Israël – Un Bibi bis ?

Ses partisans le jurent : favori des législatives anticipées du 10 février, Benyamin Netanyahu a changé, appris, mûri. Pas au point, toutefois, de renier son idéologie droitière, véritable héritage familial.

Cet homme-là a de toute évidence un problème d’image. Le 27 janvier, à l’instant où Benyamin Netanyahu rallie d’un pas nonchalant le pupitre du Centre de conférence international de Jérusalem, théâtre du meeting de lancement de la campagne électorale du Likoud, l’écran géant dressé en fond de scène rend l’âme et un brouillard pointilliste vient ronger l’effigie de l’orateur. Escamoté ici, le visage de  » Bibi  » surgit ailleurs, sous des traits peu flatteurs : dans un spot télévisé de Kadima, le parti de sa rivale Tzipi Livni, les aiguilles d’un détecteur de mensonge s’affolent à l’énoncé des reniements passés de Netanyahu, au point de dessiner son portrait stylisé. Allusion transparente au sobriquet que le favori des législatives du 10 février traîne comme un boulet : Bibi Ha-Shakran – Bibi le Menteur.

Si les sondages, eux, disent vrai, il y a prescription. En clair, on pardonne à celui qui fut Premier ministre de 1996 à 1999, puis hérita du maroquin des Finances, ses performances controversées. Son staff martèle ce message : Bibi a changé.  » Il a mûri, assène son ami intime Meyer Habib, vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Je le sens serein, prêt pour le job. Un grand cru qui se bonifie avec l’âge.  » Autre mantra en vogue chez les fidèles : le patron a tiré les leçons de ses erreurs.  » Il n’écoutait pas, négligeait le travail d’équipe, concède un de ses parrains du Likoud. L’épreuve des Finances l’a transformé. Sous l’£il d' »amis » enclins à miser sur son échec, Bibi a su imposer des mesures impopulaires mais vitales. Et je le crois plus attentif à l’impact social de son credo libéral.  » Souhaitable : pour les sacrifiés de la purge thatchérienne qu’infligea Bibi au pays, celui-ci demeure le  » tueur d’emplois « .

Aux Etats-Unis, il se faisait appeler Ben Nitay

Qu’en dit l’intéressé ? En quoi le Netanyahu 2009 diffère-t-il de son cadet ? La réponse tient en une boutade livrée d’une voix de baryton :  » Older, heavier and wiser.  » Plus vieux, plus lourd et plus sage. Durant la guerre de Gaza, il prend soin d’afficher une posture patriotique, revêtant sur le front des médias la robe d’avocat international d’Israël. Un rôle dont il connaît les ficelles. C’est au jeune diplomate en poste à Washington qu’échoit en 1982, au lendemain des massacres de Sabra et Chatila, la tâche ingrate de plaider la cause – indéfendable – de l’Etat hébreu. Neuf ans plus tard, lors du sommet de Madrid, le voilà porte-parole du Premier ministre d’alors, Itzhak Shamir, virtuose entêté et bougon, envers les Palestiniens, du statu quo perpétuel. De même, en 1991, quand les missiles irakiens glacent d’effroi Tel-Aviv, sur fond de Tempête du désert, son aisance et son accent bostonien crèvent les écrans de CNN.

Il faut dire que les Etats-Unis n’ont guère de secrets pour  » Bibi l’Américain « . Il a 14 ans à peine lorsque son père Benzion, historien amer, las de l’ostracisme de l’intelligentsia socialiste, emmène la famille en Pennsylvanie. Etudiant, Benyamin se choisit un nom d’emprunt couleur locale, Ben Nitay, et adopte un temps la citoyenneté américaine. Au terme d’un brillant cursus – architecture, science politique et management – Mr Ben décroche un contrat de consultant dans un prestigieux cabinet de Boston. Reste que ce tropisme yankee lui joue de vilains tours. Ainsi en 1993, lorsque sa troisième épouse, Sarah, apprend par un coup de fil anonyme la liaison que Bibi entretient avec une conseillère. Aussitôt, l’époux volage s’affole et se rue sur les plateaux télé pour confesser en prime time son péché, sous le regard médusé de ses concitoyens. Il y évoque une vidéocassette moins compromettante qu’imaginaire, détenue, à l’en croire, par un de ses rivaux du Likoud ; et enfonce les frontières du ridicule, stigmatisant  » le crime politique le plus abject de l’histoire d’Israël, sinon de la démocratie « . Son couple sera sauvé, moins par ce mea culpa cathodique qu’au prix d’un contrat négocié par avocats interposés. Hôtesse de l’air convertie à la psychologie, Sarah consent à passer l’éponge sur l’incartade, en contrepartie d’un statut de quasi-première dame, très peu conforme à la tradition israélienne. Depuis, le vent a tourné : dorénavant, madame brille par sa discrétion.

Trop américain, Bibi ? Dans la très puérile course à l’obamania qu’ont engagé les prétendants du 10 février – Barack-c’est-mon-copain-Non-je-l’ai-dit-d’abord-et-d’ailleurs-il-t’aime-pas – Netanyahu croit tenir la corde. Certes, il ne sort pas intact de la guérilla des citations que lui livrent les stratèges de Kadima, prompts à exhumer les confidences exaspérées de Bill Clinton sur  » ce type insupportable  » ou les jugements incisifs de Dennis Ross, hier émissaire dudit Clinton au Proche-Orient, réputé influent auprès du nouvel hôte de la Maison-Blanche. En riposte, les conseillers de Bibi invoquent sa rencontre avec Obama, en juillet 2008, et l' » alchimie parfaite  » qu’est censé attester leur long aparté. Au risque du paradoxe, on vous glisse aussi que seul Bibi aurait la carrure requise pour défendre demain les intérêts d’Israël face aux injonctions du parrain américain. Faudrait voir à choisirà

Place à la jeune garde chez les stratèges de campagne

Une certitude : c’est avec l’accent de la côte Est que planchent maints stratèges de campagne du Likoud. Si le vieux gourou réac Arthur Finkelstein épaule dorénavant le super-faucon Avigdor Lieberman, idole des russophones et jadis bras droit de Bibi à la primature, la jeune garde a pris la relève. Natif de Miami Beach (Floride), Ron Dermer est rentré l’été dernier de Washington, où il officiait comme conseiller aux affaires économiques d’Israël. Quant à Bill Knapp et Josh Isay, recrutés en novembre, ils ont £uvré auprès de Clinton ou du maire de New York, Michael Bloomberg. Les sherpas israéliens ont souvent aussi traversé l’Atlantique. Zalman Shoval fut ambassadeur à Washington ; quant à Dore Gold, né dans le Connecticut, il le fut à l’ONU.

Inutile de sonder les mystères du come-back d’un Bibi qui n’a jamais quitté l’arène. Mais qui, pour autant, revient de loin. Cisaillé en 2005 par la fracassante défection d’Ariel Sharon, fondateur de Kadima, le Likoud ne détient que 12 sièges dans la Knesset sortante. Qu’importe : par tempérament, son leader aime batailler dos au mur, avec la rage de l’outsider. Tel est le cas en 1993, lorsqu’il conquiert à la hussarde la direction du parti, aux dépens des  » princes  » du Likoud, Dan Meridor et Benny Begin. Ils le méprisaient, lui les détestait, mais voilà que ces aristos paradent à ses côtés à la tribune des meetings. Douce vengeance. Idem aux législatives de 1996 quand, donné vaincu, il terrasse in extremis un Shimon Peres que plombe le carnage de Cana, camp de réfugiés du Sud-Liban décimé par un raid aérien aveugle, ainsi qu’une épouvantable série d’attentats suicides palestiniens. De là à absoudre Bibi des harangues qui avaient alimenté la vague de haine fatale, en novembre 1995, au chef du gouvernement, Itzhak Rabinà

Peut-on, sans sombrer dans la psychanalyse à trois shekels, hasarder la thèse de la revanche du hors-caste ? Elle tient la route. Car Benyamin a taillé la sienne entre l’ombre du père bientôt centenaire, dont il n’aura cessé de quêter l’estime, et le fantôme d’un frère tombé en héros. Fils aîné de Nathan Mileikowsky, illustre rabbin lituanien qui dirigea une yeshiva de Varsovie, auteur d’une somme sur l’Inquisition espagnole, l’austère Benzion inculque à ses fils les valeurs droitières du sionisme révisionniste. Lui exècre au plus haut point la tiédeur et le compromis ; c’est à la force du canon que doit s’imposer un Etat juif épousant les contours de l’Israël biblique. Aux Etats-Unis, le patriarche fut d’ailleurs le secrétaire de Zeev Jabotinsky, penseur de cette doctrine radicale. A quoi bon chercher ailleurs les sources de l’aversion qu’éprouve Bibi envers tout projet d’Etat palestinien digne de ce nom ? Il peut, en vertu d’un repli tactique, céder sur le partage de Hébron (Cisjordanie), mais on le voit mal renoncer au plateau syrien du Golan, et moins encore au contrôle exclusif de Jérusalem.

La mort de Yonathan, frère aîné fauché en juillet 1976 sur l’aéroport d’Entebbé lors de l’assaut de son commando sur un Airbus d’Air France aux mains de pirates de l’air palestiniens, forge quant à elle sa vision du péril terroriste. Aussitôt, le cadet lâche son cabinet bostonien pour créer une fondation vouée à la lutte contre ce fléau. Lui-même n’a rien du planqué. Il a combattu, comme  » Yoni « , dans les rangs de la Sayeret Matkal, fer de lance des forces spéciales. En 1968, Benyamin prend part au dynamitage de 13 avions de ligne libanais sur l’aéroport de Beyrouth. A peine quatre ans plus tard, le voici blessé à la main lors de la reconquête d’un appareil détourné de la Sabena. L’officier qui commandait le raid ? Un certain Ehud Barak.

Un pacte lie aujourd’hui les deux leaders. L’un et l’autre veulent la peau de Kadima, histoire de ramener au bercail les élus et militants séduits par l’aventure  » centriste  » de Sharon. On appelle cela en Israël la formule Barbi, pour Barak-Bibi. Netanyahu privilégie un  » gouvernement de large union « , allant des travaillistes à Lieberman, via les ultraorthodoxes séfarades du Shas. Il redoute, en cas de coalition adossée au seul  » bloc des droites « , de rester l’otage des boutefeux du Grand Israël. Lui qui, au lendemain des primaires du Likoud, dut man£uvrer en coulisse pour reléguer au 36e rang de sa liste un fou furieux nommé Moshe Feiglin, sorti 20e – donc éligible – du scrutin interne. Ce repris de justice défraya la chronique en 1995, lorsqu’il prononça un sidérant éloge du nazisme et de Hitler, mélomane et peintre. Ce qui ne l’empêchera pas ensuite de prôner le retrait d’Israël de l’ONU et la rupture avec l’Allemagne et  » tous les pays antisémites « .

Ainsi, Bibi aurait changé.  » Moins que la réalité qui l’entoure, nuance un de ses confidents. Sur l’Iran, sur le Hamas, il a vu clair avant tout le monde. Il passait pour un épouvantail, mais c’était un prophète.  » Un de plus, donc, sur une Terre tant promise qui en a vu défiler plus de faux que d’authentiques. Il est vrai que l’on soumet rarement les prophètes au détecteur de mensonge. l

de notre envoyé spécial Vincent Hugeux

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