Il était une fois, à Troie…

Daniel Scahaise convoque les dieux et les hommes de la tragédie antique : une saga épique dans les entrailles des Atrides, un spectacle qui s’annonce hors normes au théâtre des Martyrs : les Grecs !

Les épopées aux généreuses distributions, Daniel Scahaise les affronte avec gourmandise depuis les débuts de sa troupe Théâtre en Liberté en 1992, des Quatre mousquetaires à Brecht, Shakespeare… Cette fois, il chevauche l’un de ses axes préférés, la tragédie grecque, déjà abordée avec Le Sang des Atrides (1996) et Prométhée enchaîné (2007). Alors, Eschyle, Sophocle ou Euripide ? Tous les trois, ensemble, bout à bout et mêlés, truffés d’extraits des poèmes d’Homère et de la Théogonie d’Hésiode. Vaste programme de quatre heures (1) qui réveille la guerre de Troie.  » Parce que c’est un point essentiel de notre mythologie, explique Daniel Scahaise, nourri d’Ismaël Kadaré ( Eschyle perdant) et de La Sagesse des mythes de Luc Ferry, qui ne cesse de nous parler, peut-être plus que les cycles de Thésée ou d’Antigone. Et parce que les gens de théâtre sont des raconteurs d’histoires, ce qu’on oublie un peu trop souvent. Ces histoires parlent de nos pulsions, de nos lâchetés, de nos tabous, de notre rapport aux dieux.  »

L’aube se lève sur les Troyennes (Euripide), sur ces femmes victimes des Grecs.  » Comment ne pas y voir des vaincues jetées dans un camp sur une plage, qui viennent d’être violées par les vainqueurs ? » Parmi ces femmes, la vieille Hécube, mère d’Hector, de Cassandre, de Polixène… Zoom sur Agamemnon (celui d’Eschyle) qui mena la flotte grecque à la victoire sur Troie, non sans avoir sacrifié sa fille Iphigénie, ce que ne lui pardonnera pas sa femme Clytemnestre. Au retour de son époux, elle le tue. Leur fille Electre (vue par Sophocle) attend de venger son père et arme le bras de son frère Oreste… qui tue leur mère et est finalement  » acquitté  » par le tribunal des hommes (retour à Euripide) ! Ainsi s’achève la malédiction des Atrides.

 » Il est fascinant de suivre l’évolution des personnages d’un auteur, d’une tragédie à l’autre. L’Agamemnon d’Eschyle n’a rien à voir avec celui d’Euripide. De même Electre montre un côté maternel chez Euripide qu’elle n’a pas chez Sophocle. Nous n’avons pas gommé mais assumé ces contradictions des héros.  » Un autre fil rouge de cette saga sanglante, qui n’en finit pas d’interroger notre humanité, se tricote dans le rapport des dieux et des hommes, au travers du regard évolutif que les auteurs portent sur ces dieux,  » qui, comme le dit Erasme dans son Eloge de la Folie, sont assis au balcon, et quand les hommes se disputent, ces dieux se penchent et rient… D’Eschyle à Euripide, leur existence et leur utilité s’effilochent, les hommes s’en libèrent « .

N’attendez pas du spectacle de Daniel Scahaise une reconstitution archéologique.  » Je ne monte pas une tragédie grecque, je n’en respecte pas la forme, je raconte d’abord une histoire. Le ch£ur devient ici action, et ses digressions philosophiques sont mises dans la bouche des personnages. Je suis quelqu’un qui travaille sur le fond plus que sur la forme. Par contre, j’utilise la machinerie des Grecs, comme l’eccyclème (sorte de chariot mobile) qui me permet de faire apparaître la baignoire sanglante d’Agamemnon. « 

(1) Les Grecs, première partie (La guerre, les femmes), théâtre des Martyrs, du 15 au 25 septembre. Deuxième partie (Les crimes, les dieux) du 28 septembre au 10 octobre. En alternance du 12 au 29 octobre. Intégrale les 17, 24, 30 et 31 octobre. www.theatredesmartyrs.be Tél. : 02 223 32 08.

MICHÈLE FRICHE

 » La mythologie grecque parle de nos pulsions, de nos lâchetés et de nos tabous « 

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