Jane t’emmerde, moi non plus

Après le succès international de son Arabesque – du Gainsbourg à la mode orientale – Jane Birkin réalise Rendez-Vous, un séduisant disque de duos menés avec Bryan Ferry, Brian Molko, Mickey 3D et autres Caetano Veloso

Rendez-Vous sort chez EMI le 30 mars.

D is Birkin, c’est quoi ce vieil accent que tu traînes et qui te rend l’air antipathique ?  » : c’est la première phrase de la première chanson de Rendez-Vous. Elle est signée Mickey 3D, révélation 2003 de la nouvelle pop française, et questionne la Birkin sur ses supposés stéréotypes linguistiques ou vestimentaires. Mais lorsque le Mickey insiste û  » Dis Birkin, c’est quoi ce vieux jean sale que tu trimballes depuis 1969 ? » û la Franglaise se rebiffe et chante :  » C’est que je suis radine. Je m’appelle Ja-ne et je t’em-merde ( sic).  » Drôle de début où l’ex-nymphe gainsbourgienne û 56 ans, depuis décembre û s’amuse à griffer son image d’icône éternellement mélancolique sur une mélodie qui pourrait bien faire un tube.  » Dans cette chanson, je réagis à des années de plaisanteries sur mes jeans, mon accent, mes seins ! Pour le disque, j’avais reçu des chansons un peu gentilles à chanter sur moi-même, mais je ne suis pas gentille ! D’avoir quelqu’un qui m’insulte, j’étais ravie ! Si les gens savaient combien je fais chier mes partenaires !  » Ce Je m’appelle Jane identitaire est aussi l’un des six morceaux originaux de Rendez-Vous, album à nette orientation internationale où l’on croise des stars anglo-saxonnes (Bryan Ferry, Brian Molko de Placebo), italienne (Paolo Conte), brésilienne (Caetano Veloso), japonaise (Yosui Inoue) et bien évidemment françaises (Chamfort, Souchon, Hardy, Miossec, Daho, Manu Chao). Ainsi qu’une prometteuse jeunesse canadienne nommée Feist.

Hormis une échappée solitaire sur un vieux titre de Souchon ( Port-Bail), Jane Birkin duettise avec tous ces beautiful people sur une seyante production musicale de Renaud Letang et Gonzales. Au-delà du  » name-dropping  » un peu étourdissant, le disque sonne comme une entreprise cohérente de pop contemporaine, très éloignée du précédent Birkin, Arabesque, où elle reprenait du Gainsbourg classique dans des arrangements arabisants. Opération vite transformée en plébiscite international.  » A New York, en Turquie, en Angleterre, en Ecosse, en Palestine, au Japon, en Corée du Sud, au Vietnam, en Europe, on a joué partout. A Hongkong, deux soirs de suite devant deux mille personnes, à Bangkok, en ex-Yougoslavie… A Tel-Aviv, le public juif debout applaudissait évidemment les chansons de Serge, mais aussi mes musiciens, tous arabes ! Deux heures de paix ! Je ne pouvais pas sortir d’ Arabesque et me retrouver toute seule. Donc, ces duos ont été l’occasion de nouveaux rendez-vous.  »

Une Anglaise et le continent

L’un des points intéressants du disque est qu’on y entend Jane chanter en anglais. Dans le merveilleux In Every Dream Home a Heartache û classique de Roxy Music 1973 û, elle rejoint Bryan Ferry et son  » bri- tishissime  » dandysme vocal. Mais, protéiforme, Birkin est aussi apte à se fondre dans les limbes mélancoliques d’un titre signé Beth Gibbons (chanteuse de Portishead) et de se donner complètement au Smile écrit par Brian Molko. De sa voix toujours incroyablement prégnante, Molko a impressionné l’ex-fan des sixties :  » En Angleterre, ils vont peut-être sortir Smile comme premier single : les paroles sont incroyablement malicieuses. Vous avez sans doute compris qu’on y parle de pions, de stratégie humaine, de Procter & Gamble et de putes. Ce n’est pas une chanson scoute et, en plus, cette idée de sourire est jolie, puisque le sourire utilise moins de muscles que de froncer les traits, qui rend simplement hideux. Molko s’en sort avec ambiguïté et charme. Comme tous les déracinés, il est intelligent parce que vastement bien éduqué, mais se démerdant tout seul, refusant de se laisser catégoriser…  »

Anglaise du continent, Jane est à l’aise dans ce disque parce qu’elle s’évade de l’image qu’elle trimbale depuis trente-cinq ans : brésilienne le temps d’un duo enchanteur avec Caetano, italienne sur les ronchonnements mélancoliques de Paolo Conte, anglaise toujours, mais de façon exotique, sur un titre composé et raconté par la star nipponne Yosui Inoue, elle voyage dans les chansons des autres en attendant d’offrir les siennes.  » Après Arabesque, je me suis mise à l’écriture et j’en suis à une demi-douzaine de titres en anglais pour un album que je voudrais continuer à écrire en partant dans ma maison en Bretagne.  » La fièvre de l’écriture, Jane l’a déjà croisée dans Oh pardon, tu dormais, texte de son cru, adapté au cinéma (en français) en 1992 pour un film au retentissement modeste, mais également sorti en livre et proposé dans une version théâtrale par la BBC.

Quitter Serge

Si le temps ramène l’anglicité de Jane, il ne lui fait pas oublier le cercle de ses intimes frenchies qui visitent Rendez-Vous : Françoise Hardy, sur un titre de Biolay/Keren Ann, Etienne Daho et La Grippe antédiluvienne repêchée chez Higelin-Fontaine, Souchon chantant Chamfort et Chamfort chantant Duvall. Sans oublier le visiteur Manu Chao et le chéri de ces dames, Miossec, avec lequel Jane a déjà travaillé sur A la légère, en 1998. En compagnie du Breton timide, Birkin redéfinit littéralement Pour un flirt avec toi, le tube sucré de Michel Delpech. Dans une complicité entendue, ils en livrent une version ralentie, sexuée et troublante qui est sans doute l’objet musical de ce disque le plus proche de l’univers gainsbourgien. Le seul, peut-être, puisque Rendez-Vous multiplie les manières d’éloignement définitif.  » Sur ce disque, je ne me pose même plus la question de la présence de Serge. Je ne fais pas le deuil de sa personne mais de ses dons à moi, je commence à accepter que les mots qu’il a écrits pour moi aillent chez d’autres, chez la petite Vanessa Paradis ou chez Ute Lemper qui, lors d’un hommage jazz à Serge, à Montreux, a chanté Amours des feintes. Et ce, même si j’ai horreur de cette idée qu’on tourne la page : on ne la tourne pas. En fait, on incruste une page sur une autre et on va finir comme une sorte de mille-feuilles…  »

Entretien : Philippe Cornet

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