» Il y a toujours deux coqs sur le même fumier « 

Paul Wynants (Université de Namur), spécialiste de l’histoire des libéraux francophones, voit dans la rivalité persistante entre Didier Reynders et Charles Michel le prolongement des luttes fratricides entre Jean Gol et Louis Michel. Le MR, dit-il, est un parti où s’exacerbent les querelles de personnes.

Le Vif/L’Express : Le MR veut donner l’impression d’un parti partiellement apaisé, mais est-ce vraiment le cas ?

Paul Wynants : Vous avez raison de dire qu’il n’est qu’en partie apaisée. Il faut rappeler que Charles Michel a été élu président de justesse : 55 % contre 45 % à Daniel Bacquelaine. Sa seule possibilité pour s’imposer et durer, c’est donc tenter de rechercher l’unité. Il laisse pleinement Didier Reynders jouer son rôle de chef de file gouvernemental. Il y a une stratégie concertée entre les deux hommes pour que Didier Reynders s’installe à Bruxelles en vue de faire du MR la force politique majeure dans la capitale. Charles Michel ne bride en aucune manière non plus les  » reyndersiens  » : Daniel Bacquelaine, Jean-Luc Crucke, Sabine Laruelle… Quand il y a un incendie, il reste au-dessus de la mêlée, y compris quand des personnalités de son clan sont impliquées, comme ce fut le cas à Liège ou pour la régionale bruxelloise. Cela dit : oui, il reste des blessures mal cicatrisées et des tensions qui peuvent resurgir. J’ai noté que Frédéric Cauderlier, porte-parole du MR, déclarait au Soir du 4 avril dernier :  » Certains vivent à travers les oppositions du passé « . La meilleure illustration du moment, c’est le problème qui se pose à Bruxelles pour l’exercice de la fonction de ministre-président. Il y a une certaine cacophonie, mais c’est plus une querelle d’ego qu’une querelle de clans.

Est-ce Didier Reynders qui génère cela par ses comportements ?

La personnalité de Didier Reynders joue, en effet, avec tout ce qu’il peut avoir d’arrogant. Il y a aussi le fait que c’est un produit d’importation. Les libéraux bruxellois voient d’un mauvais oeil quelqu’un débarquer pour lancer une sorte d’OPA sur la régionale. Il ne faut pas oublier qu’à Bruxelles, du temps de la coalition avec le FDF, c’était le MR-LB alors qu’en Wallonie, le PRL s’était fondu dans le MR. Un autre élément joue peut-être : en janvier 2015, il y aura une élection présidentielle au MR. Le mandat de Charles Michel vient à échéance et un certain nombre de personnes se demandent comment l’un et l’autre vont se positionner. Si le MR remporte les élections du 25 mai 2014, Michel pourrait s’en trouver conforté, a fortiori si le MR rentre dans les gouvernements régionaux. Mais certains se demandent si Reynders ne va pas se servir du tremplin bruxellois pour reconquérir la présidence.

On sent que Reynders estime toujours être le plus légitime pour emmener sa formation politique. Aurait-il un désir de vengeance ?

Son modèle politique reste Jean Gol, qui a aussi connu des moments difficiles avant de rebondir de plus belle.

Y a-t-il des similitudes entre les deux hommes ?

Enormément. Lorsque les deux hommes sont en position de force, ils ont une conduite assez autoritaire du parti. Tous deux fonctionnent avec une garde rapprochée et font fort peu fonctionner les organes statutaires. Ils essayent d’éviter les débats de fond lorsqu’il y a des difficultés ou des échecs électoraux. Il y a aussi une stratégie politique de positionnement seul contre tous. Reynders a adopté la façon de faire de Gol : c’est l’attaque tous azimuts non seulement contre le PS, parti  » le plus archaïque d’Europe « , mais aussi contre le CDH  » scotché au PS « . Avec le risque de l’isolement, en fédérant tous les autres contre soi, mais aussi de donner une image d’arrogance et d’agressivité. Jean Gol comme Didier Reynders sont des hommes qui ont remporté des victoires électorales brillantes, mais qui ont connu aussi des défaites cuisantes.

Didier Reynders estime que la seule façon pour le MR d’arriver au pouvoir, c’est de faire un résultat éclatant, faute de quoi les autres mettront les libéraux dans l’opposition…

C’est exactement la stratégie de Jean Gol.

Louis Michel, le père de Charles, était en rupture avec Jean Gol. Son fils serait-il l’héritier idéologique de son libéralisme social ?

Ce n’est pas une rupture idéologique à mes yeux. Louis Michel a réussi progressivement à conquérir une aura personnelle au sein du parti en se distinguant du style de Jean Gol. Plus par son tonus ou son charisme que par sa vision idéologique, avant tout dictée par un contexte particulier où il devait renouer avec les socialistes. Il a été un véritable leader charismatique, qui revendiquait la solitude du pouvoir. Cela peut marcher aussi longtemps que les victoires succèdent au pouvoir. En 2004, il a dû faire un pas de côté après l’éviction des majorités régionales. On ne peut pas dire que Charles Michel tienne un discours de libéralisme social comme son père. Sous sa présidence, les positions du MR ont un peu évolué vers la droite, il suffit de voir celles de Jacqueline Galant ou de Denis Ducarme. On peut comprendre cela d’un point de vue politique puisque Benoît Lutgen repositionne aussi son parti, moins vers le centre. Mais tant Louis que Charles ont ce même souci de sortir le parti de l’isolement pour essayer de le ramener au pouvoir. Ils veulent rétablir un dialogue avec les autres que le prédécesseur avait compromis, que ce soit Jean Gol pour Louis Michel et maintenant Didier Reynders pour Charles Michel.

Ce sont donc les méthodes et les stratégies qui constituent les lignes de fracture entre ces deux tendances…

Le MR est un parti qui s’est constitué en accueillant en son sein des courants d’origine très diverses, que ce soit le Rassemblement wallon, des personnalités plus à droite, des socialistes… Je ne dis pas que c’est une auberge espagnole, mais c’est assez étonnant. Cela a même frappé Gérard Deprez lorsqu’il est arrivé dans la fédération PRL-FDF-MCC : il s’est demandé où il était. C’est en outre un parti qui n’a pas une doctrine strictement définie, elle est relativement souple, adaptable. Le libéralisme francophone se présente comme un anti-dogmatisme. Vous pouvez avoir des visions du libéralisme très différentes, entre un Richard Miller et un Alain Destexhe par exemple.

Enfin, il y a une hypertrophie du président et des leaders. Il y a eu Van Oudenhove, Gol, Louis Michel, Reynders… Or, cette hypertrophie n’est pas dans la culture libérale de départ.

A Bruxelles, certains craignent à nouveau une prise de pouvoir totale de Reynders.

Ce qui est frappant, c’est qu’il est en train de faire monter au créneau toute une série d’hommes à lui pour le soutenir tant à la présidence de la régionale qu’à la ministre-présidence : Armand De Decker, Philippe Pivin, Alain Destexhe… Il se constitue une force de frappe sur Bruxelles, c’est clair.

La clé, ce sera un bon score en 2014 et un retour au pouvoir régional, faute de quoi cela risque de flamber à nouveau ?

Le propre de la vie des partis, c’est de connaître des luttes de pouvoir en leur sein. Au MR, elles sont exacerbées parce que le rôle des personnalités y est plus marqué. Et ces luttes s’inscrivent dans la durée. Il faut se souvenir que cela bouillonnait déjà en 2004 parce que Reynders et les siens voulaient éviter que le clan Michel ne garde le pouvoir. Les tensions personnelles ne datent pas de 2009 ou 2010, mais de bien avant. En 2002, alors que Charles Michel avait 27 ans, certains craignaient déjà la naissance d’une dynastie Michel.

Tout est aujourd’hui très coordonné, très cadenassé, mais on sent qu’il reste quelque chose d’âpre au sein du parti…

La seule manière pour gagner une élection, c’est de faire bloc. Mais il est clair, pour prendre une image un peu triviale, qu’il y a toujours deux coqs sur le même fumier.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MOUTON

 » Lorsque les deux hommes sont en position de force, ils ont une conduite assez autoritaire du parti  »

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