Image de marque

L’image négative ou positive qu’une entreprise donne d’elle dans le public peut affecter ses performances boursières. Voici pourquoi

Les entreprises peuvent faire la une des journaux pour d’autres motifs que leurs performances bénéficiaires, l’ouverture d’une nouvelle usine ou la signature d’un gros contrat. L’an passé, par exemple, le géant pharmaceutique allemand Bayer a défrayé la chronique avec son médicament anticholéstérol. Certains groupes se sont retrouvés épinglés pour leur comportement jugé anti-social (Danone et Marks & Spencer) ou anti- environnemental (TotalFinaElf). La publication d’un livre cherchant à établir le rôle joué par IBM dans l’Holocauste au cours de la Seconde Guerre mondiale a jeté une ombre sur la multinationale américaine. Auparavant, au cours de l’été 1999, ce sont les atermoiements de Coca-Cola lors de la crise d’intoxication alimentaire qui ont terni le blason de la célèbre bouteille. Tous ces événements ont-ils le même impact ? Et quelles en sont les conséquences pour l’investisseur ? Analyse.

Un actif immatériel

Désignée en anglais par les mots de  » corporate reputation « , l’image de marque ou la réputation d’une entreprise constitue ce qu’il est convenu d’appeler un  » actif immatériel « . Sans revêtir une consistance physique (à l’instar d’une machine ou d’un stock de produits finis), l’image de marque n’en a pas moins une valeur qui se reflète, ainsi que plusieurs études empiriques l’ont confirmé, dans le cours de Bourse de l’action. Et ce, bien sûr, tant que l’entreprise opère commercialement : en cas de faillite sans espoir de reprise, cette valeur devient évidemment nulle. Selon les études les plus récentes, on estime qu’un tiers, voire même la moitié de la valorisation d’une entreprise (et donc de ses actions) dépend d’actifs immatériels comme l’image de marque.

Pourquoi en est-il ainsi ? Par image de marque, il faut entendre la perception que la communauté au sens large (des fournisseurs aux clients en passant par les employés et les investisseurs, tous réels ou potentiels) a de l’identité d’une entreprise au travers de ses produits, de sa communication, de ses rapports avec les clients, etc. Cette perception définit largement un facteur critique de succès d’une entreprise : la loyauté de ses partenaires. Les dirigeants en sont conscients et reconnaissent que cette notion de  » corporate reputation  » a pris de plus en plus d’importance au cours de ces dernières années. En effet, une image de marque forte, facteur intangible difficilement imitable, confère à l’entreprise qui la détient un avantage concurrentiel (barrière à l’entrée) : elle permet d’attirer de meilleurs employés, d’obtenir des capitaux (propres ou de tiers) à des meilleures conditions ou encore, en tablant sur le capital confiance auprès des consommateurs, de pratiquer des prix de vente plus élevés et donc d’enregistrer des marges bénéficiaires supérieures. De quoi permettre potentiellement une croissance des résultats soutenue à l’avenir.

A ce stade, deux remarques s’imposent pour l’investisseur :

ù un cours a priori élevé d’une action (en terme de rapports classiques comme le price/earning ou rapport cours/bénéfice) peut trouver une certaine justification dans une image de marque forte,

ù mais investir dans les actions d’une entreprise de grande réputation n’est pas une garantie de hauts rendements : la Bourse anticipe et lorsqu’une entreprise arrive au sommet de sa notoriété, il y a fort à parier que le cours de son action incorpore complètement cette information, voire l’exagère.

Le management et la marque

Au-delà d’une composante sectorielle inéluctable (certains secteurs jouissant d’une mauvaise image de marque comme l’industrie du tabac ou du pétrole tandis que d’autres drainent une sympathie naturelle comme l’informatique), l’image de marque d’une entreprise repose sur deux grands piliers fondateurs : d’un côté, un management de qualité et, de l’autre, d’une appellation commerciale (marque) reconnue.

ù Le management

Ces dernières années, on a vu se développer un  » star system  » autour des dirigeants d’entreprises. Qu’ils aient pour nom Bill Gates (Microsoft), Lou Gerstner (IBM) ou Jean-Marie Messier (Vivendi Universal), le vedettariat leur colle à la peau. Si le strass et les paillettes peuvent exaspérer quelquefois, il n’en demeure pas moins que la reconnaissance médiatique est souvent liée à un parcours professionnel remarquable. Et le  » boss  » est le premier  » public relation  » de son entreprise, en raison surtout du temps passé avec les clients et la communauté financière. En ces temps de profonds et rapides bouleversements économiques, sociaux et technologiques, où  » seuls les paranoïaques survivent  » (pour reprendre l’expression de Andy Grove, fondateur de Intel), un manager de qualité est un gage de pérennité et de visibilité appréciables.

ù La marque

La marque joue le rôle de symbole de cette confiance des clients dans les promesses que l’entreprise est censée délivrer quant à la qualité de ses produits ou de ses services. Mais ne nous y trompons pas : construire une marque forte et reconnue universellement prend au moins 10 ans. La loyauté des clients ne s’acquiert pas sur quelques mois, comme bon nombre d’entreprises Internet, qui croyaient rivaliser d’entrée de jeu avec les majors de leur secteur, en ont fait la pénible expérience. De même, les campagnes de publicité agressives peuvent ne pas être suffisantes : en témoigne, malgré un imposant budget marketing et un large soutien à des causes humanitaires, la mauvaise image de marque de Philip Morris, confronté à des procès retentissants intentés par des victimes du tabac.

Enfin, la marque doit pouvoir évoluer et s’adapter aux modes de vie à bon escient : chez Coca-Cola, ce ne fut pas le cas de la campagne New Coke qui provoqua un véritable tollé chez les clients avant d’être abandonnée.

Un acquis à surveiller

L’investisseur doit être dès lors particulièrement attentif à tout événement concernant la qualité du management ou la reconnaissance de la marque. A cet égard, les périodes de transition peuvent s’avérer critiques. L’arrivée d’un nouvel homme fort à la tête d’une entreprise n’est pas toujours perçu par les milieux boursiers avec toute l’attention qu’elle mérite. Ainsi, les succès passés de Lou Gerstner chez American Express et RJR Nabisco n’ont pas été valorisés par la Bourse lors de son arrivée chez IBM en 1993 : plutôt que de se moquer des connaissances informatiques de Gerstner, les opérateurs boursiers auraient mieux fait de percevoir en lui l’homme de stratégie et de marketing dont avait avant tout besoin le géant de l’informatique, imbu de sa technologie. Car, sous son leadership, l’action IBM fut une des  » success stories  » boursières des années 1990.

L’évolution des marques doit également faire l’objet d’un examen attentif : ainsi, en France, le passage de Itineris à Orange aurait pu créer une mauvaise surprise. Or la filiale mobilophonie de France Telecom a su conserver à la fin de l’été 2001 la même part du marché français (48 %).

Par ailleurs, l’actionnaire verra d’un oeil bienveillant les stratégies de croissance de l’entreprise si le management a déjà fait ses preuves en matière d’acquisitions d’autres entreprises (croissance externe) ou si le lancement de nouveaux produits s’appuie sur une marque bien acceptée par le public (croissance interne).

Enfin, sachez qu’en situation de crise plus la réputation d’une entreprise est forte, moins le dommage causé par un événement isolé sera potentiellement grave. Coca-Cola a ainsi survécu sans trop de mal à la crise de l’été 1999 alors que ses boissons avaient été mises en cause dans des cas d’intoxication, principalement en Belgique. Plus récemment, malgré les réactions très vives des milieux ouvriers et politiques après l’annonce de licenciements chez Danone et malgré une baisse sensible de popularité  » à chaud  » auprès du grand public, l’entreprise a réalisé, au cours du premier semestre 2001, un bon chiffre d’affaires et l’action, soutenue par les attentes de réductions de coûts, a surperformé l’indice CAC 40.

Attention cependant : l’image de marque d’une entreprise n’est pas acquise pour l’éternité. Tout comme un manager exceptionnel peut être difficile à remplacer (quid d’un Microsoft sans Bill Gates ?), un événement exceptionnel (fraude, informations cachées aux consommateurs, etc.) ou des coups de butoir répétés mettant à mal la relation de confiance entre le groupe et les clients peuvent éroder sensiblement la puissance d’une marque établie. Après la crise de 1999 et à la suite d’autres problèmes, Coca-Cola crut bon d’envoyer un signal fort avec le départ de son PDG Doug Ivester, officiellement pour  » convenances personnelles « .

Davantage de morale

Les considérations éthiques, qu’elles soient sociales ou environnementales, prennent de plus en plus d’importance dans la définition de la réputation d’une entreprise. Dernier exemple en date, le cas de Triumph : le fabricant de lingerie vient d’annoncer son retrait de Birmanie, sous la pression d’une campagne défavorable à son image (lire ci-contre). Une réaction prudente quand on sait à quel point il peut être difficile de se défaire d’une mauvaise réputation. Ainsi, Exxon Mobil souffre toujours, dans l’esprit du grand public, d’une connotation négative, plus de 10 ans après le désastre écologique en Alaska de l’Exxon Valdez (1989). De même, TotalFinaElf, directement impliqué dans une pollution des côtes françaises, devra aussi batailler ferme pour regagner de l’estime, à tout le moins en France. Sans parler de sa présence en Birmanie, régulièrement dénoncée. A noter d’ailleurs que, conscients de leur situation, les grands groupes pétroliers tentent de plus en plus de redorer leur blason en mettant l’accent sur une politique proactive en matière de protection de l’environnement et de promotion des énergies alternatives.

Quant aux affaires de  » licenciements boursiers  » et autres délocalisations dans les pays faisant travailler les enfants, elles risquent bien, si elles se répètent et se généralisent, de laisser des traces à terme quant à l’évolution des ventes des entreprises concernées et donc quant à celle du cours de leurs actions.

Un atout stratégique

En conclusion, retenons que le cours d’une action intègre l’image de marque ou réputation d’une entreprise, qui est un atout stratégique indéniable, notamment lorsque la concurrence se renforce ou que la croissance économique ralentit. Mais, comme tout actif immatériel, cette réputation est difficilement quantifiable. L’investisseur devra néanmoins analyser sa qualité (à travers la situation du moment et les développements prévisibles) lorsqu’il aura à prendre position (acheter, vendre, conserver ses actions) lors de décisions importantes pour la vie de l’entreprise et lors de transitions ou de crises affectant le management ou la marque.

Globalement, toute altération positive ou négative de l’image de marque d’une entreprise peut se répercuter sur le cours de l’action de l’entreprise concernée d’autant plus sensiblement que ses effets sont jugés durables.

Une image négative peut poursuivre longtemps une entreprise avant d’être renversée, et peser ainsi sur l’évolution du cours d’une action. Dans une optique prospective, il est vraisemblable d’anticiper une accentuation du contenu éthique au sein de l’image de marque d’une entreprise. Dans cet esprit, l’écart entre les intérêts des entreprises et ceux de la communauté au sens large devrait s’amenuiser. Qui s’en plaindra ?

Vincent Colot (Budget Hebdo)

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