Intérêts divergents

Souvent, des joueurs sont ballottés entre les besoins de leur club et ceux de leur équipe nationale. A trois mois du Mondial 2002, la décision d’uniformiser totalement le calendrier international facilitera désormais les solutions

A l’occasion du récent match des Diables rouges, en février dernier, face à la Norvège, la moitié des 18 joueurs retenus par Robert Waseige évoluent dans des clubs étrangers. La situation ne sera guère différente, le 27 mars prochain, pour le déplacement de l’équipe nationale en Grèce. Inversement, en janvier passé, en vue de la Coupe d’Afrique des nations, de nombreux clubs belges ont dû céder plusieurs de leurs joueurs africains à l’équipe nationale de leur pays d’origine.

La mise à disposition, par son club, d’un footballeur à l’équipe nationale fait l’objet d’une réglementation précise et contraignante, élaborée par la Fifa (Fédération internationale). Ainsi, les convocations doivent être envoyées par écrit au joueur et au club au moins quinze jours avant le match concerné. La cession du joueur est obligatoire pour tous les matchs de compétition officielle, ainsi que pour au moins 5 rencontres amicales par saison. Pour un match isolé, le club doit libérer le joueur au moins quatre jours avant la rencontre. Ce délai est porté à quinze jours pour une phase finale de compétition, comme, par exemple, celle de la Coupe du monde, en juin prochain. En revanche, la fédération doit assurer le retour du joueur dans son club au plus tard vingt-quatre heures après la rencontre (quarante-huit heures, s’il s’agit d’un déplacement dans un autre continent). Pour le non-respect de chaque cas de figure, des sanctions ou des amendes sont, bien sûr, prévues.

La réglementation découle, en fait, d’une saine logique. Très longtemps, toutefois, la pierre d’achoppement a été la diversité des calendriers d’un pays à l’autre. Mais la Fifa y a mis progressivement de l’ordre. D’abord, il y a cinq ans, elle a recommandé des dates privilégiées pour l’organisation des rencontres. Ensuite, depuis deux ans, elle impose carrément des jours fixes, à la fois pour les matchs des compétitions officielles et pour les rencontres amicales, adaptées toutefois aux particularités climatiques des continents. Mais, à partir de la saison prochaine, sous la pression de l’UEFA (la Fédération européenne), dont les clubs emploient la grande majorité des vedettes africaines et sud-américaines, l’uniformisation des calendriers sera totale, toutes confédérations confondues. En dehors des dates retenues, la convocation pour un match amical ne sera pas contraignante.

L’argumentation de la Fifa est simple: puisque toutes les confédérations se portent candidates à l’organisation d’une Coupe du monde, dont la phase finale se déroule invariablement en juin, l’argument des différences d’hémisphère pour échapper au calendrier établi n’est plus valable. Ce qui est possible pour un « Mondial » doit l’être également pour un championnat continental. Dès lors, malgré ses réticences, la confédération africaine a organisé, pour la dernière fois, sa Coupe d’Afrique des nations en janvier 2002. La prochaine édition aura obligatoirement lieu en juin 2006. Désormais, le seul problème des plus grands clubs sera que leurs meilleurs éléments joueront plus souvent et se fatigueront davantage, pendant que d’autres se reposeront.

L’harmonie ne sera donc jamais totale. Ainsi, des divergences d’intérêts assez vives sont apparues, en novembre dernier, à l’occasion d’un match amical que la France avait programmé en Australie. Loin de céder aux injonctions des grands clubs européens, Roger Lemerre, le coach de l’équipe de France, avait retenu les meilleurs de ses champions du monde pour le long voyage à Melbourne. En effet, championne du monde en titre, l’équipe de France n’a pas disposé, comme ses rivales, du rodage de la phase éliminatoire du Mondial 2002, dont elle a été naturellement dispensée. En Australie, Lemerre voulait soumettre tous ses joueurs à deux éléments qu’ils rencontreront également en juin prochain, en Asie: jouer en déplacement et subir un important décalage horaire.

Les clubs anglais et italiens, employeurs majoritaires des vedettes françaises, ont alors fait pression sur la Fifa pour que celle-ci les autorise à ne céder qu’un seul joueur par club. Lemerre n’a pas cédé: « Ceux qui vivent du vivier français doivent aussi accepter qu’il y ait du retour de temps en temps. » Mais le bras de fer pose une question de fond: l’évolution des intérêts et des mentalités aidant, le football de club ne va-t-il pas, un jour, minimiser le football de sélection, également à cause de l’effacement progressif des sentiments nationaux ?

Pour sa part, Waseige n’a pas de problème à accepter la primauté du club: « C’est lui qui paie très cher le joueur. » Il sait, dès lors, qu’il n’a pas de cadeau à attendre des clubs, sûrement pas de ceux qui sont en crise. D’office, tous les matchs des Diables rouges sont donc fixés aux dates Fifa. En revanche, des arrangements s’effectuent quelquefois, dans l’intérêt de tous. A la demande de l’entraîneur du club, le sélectionneur fédéral peut ne pas faire appel à un joueur que le premier estime fatigué, mais en obtenant l’assurance qu’il sera bien disponible pour une autre circonstance programmée. Un tel prêté pour un rendu entretient les bonnes relations entre les parties prenantes.

Par ailleurs, un joueur qui déclare forfait pour cause de blessure est automatiquement examiné par le médecin fédéral. Non pas par suspicion, mais par souci d’équité. Cela évite aussi que le joueur joue à la carte et choisisse ses matchs. Plus conflictuel s’avère parfois le choix d’une date pour une intervention chirurgicale nécessitant une certaine période d’inactivité. Le club a intérêt à y soumettre le sportif en fin de saison, quand la compétition nationale est terminée. En revanche, dans le cas d’un titulaire international, cela pénalise l’équipe nationale si, comme cette année, se déroule à ce moment une phase finale de Coupe du monde.

Selon le règlement de la Fifa, la fédération nationale ne doit pas dédommager financièrement le club cédant un joueur, ni assurer celui-ci contre d’éventuels accidents corporels. Cette dernière obligation revient au club employeur. La fédération doit uniquement assumer les frais de transport et de séjour. Néanmoins, des conventions existent entre fédérations et clubs. Ainsi, l’Union belge offre au club une indemnité par joueur et par rencontre de 1 900 euros pour un match officiel et de 900 euros pour un match amical. Et elle les protège également par une assurance. En revanche, la majorité des fédérations africaines applique strictement le règlement: ni dédommagement, ni assurance. D’où l’intérêt qu’ont les clubs prêteurs de s’en soucier eux-mêmes.

Enfin, l’uniformisation des calendriers aidant, la Ligue professionnelle vient de supprimer la règle qui permettait à un club belge de demander le report d’un match de championnat si trois de ses joueurs au moins étaient appelés à l’étranger. En effet, souvent l’usage en était abusif: un ou plusieurs des joueurs appelés n’étaient même pas des titulaires dans leur club. Il s’avérait ensuite très difficile de trouver une nouvelle date, qui ne lèse pas au moins un des deux clubs engagés.

Le dernier recours à cette règle aura donc été le match qui opposera, le 16 avril prochain, le GBA au Standard, la veille d’un autre match de préparation des Diables rouges, face à la Slovaquie. Soucieux de garder de bons rapports avec la Ligue, Waseige ne s’est pas opposé à cette date. Malgré un inconvénient de taille: dans la course à la participation au Mondial 2002, les candidats anversois et liégeois ne pourront défendre leur chance de sélection le lendemain.

Emile Carlier

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