprête à se faire réélire, répond au Vif/L’Express.

Entouré d’un aréopage de flatteurs, Denis Sassou N’Guesso, 66 ans, reçoit dans un pavillon sans charme, à l’entrée de sa résidence de Mpila. Si la mort, le 14 mars, de sa fille aînée, Edith Lucie, qui s’est éteinte dix semaines avant son époux, Omar Bongo, l’a rudement éprouvé, le président du Congo-Brazzaville n’en laisse rien paraître. En revanche, dès qu’une question l’irrite, l’ancien para se raidit. Place au sourire figé, aux yeux plissés et à la mâchoire crispée. » Biens mal acquis « , fonds vautours, droits de l’homme : les sujets d’agacement ne manquent pas. Et que dire de son piètre bilan économique et social ? 70 % des 3,6 millions de Congolais, citoyens du 4e pays producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, végètent sous le seuil de pauvreté. A la veille de la présidentielle du 12 juillet, scrutin dénué d’enjeu tant la maîtrise des leviers et des moyens de l’Etat étouffe une opposition atomisée, Sassou répond.

La tournure que prend au Gabon la succession d’Omar Bongo vous inquiète-t-elle ?

>Les choses sont pour l’heure bien engagées, puisque la Constitution a été respectée. Même si les autorités considèrent que l’élection présidentielle ne pourra se tenir dans le délai légal de quarante-cinq jours. Tout ce qu’on souhaite, c’est que les Gabonais tirent les enseignements de ce qui s’est passé ailleurs en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. Quand le président Laurent Gbagbo leur demande de ne pas commettre, en matière de succession, les mêmes erreurs que les Ivoiriens, son propos est pertinent.

Venons-en au dossier des  » biens mal acquis « , ou BMA. A Paris, la plainte relative au patrimoine immobilier de trois chefs d’Etat, dont vous, a été jugée recevable.

>Je n’interdis à personne de mener des enquêtes. Pour autant, je suis très étonné de lire dans des médias respectables, sous la plume de journalistes qui ne me connaissent pas, et n’ont peut-être jamais mis les pieds au Congo, que le président Sassou aurait 112comptes bancaires en France. Je n’en ai aucun. Il y a, derrière cette grossièreté, une volonté de nuire. J’ai d’ailleurs demandé aux banques de publier la liste de ces fameux comptes. J’attends toujours.

Il est établi que votre entourage proche en détient une centaine.

>Je n’en sais rien. Cela les engage. Les collaborateurs, les parents, les enfants sont majeurs et responsables. Eux mènent leur carrière, posent des actes et doivent en répondre. Ils ont des noms, une activité. Interpellez-les, demandez-leur des comptes. Faire l’amalgame avec moi relève de la provocation, de la machination et de la subversion. Le but recherché, c’est de susciter le mécontentement et de porter atteinte à la stabilité d’un Etat.

Qu’en est-il de la villa Suzette, au Vésinet, dans la région parisienne ?

>Cette villa, désaffectée et située le long d’une voie ferrée, je l’ai acquise en 1983, lorsque j’ai envoyé mes enfants étudier en France. Ils y ont vécu le calvaire : parfois, il n’y avait ni chauffage ni eau. Je ne crois pas avoir, avec l’achat d’une maison presque à l’abandon, réhabilitée vingt-cinq ans durant, pillé les richesses du Congo. Plus tard, j’ai pu acquérir un petit appartement au deuxième étage d’un immeuble de l’avenue Rapp, à Paris. Lorsque vos confrères de la télévision filment l’édifice, présenté comme un hôtel particulier dont je serais le propriétaire, ils trompent l’opinion congolaise, africaine, européenne, mondiale. Je trouve ça honteux. Voilà ce que j’appelle de la désinformation et de l’acharnement. Sur ce vacarme flottent des relents de néocolonialisme, voire de racisme. Sinon, on aurait aussi parlé des milliers de dirigeants du monde entier détenteurs de propriétés en France. Or, pas un mot. Tenez-vous bien : si le Congo tente de publier un démenti, l’article ne passe pas. On le refuse. Cette campagne repose sur les écrits d’ONG anglo-saxonnes de mèche avec les médias de France.

La villa du Vésinet appartenait officiellement à votre frère aîné, Valentin, décédé en 2004, et non à vousà

>C’était voulu. Je l’ai achetée et j’ai décidé de la mettre au nom de mon frère, un paysan venu du village qui n’avait pas de quoi s’offrir un tel logement. C’est un bien familial.

Dès lors, allez-vous régler les 600 000 euros de factures impayées dus à la société IDA ?

>Si des travaux ont été effectués et que l’entrepreneur est dans ses droits, il peut réclamer les sommes dues et il sera payé.

Savez-vous que la cession de la villa à la société luxembourgeoise Matsip Consulting fait l’objet, au Grand-Duché, d’une procédure judiciaire, la signature de votre aîné, Valentin, ayant été contrefaite ?

>Je ne suis pas sûr de cela. En tout cas, il n’y a eu aucune man£uvre de ma part.

Bizarrement, la même Matsip intervient dans le règlement d’une Aston Martin B9 achetée en 2004 par votre neveu Wilfrid.

>Celui qui a acquis cette voiture est-il vivant ?

A notre connaissance, oui.

>Eh bien, adressez-vous à ce monsieur-là.

Votre famille possède-t-elle un hôtel particulier rue de la Baume à Paris ?

>Ma famille ou moi-même ? Je ne suis pas au courant. En tout cas, il ne s’agit pas d’un acte posé par moi.

Vous dénoncez une collusion entre les plaignants engagés dans l’affaire des BMA et les  » fonds vautours  » qui rachètent à vil prix les dettes de pays tels que le vôtre, sommés ensuite de rembourser des montants prohibitifs. Où sont les preuves d’un tel complot ?

>Je vous suggère d’enquêter sur l’origine des moyens dont disposent ces ONG. Qui finance les Transparency International, les Sherpa et autres ? Quels groupes d’intérêt ?

Jugez-vous satisfaisants les arrangements conclus avec la plupart des fonds vautours ?

>Pourquoi la presse ne parle-t-elle jamais de ces pirates qui s’acharnent sur les pays pauvres et gagnent des milliards sur leur dos ? Je persiste et je signe : les médias se sont mis à leur service pour nous salir et salir notre image. Le Congo a essayé de se défendre. Nous avons, par exemple, refusé de payer 300 millions de dollars pour une créance achetée 1,5 million. Et nous avons négocié, afin de parvenir à un accord à l’amiable.

En creux, vos promesses de campagne – électricité, eau courante, routes, santé – résonnent comme un aveu d’échec, tant elles soulignent ce qui n’a pas été fait.

>Vous pouvez le dire comme ça, mais je ne crois pas que les Congolais le lisent ainsi. Si nous n’avons pas apporté l’électricité partout comme annoncé, nous avons créé les conditions pour le faire. Voyez nos chantiers de barrages hydroélectriques, de production d’énergie à partir du gaz, de lignes à haute tension. L’effort engagé continue.

Les  » Etats-Unis d’Afrique  » sont-ils, à vos yeux, une chimère ou une ambition réaliste ?

>Pas une chimère. Je crois fortement à cette idée de gouvernement panafricain. Reste à s’accorder sur la démarche. Il y a, parmi les 53 pays de l’Union africaine, ceux qui veulent qu’on y aille tout de suite, sans préparation d’aucune sorte. A l’inverse, je suis favorable à une approche graduelle. Souvent décriée, la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA) a accompli sa mission historique : la libération politique du continent. On veut aller plus loin.

A l’ONU, l’Afrique obtiendra-t-elle un siège de membre permanent du Conseil de sécurité ?

>Ce ne serait que justice. On ne va pas faire le monde sans l’Afrique.

Qui doit occuper ce fauteuil ? L’Afrique du Sud, le Nigeria, le Congo ?

>Ça, c’est notre affaire. Réglons d’abord la question de fond.

La présence d’invités africains lors de tel G 8 ou de tel G 20 modifie-t-elle la donne ?

>Le monde est régi par les rapports de force. Si, pour une fois, l’Afrique peut se faire entendreà Je l’ai représentée au G 8 de Saint-Pétersbourg. Est-ce que ça a changé quelque chose ? Pas vraiment. Mais ce que j’avais à dire au nom du continent, je l’ai dit.

 » Le Congo, affirmez-vous, ne connaît ni la forme ni la couleur de la Françafrique.  » Par quel prodige y auriez-vous échappé ?

>Les réseaux parallèles ont existé. Reste à savoir s’ils étaient le prolongement du colonialisme. Une certitude : ils n’ont pas été montés dans l’intérêt de l’Afrique. Ma génération, qui n’avait que mépris pour ces pratiques, est entrée en politique pour les combattre. N’inversons pas les rôles. A lire votre presse, c’est l’Afrique qui veut ces réseaux. Faux : nous n’avons besoin que d’un partenariat dans le respect des intérêts mutuels, d’une coopération saine. Si la France désire laisser tomber ces vestiges du passé, nous sommes preneurs.

L’opposition congolaise préconise un report de l’échéance présidentielle du 12 juillet, afin de procéder à une révision fiable des listes électorales. Y êtes-vous prêt ?

>Rien ne justifie un tel report. Toutes les conditions sont réunies pour que ce scrutin se déroule dans la transparence totale. Les engagements pris lors de la  » concertation nationale  » de la mi-avril ont été tenus.

Tel n’est pas l’avis de vos rivaux, qui laissent planer la menace d’un boycott.

>Nous ne souhaitons pas cette issue. Mais on n’oblige personne à faire acte de candidature.

Peut-on espérer un scrutin équitable, à la différence des législatives de 2007 et des locales de 2008, entachées par la fraude ?

>Il n’y a pas eu de fraude, mais des dysfonctionnements, d’ailleurs reconnus par le gouvernement et corrigés.

Avez-vous la certitude que la mort, en février, de Bruno Ossébi, opposant grièvement brûlé dans un incendie fatal à son épouse et à ses deux filles, était de nature accidentelle ?

>Je n’ai pas encore eu la démonstration du contraire. A l’époque, un député de la majorité a péri dans le même quartier, dans des circonstances analogues. Affirme-t-on pour autant qu’il a été assassiné ?

Dix ans après les faits, les parents des  » disparus du Beach « , ces réfugiés de retour de l’ex-Zaïre arrêtés au débarcadère de Brazzaville, réclament  » vérité et justice « . Quand obtiendront-ils l’une et l’autre ?

>Il y a eu en 2005 un procès public radiotélévisé. Personne n’a apporté la preuve que 350 Congolais avaient été tués et jetés dans le fleuve. On a même parlé d’un bûcher au c£ur de la capitale, que j’aurais contemplé de la fenêtre de mon palais. Absurde.

Propos recueillis par Vincent Hugeux

« le but, c’est de porter atteinte à la stabilité d’un état »

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