Iron (wo)men de la musique

Douze athlètes du clavier ont, après d’éprouvantes éliminatoires, affronté la finale du concours Reine Elisabeth. Une véritable épreuve de triathlon artistique où il s’agit de porter à incandescence une sonate classique et deux concertos.

Beaucoup considèrent que c’est la plus redoutable des compétitions. C’est en tout cas l’opinion du premier lauréat, l’Israélien Boris Giltburg. Habit de soie noire, posture voûtée et visage penché bas sur le clavier… Dans la mémoire du concours, il éveille le souvenir d’un autre vainqueur-poète, le Russe Valery Afanassiev. Un maintien qui évoque aussi Glenn Gould. Et la ressemblance dépasse le simple look : recherche de l’expression au moyen d’effets d’improvisation très personnels. Ce mercredi 31 mai au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, son originalité explosive dans le troisième concerto de Rachmaninov arrachait une houle de standing ovation. Par ce qu’elle exige de virtuosité titanesque et de musicalité solaire, cette oeuvre est en parfaite symbiose avec l’esprit du concours. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si les trois premiers lauréats ont utilisé ce concerto brillantissime pour se hisser sur le podium de 2013.

Musicalité sportive… Est-ce l’adrénaline qui fait courir si vite les doigts des jeunes pianistes sur les touches du Steinway élisabéthain ? Pourtant, le trac et l’énergie du stress sont inhérents à ce genre de concours. D’où vient alors cette  » accélération  » qui fait qu’on adopte aujourd’hui des tempos aussi époustouflants dans les mouvements rapides ? Prenez l’  » allegro con fuoco  » du Concerto n° 1 de Tchaïkovski et comparez son exécution au fil des décennies. Face aux prestations turbocompressées actuelles, celles des lauréats des années 1970 ou 1980 ont l’air de ronronner au moteur deux-temps. Une fois établi un chrono de référence pour un parcours, c’est comme si on se devait de l’améliorer perpétuellement. Ou peut-être est-ce aussi la faute à l’air du temps. Pour ce distinguer du lot, ne faut-il pas franchir une distance de notes et de mesures toujours plus vite et sans se tromper ? D’autant que, dans les mouvements lents, on assiste à la tendance inverse : des rallentando qui s’étirent à l’extrême. A ce titre, il faut saluer le choix du jury qui ne s’est pas laissé leurrer par les lièvres en couronnant Giltburg. Sans son troisième de Rachmaninov, celui-ci a adopté des tempos très libres et souvent assez lents, sans céder à la tentation de la course.

Quant au concerto inédit que les finalistes doivent apprendre isolés dans leur prison dorée de la Chapelle d’Argenteuil, il renforce encore la difficulté légendaire de l’épreuve. Juste huit jours pour tout mettre en place ! Composée par Michel Petrossian, le concerto de cette année apparaît comme une oeuvre d’éveil, une pâte glaise provisoirement informe, dont les sonorités riches restent comme en suspens. Au pianiste de s’en emparer pour la sculpter à sa mesure. Sinon, c’est l’électrocardiogramme plat, une corvée de concours. A cet égard, la répétition quotidienne de la pièce permet à l’oreille de l’auditeur non averti de trouver ses repères. Comme l’oeil plongé dans la pénombre distingue progressivement des formes.  » Je le détestais, et maintenant il va me manquer « , avouait une jeune femme le dernier soir de finale.

PHILIPPE MARION

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