Il se passe des choses en Chine

Au musée d’art contemporain qu’un couple de collectionneurs belges a ouvert à Pékin, tel un MoMa local, on prend le pouls de la création contemporaine chinoise. A commencer par l’ouvre de Yan Pei-Ming, le plus français des peintres chinois.

Dashanzi, 798, Art zone : nous sommes dans le Soho pékinois, quartier culturel branché à l’incroyable concentration en galeries d’art. C’est ici, bien naturellement, que le baron belge Ullens de Schooten et son épouse font partager, depuis deux ans et demi, leur éloquente collection. Leur musée, l’Ucca pour Ullens Center for Contempory Art, est le premier musée privé d’art contemporain en Chine. Il présente actuellement une exposition de l’artiste chinois Yan Pei-Ming à travers une seule et unique installation d’envergure intitulée Landscape of Childhood (paysage de l’enfance). On connaissait Yan Pei-Ming comme étant le peintre emblématique des personnages de notre époque, on le découvre ici portraitiste des icônes de demain.

L’£uvre se déploie dans un lieu unique, un grand hall de 2 500 mètres carrés qui peut offrir toute sa démesure à celle de la création artistique. Encadrés par deux murs (l’un d’un gris monochrome, l’autre représentant un paysage international aux allures très classiques), 34 portraits d’enfants et de nouveau-nés flottent dans l’air. Pour la première fois, l’artiste abandonne la toile pour peindre sur des drapeaux translucides au moyen de teintures pour textiles. Yan Pei-Ming confesse qu’il lui aura fallu plus d’un mois d’expérimentations diverses pour maîtriser la technique, pour dompter ces étoffes de Nylon… Mais le résultat est aujourd’hui à la hauteur de toutes les espérances.

Ces immenses drapeaux – hissés sur des mâts qui, loin de s’enraciner fermement dans le sol,  » tombent  » du plafond – flottent grâce à un ingénieux système de soufflerie qui projette de l’air. Décoiffant ! Au sens propre. Tourmentés par les caprices de l’air, ces petits visages fantômes donnent l’impression de vivre. Entre les deux rangées de drapeaux , une allée dans laquelle nous pouvons nous promener, protégés du vent mais néanmoins pas du formidable vacarme des souffleries. Le bruit des ventilateurs est tellement prégnant qu’il doit être comparable, à peu de chose près, à celui d’un réacteur aéronautique. Mais cela fait partie de l’expérience ! Yan Pei-Ming précise que ce bruit infernal participe à la puissance poétique générale. Comme si ces enfants avaient désespérément envie de crier… Car s’ils sont symboles de vie et d’espoir, ils portent également une part de tragique, de dramatique. Peut-être en raison du caractère terriblement sobre des camaïeux de gris-noir employés par l’artiste ? Célèbre pour ses grands portraits monochromes exécutés dans les noir, blanc ou rouge, Yan Pei-Ming ne s’embarrasse pas de couleurs. Au contraire, il les considère comme autant d’artifices qui dévient notre attention de l’essentiel. A l’image d’un film en noir et blanc, ce choix chromatique confère à l’£uvre un caractère intemporel.

Alors que l’on pourrait multiplier sans fin les interprétations, nous resterons sur l’impression générale, saisissante, de cette mise en scène qui dégage tant de sentiments ambivalents, entre l’apparente fragilité des drapeaux et l’assurance de ces enfants confiants en leur avenir.

 » Je suis né peintre ! « 

Enfant de la révolution culturelle, Yan Pei-Ming (Shanghai, 1960) avait quitté la Chine il y a trente ans pour trouver en France une vraie liberté de créer. Il est convaincu, dès sa plus tendre enfance, d’être destiné à la création artistique :  » Je suis né peintre !  » confie-t-il. Il étudie cinq ans à l’Ecole des beaux-arts de Dijon puis rejoint la capitale française pour suivre les cours de l’Institut des hautes études en arts plastiques. En 1993, heureux pensionnaire de la Villa Médicis (palais qui héberge l’Académie de France à Rome), il met en place un projet d’envergure : Les 108 brigands. Considéré comme l’un des grands peintres contemporains de sa génération, Yan Pei-Ming est reconnu pour ses portraits de personnalités politiques et culturelles, de Mao Zedong à Madoff, en passant par Bruce Lee ou le pape Jean-Paul II. Réalisés par de larges et rapides coups de brosse ou de gros pinceaux, ses portraits sont créés dans des saturations de noir, de gris, de blanc, parfois de rouge. Autre caractéristique de ses tableaux peints en séries : leur taille imposante. L’artiste explique avoir toujours été attiré par les grands formats. Et quand on lui demande d’où pourrait venir cette fascination, Yan Pei-Ming répond non sans une pointe d’humour :  » J’ai toujours préféré le cinéma à la télévision !  » Voilà qui ne manque pas de franchise. Quelle que soit sa recette, l’artiste franco-chinois mène aujourd’hui une carrière internationale, de Paris à Pékin, en passant par San Francisco ou New York !

La ruée vers l’art… chinois !

Guy et Myriam Ullens de Schooten se devaient bien évidemment de lui ouvrir leur musée. Qui est, déjà, une référence. Leur pari audacieux déconcerte pourtant par la  » facilité  » avec laquelle ils ont pu concrétiser leur rêve chinois.

Tout commence dans les années 1980. Guy Ullens, entrepreneur hyperfortuné et voyageur averti, passe beaucoup de temps en Chine. Il profite de ses week-ends pour rencontrer des artistes, les accompagner dans leurs ateliers aux alentours de l’Académie. Ceux-ci travaillaient encore presque exclusivement pour le parti, l’armée ou la propagande. Mais, progressivement, des opportunités nouvelles – signe d’une évolution des mentalités – s’ouvraient à eux : ces plasticiens se sentent devenir des artistes libres. Loin de la pression spéculative actuelle, Guy et Myriam Ullens achètent quantité d’£uvres de peintres et de sculpteurs encore inconnus. Sans le savoir, ils encouragent la production de toute une génération d’artistes chinois. Ils rassemblent de cette façon et pour une  » bouchée de pain  » 1 500 pièces (!) – toutes techniques confondues – d’artistes qui, aujourd’hui au sommet de leur art, s’arrachent à prix d’or. Mais une envie, bien plus profonde que de simplement  » empiler  » des £uvres, se fait ressentir : partager leur passion pour l’art chinois en donnant plus de visibilité à ces artistes. L’occasion rêvée de montrer à ceux qui l’ignoraient encore qu’il se passe des choses en Chine. Le rayonnement du pays passe par l’art contemporain et Guy Ullens est prêt à tout pour le prouver. Collectionneur puis prêteur, il deviendra dans un troisième temps l’initiateur d’expositions d’art actuel chinois en Europe.

Inévitablement, toute cette collection (comprenant également de gigantesques installations) se fait de plus en plus envahissante… Il devient urgent de trouver un lieu où tout entreposer. L’idée, somme toute logique, est de rapatrier les £uvres dans leur berceau originel, en Chine. Les Ullens se mettent à la recherche d’un espace capable de contenir d’immenses volumes et découvrent, dans le quartier de Dashanzi ( voir encadré), une ancienne usine désaffectée d’armement militaire offrant une surface de 8 000 mètres carrés. Charmés par les deux nefs sans piliers et conscients du potentiel à exploiter, une nouvelle idée germe… celle d’en faire un musée ! Après avoir consacré une part importante de leur vie et de leur fortune à l’art chinois, le couple voit dans ce projet audacieux une façon de rendre à la Chine ce que la Chine leur avait donné.

L’affaire a été  » réglée à la chinoise  » : les étapes se sont succédé par chance de manière accélérée. En deux ans, les collectionneurs – secondés par quelques spécialistes renommés – ont réussi l’incroyable pari d’ouvrir un centre d’art contemporain chinois à Pékin. Le bâtiment en friche fut revisité par l’architecte français Jean-Michel Wilmotte qui transforma – presque de sa baguette magique – ces anciens hangars en un gigantesque espace d’exposition répondant aux exigences muséales internationales et comprenant entre autres un auditorium, une boutique, un bar et un restaurant. Fidèle au style immaculé des musées d’art contemporain, le bâtiment industriel n’a pourtant pas perdu de son identité, la charpente et la splendide cheminée de briques ayant été conservées.

L’ouverture le 2 novembre 2007 du Ucca (Ullens Center for Contemporary Art), premier musée privé d’art contemporain en Chine, fut un événement rapporté par la presse du monde entier. Véritable cadeau du baron Ullens et de son épouse à la communauté chinoise, l’Ucca s’était alors donné pour mission d’exposer des artistes émergents ou confirmés et de mettre en £uvre un ambitieux programme de recherche et d’éducation (séminaires, colloques, publications, formations, projections et concerts).  » Nous souhaitons que ce centre soit une fenêtre sur le monde de l’art et un voyage à travers la richesse de la créativité contemporaine « , expliqua le couple Ullens lors de la fastueuse soirée inaugurale.

Une autre personnalité incontournable – dont le talent créatif n’est plus à prouver – a rejoint l’aventure  » Ucca  » : Jérôme Sans. Critique d’art, directeur artistique et commissaire de nombreuses expositions internationales, il fut aussi codirecteur du palais de Tokyo (Paris) depuis sa création, en 2001, jusqu’en 2006. Il fut nommé à la tête de l’institution pékinoise en mars 2007. Son rôle : aider à la formation de l’identité du jeune centre et participer à son rayonnement en Chine, et au-delà de ses frontières.

Landscape of Childhood , Ucca, 798 Art District, No. 4 Jiuxianqiao Lu, Chaoyang District, Pékin. Jusqu’au 11 octobre 2009. www.ucca.org.cn

GWANAELLE GRIBAUMONT

le rayonnement de la chinepasse par l’art contemporain

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