Christelle Macq, présidente de la commission Justice de la Ligue des droits humains. © DR

« Il sera ardu de le prouver »

La Ligue des droits humains est réticente à l’inscription du féminicide dans le Code pénal, car cela pourrait avoir pour effet paradoxal d’invisibiliser les violences de genre. Décodage avec Christelle Macq, assistante et doctorante en droit à l’UCLouvain et présidente de la commission Justice de la Ligue.

Pourquoi le droit pénal ne pourrait-il pas être un instrument de lutte contre les violences de genre?

La Ligue souscrit à la philosophie des deux propositions de loi qui ont été déposées au Parlement pour pénaliser le féminicide et reconnaît l’acuité des violences contre les femmes. Toutefois, selon nous, le recours au droit pénal présente certains écueils problématiques. Ainsi, l’une de ces propositions évoque le meurtre ou l’assassinat commis sur une femme « en raison de son sexe », l’autre ajoute à la question du genre le fait d’être cohabitants occasionnels ou d’entretenir ou d’avoir d’entretenu une relation affective. Dans certains cas, il sera ardu de le prouver. Dès lors, la qualification de féminicide risque d’être refusée par la justice, ce qui aura des conséquences négatives pour les proches de la victime, ainsi que sur le plan de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Se focaliser sur le droit pénal permet de se débarrasser de cette problématique à peu de frais.

Quels seraient les effets contre-productifs?

Notamment, cela risque d’invisibiliser le phénomène. La Belgique est déjà en défaut pour ce qui concerne la collecte de données en matière de violences faites aux femmes, pourtant préconisée par la Convention d’Istanbul dont elle est signataire. Si les féminicides ne sont pas qualifiés comme tels par la justice pénale en raison des difficultés de l’application de la loi, cela peut aggraver la sous-évaluation du phénomène, ce qui est contraire au but que nous poursuivons. Par ailleurs, le débat politique sur l’inscription du féminicide dans la loi risque d’occulter le besoin de prendre d’autres mesures pour combattre la violence de genre et, donc, finalement, s’avérer contre-productif. De nombreuses organisations (Conseil supérieur de la justice, coalition Ensemble contre les violences faites aux femmes, Vie féminine…) ont déjà émis diverses recommandations, comme l’ouverture de nouvelles places d’accueil pour les victimes ou un accès plus rapide à des mécanismes d’aide financière et non financière pour permettre aux victimes de se relocaliser. Il y a également des progrès à faire dans la formation des personnes confrontées à cette violence, en ce compris au niveau des services de police, du parquet ou du siège. La nécessité d’un renforcement du suivi sociojudiciaire des auteurs de ces actes afin de lutter contre la récidive a par ailleurs été mise en évidence. Pour nous, il faut d’abord mener une réflexion autour de ces rapports et de ces propositions. Se focaliser sur le droit pénal permet de se débarrasser de cette problématique à peu de frais.

Les partisans du recours au droit pénal mettent en avant sa portée symbolique. Enfin, la société reconnaîtrait que les femmes sont particulièrement exposées aux abus de pouvoir…

La dimension symbolique est en effet très importante, il ne s’agit pas de la nier. Pour la Ligue, ce but peut être atteint par la reprise du mot « féminicide » dans le langage courant et par les médias. Mais le risque d’effets pervers justifie de ne pas l’insérer en tant que tel dans le Code pénal.

En outre, rien n’est prévu pour le meurtre ou l’assassinat d’hommes ou de garçons en raison de leur sexe…

En effet, c’est un argument qui a conduit à rejeter la pénalisation du féminicide dans d’autres pays: en France, il a finalement été décidé de ne pas créer d’incrimination spécifique au nom du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Pour la Ligue, la violence à l’égard des femmes s’inscrit dans un contexte particulier qui, comme le souligne la Convention d’Istanbul dans son introduction, est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les hommes et les femmes. La violence contre les femmes a un caractère spécifique lié à des rapports de domination et le reconnaître est un préalable indispensable à une lutte efficace. Après, il s’agit de réfléchir et de choisir avec soin les moyens de cette lutte. Or, l’incrimination spécifique du féminicide présente, à cet égard et pour les raisons exposées ci-avant, des risques de contre-productivité.

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