» IL FAUT UN VRAI COMITÉ DE SURVEILLANCE « 

Les prisons sont en ébullition et ce n’est guère étonnant. Pour le criminologue Philippe Mary, il est grand de temps d’installer un mécanisme indépendant et permanent des lieux de détention.

Flics, gardiens, magistrats… Ils sont fatigués, sur les nerfs, au bord du burnout. Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, la pression est maximale sur le monde judiciaire et carcéral, déjà mis à la diète au nom de l’austérité. Cette fois, ce sont les prisons francophones du pays qui ont manifesté leur ras-le-bol et sont parties en grève. Malgré les assurances du ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) que tout va mieux en prison puisque la surpopulation y a diminué de 12,6 à 11,8 % en un an, la situation reste très précaire dans pas mal d’établissements, surtout les maisons d’arrêt où s’entassent les détenus préventifs.

En outre, la gestion carcérale des djihadistes, de plus en plus nombreux, requiert beaucoup de moyens. L’absentéisme, déjà élevé dans la profession d’agent pénitentiaire, a donc encore augmenté depuis les attentats. Pour Philippe Mary, criminologue à l’ULB et président du CPT Belgique (Comité européen pour la prévention de la torture), il n’y a rien d’étonnant à tout cela. L’univers carcéral est le parent pauvre du politique, qui n’a que peu d’intérêts électoraux à apporter de vraies et courageuses solutions aux problèmes des prisons. On l’a vu avec la réforme Dupont sur le statut des détenus qui a été très partiellement et partialement appliquée : une belle occasion manquée. Faute de mieux, le Pr Mary plaide aujourd’hui pour que la Belgique mette enfin en place un mécanisme de surveillance indépendant des lieux de détention, comme elle s’est engagée à le faire depuis des années.

Il y a grève générale dans les prisons alors que le ministre de la Justice ne cesse de répéter que la surpopulation carcérale diminue. Ça coince où ?

Le problème du discours officiel par rapport à la surpopulation, c’est qu’on parle d’une diminution générale. La surpopulation a globalement un peu baissé parce qu’on a ouvert de nouveaux établissements. Mais elle n’a pas diminué de manière suffisamment importante pour dire que le problème a été résolu en Belgique, surtout dans les maisons d’arrêt comme à Forest. Loin de là. Dans ces établissements, rien n’a changé depuis vingt-cinq ans.

Le ras-le-bol des gardiens n’est mis en cause ni par les policiers qui doivent les remplacer, ni par les avocats, ni par l’Observatoire des prisons (OIP), ni par les familles de détenus. Tous pointent les politiques. A raison ?

On peut comprendre le ras-le-bol des gardiens des établissements en sous-effectifs, où le ministre veut encore réduire le personnel de 10 %. Mais il faut aussi rappeler que le taux d’absentéisme est très élevé chez les surveillants pénitentiaires, et ce pour des bonnes et des mauvaises raisons. On recense de nombreux burnout, et c’est préoccupant, mais il y a aussi des agents qui tirent sur la ficelle. Il est urgent de prendre ce problème global à bras-le-corps. En outre, l’absence de service minimum pose un réel problème de souffrance pour les détenus. Ce sont des êtres humains qui doivent manger, se laver, voir leur famille… Les grèves sans service minimum peuvent avoir des conséquences catastrophiques. Il y a eu un mort à Andenne, en 2003, pendant un mouvement de grève. La Belgique et l’Albanie sont les seuls pays du Conseil de l’Europe à ne pas avoir de service minimum en prison.

Vous plaidez aussi pour la mise en place d’un mécanisme national de surveillance des prisons, indépendant et permanent(1).

C’est ce que prévoit le protocole additionnel facultatif à la Convention de l’ONU sur la torture, que plusieurs ministres belges de la Justice ont déjà annoncé vouloir ratifier, suite aux recommandations répétées du CPT. Ce mécanisme de surveillance concernerait tous les lieux de détention : prisons, IPPJ, cellules de commissariat, centres fermés pour réfugiés, hôpitaux psychiatriques… De nombreux pays ont ratifié le protocole. La Belgique est un des rares Etats signataires de la convention onusienne à ne pas l’avoir fait. C’est peu reluisant pour un pays comme le nôtre, fondateur de l’Europe, avec une tradition ancienne en matière de droits de l’homme.

Quelle forme peut avoir un tel comité de surveillance ?

C’est laissé à l’appréciation des Etats. Souvent, le mécanisme de surveillance est inclus dans les missions d’un ombudsman. En Belgique, ce pourrait être le médiateur fédéral qui s’en occupe, avec une équipe adéquate. Le principal critère est que le comité soit indépendant. Pour le reste, tout est imaginable.

Mais il existe déjà, en Belgique, un conseil central de surveillance des prisons qui coordonne les commissions de surveillance de chaque prison. N’est-ce pas suffisant ?

Non, tout le monde le sait. Les membres des commissions sont bénévoles, très peu nombreux et ne reçoivent même pas un défraiement pour leurs déplacements. Les membres du conseil central sont, eux, nommés par le ministre de la Justice. Ils ne jouissent donc pas de l’indépendance requise. Ils n’ont pas non plus les moyens de leur mission. Ils ne font d’ailleurs quasiment jamais de monitoring d’un établissement. Koen Geens a le projet de rattacher ce conseil au Parlement plutôt qu’à l’exécutif. C’est a priori une bonne chose, mais cela concernerait les prisons et non pas tous les lieux de détention, comme le prévoit le protocole. Il n’y a pas que dans les prisons où l’on est confronté à des mauvais traitements… On risque donc de passer à côté de l’objectif, sans même parler des moyens.

Un vrai comité national de surveillance peut avoir une influence ?

C’est toujours difficile à dire. Mais un organe indépendant et qui a les moyens de ses missions peut avoir du poids, ne fût-ce qu’au niveau médiatique. Voyez le contrôleur des prisons en France. Lorsqu’il fait le monitoring d’une prison, il y reste une à deux semaines. Les médias en parlent. Ça fait du bruit. En Belgique, on est très loin du compte. Pourtant, je crois que la plupart des directeurs de prison sont demandeurs d’une telle surveillance indépendante, car ils savent que les expertises de ce comité, s’il existait, iraient dans le sens de ce qu’ils demandent eux-mêmes aux politiques.

(1) Le Centre de recherche criminologique de l’ULB organise une journée d’information sur le mécanisme national de surveillance, le 20 mai, au campus du Solbosch, à Bruxelles.

PAR THIERRY DENOËL

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