Jazz normal et Van Dormael

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’actualité belge, toujours fournie, révèle le premier album d’Olivier Collette, rappelle l’inventivité de Jean-Pierre Catoul et restitue l’originalité musicale de Pierre Van Dormael

Sans être exégète de la discographie de Pierre Van Dormael, on sait que ce guitariste belge n’a cessé de creuser un talent particulier, jouant avec nombre de musiciens aventureux, dont les trois futurs AKA Moon au sein de Nasa Na. Ce n’est trahir aucun secret en soulignant que Pierre – frère de Jaco et compositeur de la très belle BO du Huitième Jour – place ses convictions spirituelles au coeur même de son travail. Sur le nouvel album, il ne saurait être plus clair en déclarant « Ce disque est dédié à la vie, à mes parents Armand et Suzanne, à Dieu qui est et donne la vie ».

Au-delà de cette conviction – peu fréquemment proclamée sous nos latitudes -, l’auditeur peut imaginer que Van Dormael, formé à la rigueur du prestigieux Berklee College de Boston, convoque sa propre vision suprême de l’Harmonie. Propriétaire d’une technique guitaristique qui n’est pas sans évoquer la fluidité inventive de Philip Catherine, Van Dormael propose Vivaces, un album concocté avec nombre de musiciens inspirés: entre autres, les frères Van Der Werf, le pianiste Kris Defoort, le batteur Stéphane Galland et le percussionniste afro-belge Ben Ngabo. C’est précisément dans le domaine de la rythmique que Van Dormael installe quelque chose d’intéressant. Ainsi, la plage titulaire, de plus de neuf minutes, organise un long périple (pèlerinage?) truffé de percus qui tisse un cadre soyeux où sont convoqués les autres instruments. Cela sonne un peu comme du Santana brûlé au jazz: complexe, mais totalement sensuel. La formule peut être appliquée à la plupart des compositions qui, à l’exception de la dernière, sont signées Van Dormael: elles sortent véritablement des lieux communs du jazz.

La découverte Collette

Sur le premier double album du pianiste Olivier Collette, Joy and Mystery (Mogno Music/Baltic), on ne trouve ni gymnastique risquée ni sortie flagrante d’une certaine convivialité jazz. Plutôt un plaisir persistant à décliner des thèmes intemporels, même s’ils sont parfois colorés sous d’autres bannières, comme le classique ou le beat afro. Jeune instrumentiste formé à bonne école – notamment chez Diederik Wissels et Eric Legnini -, Collette s’entoure de quelques-uns des meilleurs musiciens belges et réussit à nous emporter pendant la durée de deux CD, l’un plus acoustique que l’autre: soit pour une heure et demie de traversées suggestives et de constructions subtiles qui célèbrent la vie. Pour son culot d’oser un double disque, pour la fraîcheur et l’unité de sa musique, ce premier geste musical de Collette est chaudement recommandé.

Assez différent de cet univers consensuel, le Septimana de Pirly Zurstrassen et du regretté Jean-Pierre Catoul (Carbon 7/AMG). Le défunt violoniste s’y montre particulièrement inspiré dans une série de dialogues avec le pianiste Zurstrassen: aux confins du jazz, de la musique contemporaine et de la mélancolie, les compositions servent un film imaginaire. A propos duquel on ne peut s’empêcher de songer à un scénario quelque peu tragique. Après son très beau disque avec Charles Loos, voilà un autre signe posthume que le talent de Catoul n’en était véritablement qu’à son éclosion. Conseillé.

Olivier Collette Quartet est en tournée le 14 décembre au centre culturel d’Eupen, le 15 à la Ferme de la Dîme à Wasseige, le 5 janvier au centre culturel d’Ans, et le 11 au Studio Athanor à Bruxelles. Infos: www.mognomusic.com

A écouter aussi: Crossworlds, projet en septet mené par le contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse; Amazone, du Anne Wolf Trio, notamment accompagné de la chanteuse brésilienne Marcia Maria; O Sonho e o Sorriso, duo des pianistes Charles Loos et Weber Iago (CD distribués par Sowarex).

A lire: Le Jazz dans tous ses états, par Franck Bergerot, Larousse, 276 p.: riche en illustrations et en repères historiques, pour mieux appréhender la musique du siècle.

Philippe Cornet

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