Thinzar Shunlei Yi, activiste prodémocratie depuis le début des années 2010, forcée à la clandestinité depuis le putsch du 1er février 2021. © GETTY IMAGES

Birmanie: il n’y a pas qu’Aung San Suu Kyi comme figure d’opposition

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La résistance au dernier putsch des militaires birmans révèle une opposition plus diversifiée et moins aisée à combattre. La preuve par le parcours de Thinzar Shunlei Yi, jeune militante prodémocratie contrainte à la captivité.

Quand on pense à l’opposition à la junte birmane, surgit inévitablement la figure d’Aung San Suu Kyi. Fille d’un des pères de l’indépendance, résistante historique aux militaires, prix Nobel de la paix en 1991, et, aujourd’hui encore, cible favorite de la répression des généraux auteurs du coup d’Etat du 1er février 2021 (elle a été condamnée à deux et quatre ans de prison en attendant d’autres procès). Mais l’aura de l’icône a pâli, en raison de la cohabitation controversée entre son parti, la Ligue nationale pour la démocratie et l’armée à la faveur de la période de démocratisation. Le putsch d’il y a un an conforte ceux qui, en 2016, furent sceptiques sur la réussite de cette alliance.

Nous nous bercions d’illusions en rêvant d’une nation démocratique sous la Constitution de 2008, rédigée par les militaires.

La conviction de la nécessité d’une autre voie a, en partie, justifié l’activisme de Thinzar Shunlei Yi, une jeune femme âgée aujourd’hui d’une trentaine d’années, dont le parcours est conté, avec la retenue appropriée, par le journaliste français Guillaume Pajot dans Mon combat contre la junte birmane (1). « La démocratie que nous avons connue ces dix dernières années était fausse. Et nous nous bercions d’illusions en rêvant d’une nation démocratique sous la Constitution de 2008, rédigée par les militaires. Ce faux spectacle démocratique, cette pièce de théâtre organisée par l’armée, révèle sa vraie nature », ose Thinzar Shunlei Yi dans un post Facebook à ses « amis à l’étranger » le jour du coup d’Etat. Y transparaît d’emblée la rancoeur de cette militante prodémocratie, animatrice de l’émission Under 30 Dialogue for #NewMyanmar sur Mizzima TV et chargée de plaidoyer du Comité d’action pour le développement de la démocratie, envers les compromissions d’Aung San Suu Kyi, coupable, selon elle, d’avoir ignoré les revendications des minorités, d’avoir nié le massacre des Rohingyas, la minorité musulmane du pays, d’avoir bafoué la liberté d’expression et traîné les journalistes en justice.

Cette fracture entre la stratégie d’Aung San Suu Kyi et celle d’une nouvelle génération d’opposants continue de produire ses effets dans l’attitude à adopter face à la junte actuelle. Les responsables de la Ligue nationale pour la démocratie réclament la libération de leur leader, multicondamnée depuis le putsch, et le rétablissement du Parlement. Alors que Thinzar Shunlei Yi et ses compagnons veulent une « révolution », à savoir l’abrogation de la Constitution de 2008 qui, écrite par eux, attribue aux militaires les ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières, ainsi qu’un quart des sièges du Parlement, garantie d’un droit de veto sur… une modification de la loi fondamentale.

L’armée, état dans l’état

Au-delà de l’enjeu politique du moment, la biographie de Thinzar Shunlei Yi est le récit d’un étonnant parcours de vie qui en dit beaucoup sur la diversité de la société birmane. La militante est née privilégiée. Son père est un militaire, sa mère « femme au foyer ». Thinzar Shunlei Yi explique bien comment ce cocon de l’armée crée un Etat dans l’Etat, une microsociété avec ses prébendes et, dès lors, nourrit chez les militaires la volonté de se protéger du reste de la population dans un « eux » et « nous » mortifère et raciste, en regard des nombreuses minorités qui vivent le pays, souvent en résistance face au pouvoir central dont l’armée est le garant.

« La Tatmadaw est la seule armée au monde à être en guerre, sans interruption, depuis la Seconde Guerre mondiale », rappelle l’opposante. Elle n’est pourtant pas un bloc monolithique. Pour preuve, les défections qu’elle a subies depuis le coup du 1er février 2021 et, dans le livre, les questionnements qui agitent le père de Thinzar Shunlei Yi, écartelé entre la répression à laquelle il a sans doute participé par le passé et sa compréhension du combat de la rébellion karen, l’une des principales oppositions armées au régime.

(1) Mon combat contre la junte birmane, par Thinzar Shunlei Yi, avec Guillaume Pajot, Robert Laffont, 190 p.
(1) Mon combat contre la junte birmane, par Thinzar Shunlei Yi, avec Guillaume Pajot, Robert Laffont, 190 p.© Frederic Delchambre

La force de la résistance

Ce père aidera d’ailleurs sa fille aînée engagée dans le combat politique à fuir, en mars 2021, la répression de l’après-putsch, dont il était acquis qu’elle subirait les foudres, en facilitant son refuge dans la zone contrôlée par la rébellion karen au sud-est de la Birmanie, première destination d’une clandestinité qui continue aujourd’hui. Thinzar Shunlei Yi en souffre à coup sûr. Mais les réactions observées dans les jours qui ont suivi la dernière avanie des généraux lui redonnent néanmoins confiance en un avenir plus harmonieux pour son pays. « J’ai l’impression que de nouveaux activistes émergent chaque jour, avides de protéger leurs propres idées, d’organiser leurs propres rassemblements. Tant mieux, le mouvement prodémocratie devient ainsi bien plus difficile à contrer que lorsque Aung San Suu Kyi accaparait l’attention, et qu’il suffisait de la mettre sous les verrous pour affaiblir la mobilisation ». L’après-Aung San Suu Kyi a-t-il commencé?

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