Instinct de survie

Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, permet à l’acteur américain de revenir en haut de l’affiche et de savourer sa victoire contre le cancer qui faillit le terrasser. L’occasion de faire avec lui le point sur un parcours semé d’embûches.

Pour un ex-alcoolique en perte de vitesse professionnelle et qui avait un pied dans la tombe il y a peu, Michael Douglas est plutôt pimpant. Certes, depuis le Festival de Cannes et jusqu’à celui de Deauville, les lauriers qu’il reçoit pour sa brillante composition de pianiste follement pailleté et amoureux de Matt Damon dans Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, lui vont bien au teint. Mais pas seulement. Le comédien, 69 ans le 25 septembre, 41 films au compteur, a l’air serein de celui qui revient de loin. En 2010, il a goûté à la mort. Littéralement. Une vilaine tumeur nichée dans le palais, partie pour se métastaser jusqu’aux amygdales. Cancer stade 4. Le plus grave.

Pourtant, deux mois de chimiothérapie plus tard, Douglas reprend du poil de la bête. Et, très vite, le chemin des plateaux. Le voici aujourd’hui, sourire en diamant et voix de stentor.  » Ma santé est bonne. D’après mon dernier bilan, je suis guéri à 95 %.  » Et l’homme n’est pas du genre à s’inquiéter pour les 5 % restants, lui qui a surmonté de nombreux drames et tout autant d’échecs. L’acteur charismatique et producteur génial est un battant dont la  » carrière, dit-il, est un reflet de notre époque « . Le cameraman écolo du Syndrome chinois dans l’Amérique militante des années 1970, le trader impitoyable de Wall Street au sein des années fric 1980, le cadre à bout de nerfs de Chute libre dans les années 1990… Jusqu’à ce Liberace, disparu en 1987, obligé de cacher son homosexualité afin de garder son public, désormais icône gay dans une société plus ouverte au coming out.  » Ce film est surtout pour moi le début du troisième acte de ma vie. Je me sens totalement libre de faire ce qui me plaît.  » Pour comprendre, un retour sur les deux actes précédents s’impose.

Plus d’un se serait d’ailleurs découragé dès le prologue. Son père, l’illustre Kirk Douglas, ne lui dit-il pas, après sa première représentation théâtrale :  » Fiston, tu es épouvantable  » ? Commentaire du fils aujourd’hui :  » Kirk est un homme très spécial. Je le découvre encore tous les jours.  » Le fait est qu’enfant, il ne l’a pas bien connu. Il a 6 ans quand le héros de Spartacus quitte sa mère, happé corps et biens par son métier. Les chiens ne faisant pas des chats, on verra que Michael imitera son père et paie encore le prix fort pour cela. Mais avant, il y a les années 1960, période favorite du comédien.  » Ah ! San Francisco, la musique, l’amour libre… J’étais dans une université où il y avait trois filles pour un garçon !  » Le jeune homme est déluré, hippie jusqu’au bout des cheveux et de ses idées pacifistes qui ne le quitteront jamais – il est messager de la paix pour l’ONU depuis 1998. Un indécrottable optimiste, donc.  » Il y a deux choses que je dois génétiquement à mon père : une ténacité et une énergie hors du commun.  »

 » A l’époque, personne ne voulait de moi comme acteur !  »

Alors qu’il vit chichement de petits rôles au début des années 1970, partageant un appartement miteux à New York avec son pote Danny DeVito, il aurait pu céder à la facilité et jouer les jeunes premiers romantiques en acceptant, par exemple, d’être en haut de l’affiche de Love Story. Mais non. Il s’envole pour la Californie, où il décroche un contrat avec la chaîne CBS. A la clé, 104 épisodes de la série Les Rues de San Francisco, que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Douglas y est un jeune flic fougueux, en équipe avec un vieil inspecteur joué par Karl Malden, père de substitution idéal. Un placebo. Qui ne dure pas. Michael a des choses à prouver à Kirk, qui galère pour financer une adaptation de Vol au-dessus d’un nid de coucou, dont il a les droits. Le fils décide de produire ce projet déclaré insensé par les pontes de Hollywood. Envers et contre tous, il réunit les fonds, mais confie le rôle principal à Jack Nicholson et non à Kirk, jugé trop vieux.  » Quand je le lui ai annoncé, il l’a mal pris « , se souvient-il. Ambiance. Plus de 100 millions de dollars de recettes et cinq oscars, dont un pour le producteur Michael Douglas, donnent raison au fiston. Qui, cela n’aura échappé à personne, ne joue pas dans le film.  » J’aurais volontiers interprété un personnage secondaire, mais, à l’époque, personne ne voulait de moi comme acteur !  » Du coup, quand il finance Le Syndrome chinois, il s’impose dans le casting. Le film remporte un franc succès et quatre nominations aux Oscars. Douglas se voit déjà en haut d’autres affiches, mais se retrouve cloué au lit après un accident de ski. Le genou est en compote.

Trois ans plus tard, tout est à refaire. Il produit A la poursuite du diamant vert, où il joue un aventurier bougon face à une Kathleen Turner romantique.  » Le succès a surtout servi Kathleen, analyse-t-il. Son rôle était plus fort que le mien, un peu comme dans Basic Instinct, où celui de Sharon (Stone) l’emporte sur le flic que j’interprète. Honnêtement, je le vivais très bien. Quand on grandit entouré de comédiens comme Tony Curtis, Burt Lancaster ou Gregory Peck, on ne les voit pas comme des vedettes mais comme des types pleins de doutes. Ce qui évite d’être aveuglé par les feux de la rampe.  »

1987, acte II. Wall Street, d’Oliver Stone. Douglas n’a jamais joué un vrai méchant. Et ce Gordon Gekko, requin de la finance, est la médaille d’or des salauds. L’acteur se lâche, épate tout le monde et décroche un autre oscar, cette fois comme acteur. Dans le même temps, Liaison fatale, avec Douglas en mari infidèle persécuté, connaît un triomphe tel qu’on parle de phénomène de société. Le comédien est enfin devenu une star digne de ce nom. C’est là que Michael Douglas dévisse. Il boit plus que de raison, travaille beaucoup et, comme son père avec lui autrefois, s’occupe de son fils, Cameron, quand il y pense. Sous la plume d’un journaliste, son addiction à l’alcool se transforme en addiction au sexe. La presse people prend l’erreur pour argent comptant. Et pour cause : Douglas sort du sulfureux Basic Instinct, se fait quasiment violer par Demi Moore dans Harcèlement et vient de divorcer.  » Je me suis bien amusé « , reconnaît le célibataire, dont la carapace de séducteur fond illico quand il rencontre Catherine Zeta-Jones.

Deux enfants plus tard, Douglas ne se soucie plus trop que sa filmo soit  » le reflet de son époque « . Il accepte des  » trucs idiots qui (l)’amusent  » et qui ne l’éloignent pas trop de sa progéniture. C’est que les abandons familiaux coûtent cher dans le clan Douglas. Eric, le demi-frère de Michael, meurt en 2004 d’une overdose. Et Cameron, son fils aîné, est condamné, en avril 2010, à cinq ans de prison pour détention d’héroïne et trafic de cocaïne.  » La sentence était juste, reconnaît Douglas. Mais, comme on trouve plus de drogue en prison que n’importe où ailleurs, il a rechuté et a pris quatre ans et demi supplémentaires !  »

La suite dans le troisième acte, donc. Qui, outre la résurrection physique et professionnelle de l’acteur, s’est étoffée du divorce d’avec Catherine Zeta-Jones. Aucune influence à prévoir sur l’hygiène de vie du comédien, plus zen que jamais, concluant cette rencontre avec un conseil transmis par son père :  » Give it your best effort and then fuck it.  » En français élégant du XVIe siècle :  » Fay ce que doy, advienne que pourra.  »

Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, en salles le 30 octobre.

Par Christophe Carrière

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