» Je m’interroge sur la bonne stratégie à mener « 

Gérard Deprez, sénateur MR, ex-président du PSC, annonce son envie de briguer un nouveau mandat. Tout en confiant ses doutes quant à l’avenir du mouvement qu’il a fondé, le MCC.

L ‘ancien président de parti aux opinions péremptoires et aux analyses tranchées fait aujourd’hui face au doute. Et s’il s’était trompé de stratégie ? Que faire ? Il hésite. Arrivé à la tête du Parti social-chrétien (PSC) en 1981, Gérard Deprez y est resté quinze ans. Puis, sa trajectoire a bifurqué : en 1998, il fonde le Mouvement des citoyens pour le changement (MCC), qu’il arrime au MR. L’espoir ? Constituer une force capable de ravir au PS le leadership en Wallonie. Espoir déçu. D’où les doutes.

Le Vif/L’Express : A 70 ans, vous souhaitez entamer un nouveau mandat. Qu’est-ce qui vous motive ?

Gérard Deprez : Le goût…

Le goût de quoi ?

Le goût de faire les choses qui sont nécessaires et de changer celles qui doivent l’être. Votre hebdomadaire a établi un classement des parlementaires les plus actifs : mon score était au-dessus de la moyenne. Physiquement, je me porte bien. Intellectuellement, je n’ai pas l’impression d’avoir décliné. Donc je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas me déclarer candidat à la candidature. Si mon parti la retient, je ferai campagne avec plaisir. Sinon, je n’en mourrai pas.

Votre choix de coeur, ce serait d’être candidat à quel endroit ?

Je dirais en premier lieu au parlement européen, où j’ai siégé vingt-cinq ans. Le deuxième choix, ce serait d’aller à la Chambre. Dans quelle circonscription ? Il y a des provinces où je ne suis pas forcément souhaité, d’autres où je pense que je ne ferais pas un bon résultat, ça limite le choix. Je suis d’origine luxembourgeoise. J’ai habité dans le Brabant wallon. Et j’ai une petite maison à Chièvres, dans le Hainaut. Bref, il y a plusieurs options.

Que pensez-vous pouvoir apporter au MR ?

Il y a certains dossiers où, compte tenu de mon origine sociale-chrétienne, j’ai une sensibilité un peu différente, qui peut être utile au MR… Je constate aussi qu’au Sénat, à la commission des Réformes institutionnelles, où nous avons théoriquement deux membres, on m’a laissé seul 90 % du temps. Manifestement, vu mon expérience, on me fait confiance pour porter le point de vue du MR dans ce domaine-là.

Selon le politologue Carl Devos, après trente ans de plomberie institutionnelle, la Belgique a aujourd’hui besoin d’un architecte. Vous partagez le diagnostic ?

Je vais vous étonner : des architectes, il y en a. Le problème, c’est qu’ils n’arrangent pas nécessairement les francophones. Quand vous examinez les propositions de la N-VA, vous voyez que ce parti a un dessein assez clair. Vous avez aussi un semblant de projet, en tout cas sur le plan conceptuel, au CD&V : face au confédéralisme de la N-VA, qu’ils qualifient de confédéralisme négatif, les chrétiens-démocrates flamands défendent un confédéralisme positif. C’est du côté francophone qu’on ne voit pas d’architecte.

Pour quelle raison ?

En fait, depuis la réforme institutionnelle de 1993, les francophones étaient globalement contents : le maintien d’un Etat fédéral doté de pas mal de compétences, l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui reconnaissait les droits électoraux des francophones de la périphérie, une loi de financement corrigée en 2002…

C’est pourquoi les francophones n’étaient  » demandeursde rien  » ?

Voilà. Et la vérité m’oblige à dire que nous n’avons pas non plus été demandeurs de la dernière réforme de l’Etat. Nous y avons consenti. Je ne connais personne, du côté francophone, qui réclamait la scission de BHV, une modification structurelle de la loi de financement ou le transfert de certains pans de la sécurité sociale. J’ai connu des périodes où certains partis francophones, notamment le PS, demandaient de profonds transferts de compétences. Mais ces vingt dernières années, tous les francophones étaient quasi sur la même ligne. On a arrêté notre boulier-compteur institutionnel en 1993. C’est ça, le malentendu entre les Belges. Du côté francophone, il n’y a pas d’architecte, puisque les réformes qui ont suivi celle de 1993, nous ne les avons pas voulues. Sur le plan institutionnel, les Flamands essaient de réaliser des percées, ils veulent pousser toujours plus loin le curseur de l’autonomie. Tandis que nous, francophones, nous avons une stratégie de containment.

Empiler les sacs de sable, dans l’espoir de freiner la prochaine percée flamande : pas très enthousiasmant, comme stratégie.

Je vais vous répondre par une question : pensez-vous que les Flamands continueraient à demander une profonde réforme de l’Etat si les Wallons étaient plus riches qu’eux et si les transferts allaient dans l’autre sens ? Seconde question : que se passerait-il si, à l’intérieur du pays, Bruxelles devenait une capitale multilingue, où les Flamands se sentiraient aussi à l’aise que dans n’importe quelle ville flamande ? Une fois que vous avez réglé ces deux problèmes-là, vous avez réglé le problème de la Belgique.

Cela arrivera un jour ?

Il y a des signaux positifs. Durant deux ou trois ans, le taux de croissance a été légèrement plus élevé au sud du pays qu’au nord. Quant à l’avenir de Bruxelles, mais aussi de la Wallonie et de la Flandre, il passe par la création de vraies écoles bilingues français-néerlandais. Les Flamands ne bougeront jamais, ils ont peur… A nous, francophones, de faire le premier pas, dans notre intérêt !

Vous avez décidé, en 1998, de quitter le PSC. Sans regret ?

Je vous corrige : je n’ai jamais voulu quitter le PSC. L’origine du différend entre le parti et moi vient du fait qu’en 1977, j’ai proposé de créer une fédération pour réunir les sociaux-chrétiens et les libéraux. Par la suite, je n’ai jamais abandonné cette idée de mettre sur pied une alternative à la domination socialiste, pour qu’on ne soit pas toujours dans le même moule, avec les mêmes personnes. Regardez : Laurette Onkelinx – et j’ai de l’estime pour elle – est ministre depuis plus de vingt ans. Les autres partis font en permanence la danse du ventre devant le PS, en espérant être choisi comme partenaire. Il faudrait quand même changer de modèle.

Sauf qu’aujourd’hui, le MR gouverne au fédéral avec les socialistes depuis quatorze ans, tandis que le PSC, rebaptisé CDH, a évolué sans vous.

Oui, et ça n’a jamais été gai pour moi. Quand le PSC a refusé mon idée de fédération avec les libéraux, je me suis dit : je vais quand même faire quelque chose pour indiquer qu’il y a moyen d’aller dans cette direction-là. D’où la création du MCC. Mais ce n’était pas le premier choix, ça. Je voulais construire autre chose, et je n’ai pas réussi à le faire. Au fond, je reste un social-chrétien, un centriste. Je n’ai jamais changé.

Si vous quittez la vie politique active, le MCC continuera d’exister ? On n’y voit pas de nouvelles figures émerger.

Vous touchez là une question délicate. Un certain nombre de libéraux pensent que plus le CDH est faible, mieux c’est. Je n’ai jamais pensé ça. Le MCC a contribué – modestement – au renforcement du MR, qui représente aujourd’hui, de loin, la deuxième force politique francophone. Mais si le but, demain, est simplement de pomper des voix au centre, par l’entremise du MCC, afin de remplacer le CDH au pouvoir en alliance avec les socialistes, je dis : ce n’est pas mon trip. Je n’ai pas fait tout ce que j’ai fait pour ça. Donc aujourd’hui, je suis un peu gêné aux entournures, parce que je m’interroge sur la bonne stratégie à mener.

Entretien : François Brabant

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