Israël sans boussole

Alors que l’Intifada tourne à la guerre ouverte, les critiques se multiplient face à l’absence de stratégie du gouvernement Sharon, qui semble à bout de souffle

« C’est une guerre et elle durera ce qu’elle durera. Nous devons retrouver nos comportements d’antan et ne faire preuve d’aucune faiblesse envers l’ennemi. » Plutôt partisan du dialogue, le ministre israélien de la Justice, Meïr Chitrit, a changé de ton depuis le déclenchement de la vague d’attentats de ces derniers jours au cours de laquelle une trentaine d’Israéliens ont trouvé la mort et plus de 200 autres ont été blessés, tandis que les attaques et les représailles de l’armée israélienne faisaient un nombre comparable de victimes du côté palestinien. Ces propos inhabituels dans sa bouche cadrent en fait bien avec l’humeur combative de l’opinion israélienne qui semble choquée par les opérations palestiniennes de ces derniers jours et qui espère, dans sa majorité, qu’une « riposte adéquate » leur sera donnée.

Sauf exceptions, la plupart des responsables israéliens semblent avoir abandonné l’idée de reprendre des négociations avec l’Autorité palestinienne (AP) dans l’immédiat. Le fameux « plan secret » concocté par le ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, et le président du Conseil national palestinien, Ahmed Qoureï, – il prévoit la reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant sur une partie des territoires occupés moyennant l’arrêt immédiat de l’Intifada – n’intéresse quasi personne à Jérusalem. Quant à la récente initiative saoudienne – la normalisation des relations entre Israël et les Etats arabes moyennant le retrait de l’Etat hébreu des territoires occupés depuis 1967 -, ni Sharon ni la majorité de droite de son gouvernement n’y croient sérieusement.

Les dirigeants de l’Etat hébreu ne parlent d’ailleurs plus de processus de paix mais de « processus de guerre ». Ariel Sharon promet de « faire mal » aux Palestiniens; le ministre des Finances, Silvan Shalom, a repris sa campagne « en faveur de l’expulsion de Yasser Arafat des territoires », et Ouzi Landau, le titulaire du portefeuille de la Sûreté intérieure, multiplie les interviews pour exiger que « l’on frappe durement les services de sécurité de l’Autorité palestinienne jusqu’à ce qu’ils viennent négocier à genoux ».

Des appels à « la guerre totale »

Conformément aux décisions prises durant la semaine par le cabinet de la sécurité et par le cabinet restreint, Tsahal (l’armée israélienne) multiplie ses opérations offensives dans les territoires « autonomes » palestiniens. Celles-ci sont également plus massives ett beaucoup plus agressives que par le passé. Elles visent aussi bien les casernes des services de sécurité palestiniens que celles de la Sûreté nationale (l’embryon d’armée de l’AP), ainsi que « les relais de l’infrastructure terroriste » (des bâtiments soupçonnés d’abriter des fabriques clandestines d’armes et de ceintures explosives). « La différence entre ce qui se passe maintenant et ce qui se passait avant est simple, explique Ron Ben Ychaï, le chroniqueur militaire de Kol Israël, la radio publique. Avant, Tsahal frappait au compte-gouttes. Maintenant, elle ne prend plus de gants. L’Etat-major a obtenu l’autorisation de porter des coups très durs et il ne s’en prive pas. » Quitte à multiplier les bavures en bombardant à coups de roquettes une voiture transportant une famille civile palestinienne près de Ramallah (3 morts) ou en tirant par un erreur un missile mer-terre sur une école de Khan Younes (dans le sud de la bande de Gaza).

Mais l’atmosphère est tout aussi guerrière du côté palestinien, où les « Comités populaires de l’Intifada » regroupant le Fatah (le parti de Yasser Arafat), le Hamas, le Jihad islamique, ainsi que quelques autres organisations moins connues, multiplient les appels à la « guerre totale ».

Leader du Fatah de Cisjordanie, le député Marwan Barghouti affirme qu' »il n’y a pas de raison de rester les bras croisés si Sharon se permet de faire bombarder les villes palestiniennes ». Interviewé quotidiennement par Al Jazira, la chaîne de télévision arabe d’information continue, et par la Voix de la Palestine, il promet de « répondre coup pour coup et de manière sanglante ». Quant à Hussein Al Cheikh, le concurrent de Barghouti au sein du Fatah de Cisjordanie, il encourage les « Brigades des martyrs Al Aqsa », une milice liée au Fatah, à poursuivre leurs attentats suicides en Israël et il se déclare « fier des actes de bravoure commis par ces martyrs ».

En moins de cinq jours, plus de 60 Israéliens et Palestiniens sont morts des suites d’attentats palestiniens ou de bombardements israéliens. Plus de 300 autres ont été plus ou moins grièvement blessés. Tout porte à croire que cette flambée de violence durera jusqu’à la prochaine visite dans la région du vice-président américain Dick Cheney ou, en tout cas, jusqu’au sommet de la Ligue arabe qui se déroulera à Beyrouth à la fin du mois. Parce que les responsables du Fatah considèrent les événements en cours comme leur « guerre d’indépendance » qui débouchera inéluctablement sur la création d’un Etat palestinien lorsque les Israéliens ne supporteront plus les pertes qui leur sont infligées, et parce que le gouvernement d’union nationale d’Ariel Sharon n’a, de son côté, rien à proposer d’autre qu’une riposte militaire à l’Intifada.

« Un gouvernement sans maître

Divisé entre ses « faucons » partisans de la reconquête des territoires palestiniens et ses « colombes » plus enclines à négocier avec le président en titre de l’AP, le cabinet d’union nationale n’est jamais arrivé à définir une réponse adéquate au soulèvement palestinien. Et encore moins à élaborer un projet politique susceptible de servir de base à de futures négociations. « C’est un gouvernement sans maître où chacun essaie de tirer la corde de son côté et où Sharon passe son temps à jouer les conciliateurs, affirme le chroniqueur politique Yaron Dekel. Un jour il donne aux « faucons » ce qu’ils exigent et le lendemain il compense en faisant la cour aux « colombes ». C’est la loi du zigzag permanent. »

Promis par le Premier ministre à la fin janvier, le débat gouvernemental sur la stratégie d’Israël à l’égard de l’AP n’a finalement jamais eu lieu. Il a sans cesse été reporté « en raison des événements ». Aux dernières nouvelles, il pourrait avoir lieu dans trois semaines, mais l’entourage du Premier ministre ne garantit rien. « Tout dépendra de ce qui se passera alors », dit un des membres du cabinet d’union nationale. Ce qui signifie qu’il sera sans doute reporté à une date indéterminée. « Comme d’habitude! » fulmine l’écrivain et éditorialiste Rami Chalev, une plume du Yediot Aharonot, le principal quotidien de l’Etat hébreu, pour lequel « Sharon n’a rien à dire ni à proposer ». « Elu il y a un an grâce à ses promesses de rétablir la paix et la sécurité, son seul programme consiste à surfer d’attentat en attentat et de riposte en représailles, poursuit-il. Depuis qu’il est Premier ministre, cet homme passe son temps à gagner du temps pendant que ses ministres pérorent sans décider quoi que ce soit. Si vous sélectionnez au hasard trente personnes dans la rue, vous auriez sans doute un meilleur gouvernement que le sien. »

A force de reporter les décisions importantes à plus tard, le cabinet d’Ariel Sharon semble cependant arriver en bout de course. Au sein du parti travailliste (la composante sociale-démocrate de l’équipe gouvernementale), les députés posent clairement la question de leur participation à la majorité. Emmené par Haïm Ramon, l’ancien secrétaire général de Histadrout, le syndicat unique, la majorité d’entre eux exige même le retour immédiat dans l’opposition. Mais les ministres hésitent sur la conduite à tenir. Si certains d’entre eux tel Benyamin Ben Eliezer (Défense nationale) veulent prolonger leur participation gouvernementale jusqu’à la prochaine échéance législative (octobre 2003), d’autres commencent à prendre leurs distances. A commencer par Shimon Peres qui reconnaît qu’il « ne serait jamais entré dans ce gouvernement s’il avait su qu’il en arriverait là ».

Serge Dumont

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