Hugues Dumont, constitutionnaliste (Facultés Saint-Louis). © BELGA IMAGE

« Impliquer le citoyen dans le divorce ou la reconstruction du pays »

Belgique, stop ou encore? Pour le constitutionnaliste Hugues Dumont (Facultés Saint-Louis), la question doit être tranchée et engager les citoyens. Bien au-delà d’une simple plateforme de dialogue sur l’avenir du fédéralisme.

Les gouvernants résistent de moins en moins à l’appel citoyen à être consulté. Engouement durable ou effet de mode par définition passager?

Attention à ne pas tout amalgamer dans cette montée en puissance de la démocratie participative. Avec ce type de consultations directes sans passer par des interlocuteurs sociaux ou des représentants citoyens, on se situe plutôt dans le registre de l’enquête publique où l’on soumet un projet à la réaction des gens qui y ont un intérêt potentiel. On donne la parole au quidam, éventuellement dépourvu de connaissances particulières sur le thème qui lui est proposé, qui a ses états d’humeur pertinents ou non, et qui est placé sur le même pied que les élus, les représentants d’un secteur ou encore les experts. Ce type de démarche n’est pas dénué d’intérêt mais ne représente certainement pas le Graal. Car la démocratie participative, ce n’est pas seulement mettre sur le même pied chaque individu, c’est aussi créer des collectifs.

Il faut écarter le risque que la boîte à idées ne débouche sur des propositions qui seraient aussitôt décrétées hors-piste.

Consulter en ligne sur une grande échelle, c’est un peu la solution de facilité?

Avant de se précipiter dans une multiplication des formules de démocratie participative, je pense qu’il faut partir de la crise de confiance envers la démocratie représentative, crise très pré- occupante puisqu’elle se nourrit d’une méfiance exacerbée envers la « classe politique », cette formule que je trouve détestable par sa référence abusive à un bloc. Il serait bon d’enseigner au public les vertus incontournables de la démocratie représentative, quoi qu’on en dise et qu’on en pense.

Mais le citoyen ne se satisfait apparemment plus de cette démocratie représentative…

C’est pourquoi contraindre les élus à délibérer et à argumenter avec des citoyens est une bonne chose. Dans ce cas, le processus de démocratie délibérative et aléatoire parce que fondé sur la sélection de citoyens par un tirage au sort qui veille à la plus grande représentativité possible de la population me paraît autrement plus prometteur. L’initiative lancée en Communauté germanophone (NDLR: un conseil citoyen permanent) semble très convaincante.

« Votre avis compte! » est le leitmotiv de ces mains tendues aux citoyens par le biais de consultations en ligne. Peut-on vraiment le croire ou faut-il parler de publicité mensongère?

Tout est dans la « prise en compte » effective des propositions qui sont avancées par les citoyens. Rien n’est pire que se cantonner à une addition d’idées émises par des individus, de les accumuler sans leur apporter une réponse collective et, ce point est essentiel, une réponse motivée. Attention donc à ne pas créer des usines à frustrations. Il ne faut pas tromper les citoyens sur la marchandise, ils doivent pouvoir comprendre dans quelle pièce ils jouent. Il faut écarter le risque que la boîte à idées ne débouche sur des propositions qui seraient aussitôt décrétées hors-piste, pour un problème de compétence du niveau de pouvoir, par exemple.

Mêler le citoyen à la réflexion sur la prochaine réforme de l’Etat, n’est-ce pas jouer avec le feu?

Les citoyens ont été jusqu’ici dépossédés de cette matière, chasse gardée des partis politiques et des mouvements sociaux. On en est arrivé à un degré de complexité institutionnelle tel que la majorité de la population est dépassée et aspire à y voir clair. Ce n’est pas parce que la thématique est complexe qu’il faut se priver de consulter les citoyens et de leur rendre la parole. Mais il faut aller bien plus en profondeur. Il faut lancer la réflexion sur l’avenir même du pays en la confiant à une assemblée constituante élue et spécialement habilitée à statuer sur ce que l’Etat belge doit devenir, à débattre de toutes les hypothèses sans tabou et à se prononcer sur toutes les voies jugées praticables et légitimes, y compris les plus radicales: préparer un divorce par l’option séparatiste ou emprunter la piste d’une reconstruction de l’Etat par un fédéralisme mature. A ce forum délibératif d’élus pourrait être adjoint une assemblée de citoyens tirés au sort. Sous réserve de ses modalités, ouvrir une plateforme de dialogue sur une prochaine réforme de l’Etat, comme l’annonce le gouvernement fédéral, ce ne sera certainement pas le nirvana mais ce sera déjà mieux que rien.

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