© DEBBY TERMONIA

Impératif présent

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : le chanteur Matthieu Chedid, alias -M-.

Quatorze heures, devant le Zénith de Lille. Les fans aux aguets ont pris des sandwichs et des bouteilles pour distraire leur attente. Ce ne sont pas des midinettes, mais des fans de la première heure, des vraies, qui le suivent depuis toujours et qui, ce soir, feront le grand voyage vers leurs vingt printemps. L’époque, pas si lointaine, où -M- débarquait comme un astéroïde sur scène, looké comme un chat dans un costume à paillettes et qui balançait de la poésie sur de la musique kitsch. Ce soir, c’est Lettres infinies, son tout dernier album, qu’elles viennent découvrir. Un concert mais aussi un spectacle, un vrai, façon  » art total « , qui entremêle les disciplines artistiques avec tout plein de références à tout plein d’artistes et une dramaturgie à vous faire crépiter la rétine et vous étoiler les yeux. Le 4 décembre prochain, ce sera à Forest National.

A l’intérieur, le staff technique s’agite gentiment. Loin de l’ambiance  » sexe, drogue et rock’n roll « , c’est plutôt une atmosphère  » roulotte « , où on devine que ça bosse ensemble depuis longtemps et où on vient présenter les bébés aux collègues qui, en file indienne, se pâment pour donner le biberon. Mis à part les tatouages, les tee-shirts et les pantacourts, on se croirait presque dans une cantine d’entreprise. Sauf qu’ici,  » le boss, c’est le public « , peut-on lire en grosses lettres dorées sur le mur juste sous les loges. Celle de -M-, c’est l’ancienne d’Alain Bashung. Hasard ou destin, les deux artistes détiennent chacun le record de treize Victoires de la musique. Or, Matthieu Chedid n’a même pas 50 ans. Nous l’attendons assise sur une peau de zèbre, sous une grande photo de Bashung, entre des coussins et un tapis ligné noir et blanc, style Daniel Buren, sauf qu’ils sont presque tous en forme de M. Sur la table, c’est corbeille de fruits, noix, amandes et baies de goji. On ne compte plus les bougies parfumées. Un diffuseur d’huile essentielle tourne à plein régime dans son coin. Vous posez Iggy Pop ici, il se lyophilise.

Le hibou, ce bijou

En retard mais charmant, fatigué mais beau, arrive Matthieu Chedid. La mine traîne encore dans le sommeil. Il rentre pourtant d’un footing censé le ressusciter des nuits trop courtes, celles qui ont du mal à s’installer quand on sort de scène.  » Ça prend du temps pour redescendre « , entame-t-il avant de se lover dans le canapé.

Ses oeuvres d’art préférées ? Toutes celles qui évoquent des collaborations qu’il a entretenues avec de nombreux artistes, de tous bords, de tout poil, de tous âges. JR et Agnès Varda, Michel Gondry, Martin Parr, François-Xavier et Claude Lalanne, Xavier Veilhan… Pas pour faire de la pub aux potes – à ce stade, plus personne n’en a besoin – mais parce que -M- trouve que ça a plus de sens de parler de manière  » participative  » d’art plutôt que de soliloquer dans un coin. La même démarche qui le pousse à multiplier dans son travail les ponts entre les disciplines, à se lancer dans des bandes originales de films, à composer pour les uns ou mettre en musique les expositions des autres. Mais bon, si on doit remonter aux prémices, c’est devant un Buffet que nous atterrissons. En 1971, pour être précis. Sa grand-mère maternelle travaille chez le seul galeriste qui représente Bernard Buffet et c’est tout naturellement qu’à la naissance de son petit-fils, elle lui offre une litho et un tableau de l’illustre peintre expressionniste. Pas le célèbre clown sinistre mais un papillon et un hibou, deux oeuvres qui ornent aujourd’hui les murs de l’hôtel particulier de -M-, une bâtisse du xviie siècle construite à la demande du cardinal de Richelieu et qui, dit-on, aurait ensuite abrité la Montespan et sa kyrielle d’enfants illégitimes.

Toujours est-il que c’est devant ces deux Buffet que Matthieu est né et qu’il a grandi :  » Inconsciemment ça vous marque même si ce n’est que dix ans après avoir créé le personnage de -M- que j’ai réalisé que mon look était puisé dans ce hibou. C’est très logique finalement car cet animal restera à jamais pour moi le symbole même de l’enfance, du mystère et de la peinture.  » Depuis, il les collectionne, comme en atteste celui posé sur la table de maquillage de sa loge, un cadeau de Vanessa Paradis, passée lui faire coucou sur scène au Cirque d’hiver, à Paris, en décembre dernier. Matthieu Chedid poursuit en expliquant regretter que Buffet soit encore si peu apprécié :  » On garde souvent l’image du clown triste qui vole par la fenêtre dans Les Bronzés font du ski, alors que son univers est tellement riche. Buffet, c’est aussi des natures mortes fascinantes et une écriture tellement belle… Qu’on apprécie plus encore avec le temps.  »

Charles, Arthur et Andrée

Si l’art visuel provient de sa grand-mère maternelle, la musique et les mots, c’est du côté Chedid qu’il les trouve. Une grand-mère, style grand amour, la poétesse Andrée Chedid (mère de Louis, le chanteur) qui lui écrit ses premières chansons.  » Je lui donnais un thème et une demi-heure plus tard, elle me faxait un texte sublime. C’était une magicienne des mots, elle avait la science du rythme et un sens des silences qu’elle érigeait en art.  » S’étirant comme on s’ébroue pour éloigner le sommeil, il raconte que, à ses yeux, le sommet du 5e art est de parvenir  » à mettre en lumière des choses sordides ou de sublimer l’ignoble « , comme le faisaient si bien Baudelaire ou Rimbaud. Citant Edgar Morin, Matthieu précise qu’en réalité, la poésie, c’est bien plus que de feuilleter un livre en s’extasiant sur des mots :  » C’est une manière de vivre, un regard qu’on pose sur les gens, les choses et la vie. Une capacité de trouver un pan de mur magnifique ou de parvenir à s’extasier sur le geste d’un footballeur.  »

Baudelaire ou Rimbaud donc. Même si ce seront toujours les mots de sa grand-mère qu’il préfère ; il en parle toujours au présent bien qu’elle soit décédée depuis huit ans des suites de la maladie d’Alzheimer après n’avoir plus pu communiquer que par le regard. C’est qu’elle n’a jamais été aussi présente : pas un soir, pas une scène sans qu’il en parle ou qu’il la chante. Un jour, elle lui avait écrit une chanson, Je me démasque,  » parce que c’est très bien que tu fasses le clown dans tes costumes mais moi, je préfère te voir toi « , lui avait-elle lancé. Le costume, il l’a toujours. Mais plus  » l’armure « , qui l’aidait à monter sur scène. Aujourd’hui, le grand show vestimentaire ce n’est plus qu’un déguisement.  » Une façon de rester dans le jeu et de surtout ne pas se prendre au sérieux.  » Entre les deux périodes ? Matthieu Chedid répond en riant avoir dû faire des  » stages d’homme  » et réussi à  » se viriliser « , principalement après s’être séparé de la mère de sa fille Billie (chanteuse comme papa), et s’être retrouvé subitement propulsé dans un univers  » très féminin  » qu’il a dû  » apprivoiser « .

Amoureux artistique

Poursuivant sur ses oeuvres d’art préférées, -M-, de plus en plus enthousiaste, confesse adorer François-Xavier et Claude Lalanne, des artistes et un couple qui ont eu une  » importance capitale  » dans sa vie. Et pour cause : au-delà de leur immense talent, ils étaient les joyeux grands-parents de Capucine,  » sa fleur  » et sa première grande histoire d’amour  » passionnelle, complexe et romanesque. Durant les cinq ans qu’a duré notre relation, je passais ma vie dans l’atelier de ses grands- parents. Depuis, mon rêve est d’acquérir une de leurs oeuvres, sans doute une de Claude parce qu’elle vient tout juste de partir ( NDLR : elle est décédée en avril dernier). Vous saviez que c’est sa sculpture Choupatte qui a inspiré L’Homme à la tête de chou de Gainsbourg ?  » Encore à rebondir sur les connexions et emprunts mutuels entre les artistes…

Au-delà de l’échange, toutes ces rencontres relèvent pour lui de l’amour,  » un amour artistique « , supérieur à l’amitié. De Claude Lalanne, comme de sa grand-mère ou d’Agnès Varda,  » une femme beaucoup plus jeune que moi  » avec qui il avait encore fait la fête au Nouvel-An, il en parle ici encore au présent.

Bosser, bosser et puis lâcher prise

Des anecdotes, il en a mille. Comme les premiers accords sur une vieille guitare, enseignés par David McNeil, fils de Marc Chagall, qui en avait marre que Matthieu, 13 ans, casse les oreilles de toute la maison chez les Souchon. On vous passe les deux heures passées à gratter la guitare vingt ans plus tard avec Paul McCartney dans sa chambre à l’hôtel Bristol, à Paris, pour en arriver au fait que, selon -M-, la vie peut être encore plus belle que les chansons.

Lui, jure-t-il, il n’avait  » aucune ambition  » et ses chansons n’étaient qu’un pur  » délire personnel  » et c’est sans doute là que réside le secret du succès.  » Je suis très sensible au taoïsme, à la philosophie du non-agir et à celle de la providence, une manière de laisser faire la vie qui, je le crois, est beaucoup plus forte que notre mental.  » Pas question de glander au bord du terrain pour autant, l’idée étant qu’il faut justement beaucoup travailler  » avant  » pour pouvoir atteindre ce  » lâcher prise ensuite « .

Collectionneur, Matthieu Chedid ? A part les hiboux, seulement les guitares et quelques opus de Martin Parr. Les guitares – une bonne soixantaine – c’est un peu son harem…  » Elles m’inspirent autant que les femmes que j’aime.  » Martin Parr, c’est différent : photographe mondialement connu, il est célébré pour ses clichés ultracolorés mettant en scène la société de consommation. Entre le musicien franco-libanais et le très cold fish britannique, c’est le choc des civilisations, pourtant -M- reconnaît être touché par l’univers de Parr,  » très kitsch mais jamais cruel « .

Trente minutes plus tard, l’interview est terminée : on l’attend sur scène pour les premiers réglages. Bonne âme, Chedid troque ses vêtements civils pour une des tenues de -M- pour que nous ayons une belle photo. Mains sur son visage, la maquilleuse lui applique un voile antibrillance. Dans son fauteuil, guitare dorée à ses pieds, Mathieu ferme les yeux. Et subitement redevient un chat qui ronronne.

Le Petit Duc, Bernard Buffet, 1969.
Le Petit Duc, Bernard Buffet, 1969.© DR

Bernard Buffet (1928 – 1999)

Premier grand amour de Pierre Bergé (qui le quittera pour Yves Saint Laurent), Bernard Buffet connaît des débuts éclatants : la critique ne tarit pas d’éloges sur celui qu’elle surnomme le  » nouveau Picasso « . Millionnaire à 30 ans, il se marie avec Annabel Schwob qui sera désormais sa muse. Il produit beaucoup… A sa mort, on lui attribue plus de 8 000 toiles, aquarelles, dessins. Consacré par l’establishment français (officier de la Légion d’honneur, élu à l’Académie des beaux-arts…), Buffet sombre petit à petit dans l’oubli. Atteint de la maladie de Parkinson qui le rend incapable de travailler, il se suicide chez lui, un sac en plastique autour de la tête.

Sur le marché de l’art : cote à la hausse depuis quelques années. Ticket d’entrée à partir de 300 000 euros.

Choupatte, Claude Lalanne, 2007-2012, et Moutons blancs, François-Xavier Lalanne, 1979.
Choupatte, Claude Lalanne, 2007-2012, et Moutons blancs, François-Xavier Lalanne, 1979.© DR

François-Xavier (1927 – 2008) et Claude Lalanne (1924 – 2019)

Couple star de la sculpture française du xxe siècle, les Lalanne se firent connaître pour leur objets hybrides, mi sculpture, mi meuble et ce, dans un style naturaliste du plus bel effet. Si François-Xavier traitait plus des animaux, Claude se spécialisait sur les végétaux. Ils signent une magnifique ménagerie entremêlant bronze, résine, porcelaine, des bureaux en forme de rhinocéros et des banquettes en forme de moutons… Si le couple collaborait, François-Xavier et Claude s’enorgueillissaient de  » faire chambre commune mais atelier à part « . Collectionnés tant par les Rothschild, Bergé et Saint Laurent, ils bénéficièrent aussi de plusieurs installations publiques. D’eux, on retient qu’ils étaient des artisans, au sens noble du terme, des artisans oui, mais au regard d’enfant.

Sur le marché de l’art : en vingt ans, les oeuvres des deux artistes ont enregistré une progression de plus de 690 %. Un engouement qui n’est pas près de s’essouffler – comme en témoigne la vente chez Sotheby’s de mai 2018 où la plupart des pièces doublaient voire triplaient leurs estimations basses. Choupatte, le chou sur pattes, s’envolait à plus de 612 000 euros tandis que le fauteuil crocodile caracolait à quelque 1 112 000 euros.

Martin Parr devant l'un des clichés de sa série Beach Therapy. Photo prise à Porthcurno, dans les Cornouailles, en 2017.
Martin Parr devant l’un des clichés de sa série Beach Therapy. Photo prise à Porthcurno, dans les Cornouailles, en 2017.© NILS JORGENSEN/BELGAIMAGE

Martin Parr (1952)

Un style acidulé et ironique, un oeil critique sur les stéréotypes de la société actuelle (surconsommation, tourisme de masse, malbouffe, téléphone portable…), le photographe britannique Martin Parr fait avant tout figure de grand documentaliste de notre temps mais en version kitsch.

Sur le marché de l’art : photos à partir de 500 euros, même si les plus belles et emblématiques naviguent entre 5 000 et 10 000 euros. Record à 18 000 euros. Tendance : légèrement à la baisse.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire