Il faut sauver l’école francophone

Le mauvais bulletin décerné par l’OCDE à notre enseignement a suscité beaucoup d’émoi. Mais les réponses du gouvernement et des différents acteurs de l’éducation n’ont pas été à la hauteur

Les élèves francophones sont dans le rouge: à 15 ans, ils se classent, en lecture et en sciences, à la 25e position sur 32 pays industrialisés. En mathématiques, ils sont à la 20e place. L’enquête de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ( lire Le Vif/L’Express du 7 décembre) a provoqué un véritable électrochoc dans la population. En réponse, on aurait pu espérer une mobilisation des responsables de l’école. Las: les ministres, syndicats d’enseignants et pouvoirs organisateurs ne se sont pas entendus sur une thérapie de choc. Ils ont préféré continuer à s’étriper sur un projet de Jean-Marc Nollet (Ecolo), ministre communautaire de l’Enseignement fondamental: cinq jours de formation obligatoire pour les enseignants pendant ou après les cours. Certes, le dossier est important. Mais la gravité de la situation n’a finalement contribué qu’à accélérer une proposition de décret sur une commission de pilotage – déjà existante! – pour renforcer le contrôle de qualité en matière d’éducation.

Un spectacle affligeant, car tout le monde a été pris de court? Voire. « Notre système d’enseignement est inefficace et inéquitable », écrivait, dès 1997, Marcel Crahay, professeur à l’université de Liège (ULg), dans Une école de qualité pour tous (Labor). En 1991, son service de pédagogie expérimentale avait participé à une enquête de l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (IEA): en lecture, nos jeunes de 14 ans s’étaient trouvés bons derniers, parmi une vingtaine de pays développés. En 1995, ils ont aussi décroché la lanterne rouge d’une évaluation en sciences, auprès d’une quarantaine de pays. Quant aux Flamands, qui avaient connu cet affront en 1971, ils s’étaient hissés entre-temps à la 11e place. Enfin, en mathématiques et toujours en 1995, nos élèves de 2e secondaire se trouvaient légèrement au-dessus de la moyenne. Mais la Flandre, dont les performances étaient proches des nôtres vingt ans plus tôt, caracolait en 5e position.

Comment expliquer ces résultats? « A 15 ans, 44 % des élèves belges francophones ont un retard scolaire, pour seulement 28 % des Flamands », déplore Dominique Lafontaine, professeur de pédagogie à l’ULg. Ces ados en échec tireraient donc la moyenne francophone vers le bas. Car le score moyen des Wallons et des Bruxellois qui n’ont jamais doublé est, il est vrai, comparable à celui des Flamands.

La Belgique francophone dispose en effet d’une élite, mais elle est deux fois moins importante qu’en Flandre. En revanche, sa proportion d’élèves très faibles est trois fois plus élevée, du moins en lecture. Cela s’expliquerait, en partie, par une différence de prospérité entre les deux régions. Plus le statut socioprofessionnel des parents est élevé, meilleures sont les performances des élèves. Ce serait spécialement vrai en Belgique francophone, où s’affichent les disparités les plus criantes entre les premiers et les derniers de classe. Il s’agit, en réalité, de différences entre établissements. A côté d’écoles très sélectives, il y a, chez nous, davantage d’institutions où l’on ne parvient plus à enseigner, où l’on se contente de faire de l’animation, voire du gardiennage, en raison de problèmes de violence et de décrochage.

Mais que fait le gouvernement? Les ministres se sont exprimés en ordre dispersé. Françoise Dupuis, ministre socialiste de l’Enseignement supérieur, a reproché à son collègue libéral du secondaire, Pierre Hazette, de ne pas avoir assez investi dans des structures d’orientation positive: nos élèves changent plus souvent d’école qu’ailleurs, par facilité ou parce qu’ils sont relégués d’établissements huppés vers des écoles moins cotées. Pour lutter contre les ghettos, Nollet a suggéré de « coresponsabiliser » des écoles géographiquement proches qui devraient se partager les élèves les plus difficiles. En Flandre, Marleen Vanderpoorten, ministre VLD de l’Enseignement, met au point un système de quotas d’immigrés par établissement pour lutter contre les refus d’inscription et mélanger davantage les publics.

Mais Hazette est, lui, farouchement attaché à la liberté du chef de famille. « Il faut se méfier des fausses bonnes idées, explique le ministre libéral. Je ne suis pas sûr qu’une mixité socioculturelle ne provoquerait pas de malaise parmi les jeunes les plus fragilisés. » La politique des discriminations positives, qui remonte au début des années 90 avec les premières zones d’éducation prioritaire, n’est donc pas remise en cause, même si elle se contente d’entériner les inégalités.

Il n’y aura pas non plus de baccalauréat à la française. « J’ai défendu cette option avant la constitution du gouvernement, mais je n’ai pas été suivi, regrette Hazette. Cette évaluation menée au terme des humanités, non par les professeurs de chaque établissement, mais par un collège d’interrogateurs externes aurait permis aux élèves et aux écoles de se situer les uns par rapport aux autres. Certains y ont toutefois vu une barrière à l’enseignement supérieur. » On poursuivra donc le système d’évaluations externes mis en place dès 1994 ( lire ci-contre). Les élèves de 8 à 14 ans sont régulièrement testés, mais « pour du beurre ». Seuls les établissements concernés reçoivent les résultats: s’ils sont « mauvais », ils peuvent adapter leurs exigences, mais ils n’y sont pas contraints.

En réalité, le principal mérite d’Hazette aura été de donner une publicité à l’étude OCDE, alors que d’autres avaient passé sous silence des résultats similaires. D’ici à la fin janvier, le ministre aura aussi accouché d’un projet de réforme de l’inspection, pour promouvoir une évaluation permanente des compétences des élèves, sans accroître le contrôle des enseignants. Pour le reste, Hazette plaide la patience. Le gouvernement a pris des mesures qui doivent produire des effets: réforme de la formation initiale des enseignants, introduction d’une heure supplémentaire de sciences, ouverture de classes pour les « primo-arrivants » qui ne parlent pas le français…

Il est vrai que l’enseignement francophone n’a jamais été avare de réformes, petites ou grandes. « L’école est même malade des trop nombreux ministres qui se sont succédé, pense Willem Miller, de la CSC-Enseignement. Depuis 1971, date de la mise en place du rénové, ils ont été plus de vingt. Pis: à partir de 1989, ils sont au moins deux à se partager la matière, avec d’énormes difficultés de concertation. » Résultat: la politique éducative manque de continuité et de cohérence. Dans le même temps, l’école a subi l’austérité budgétaire. « Mais l’absence de moyens n’a pas empêché la multiplication des réformes! poursuit Miller. On avait espéré que ce gouvernement calmerait le jeu, permettrait aux enseignants de s’approprier les nouvelles méthodes. Ce n’est pas le cas. Chaque ministre veut marquer l’école de son empreinte. Mais à force de vouloir bien faire… La commission de pilotage en donne encore un exemple. C’est une bonne idée. Mais sa composition attise les craintes. Les réseaux et les syndicats – c’est-à-dire les gens du terrain – y sont sous-représentés, au profit de technocrates qui, en vingt ans, ne sont pas parvenus à trouver le bon système. » Délétère, le climat scolaire?

Dorothée Klein

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