IL ÉTAIT ENCORE UNE FOIS DANS L’OUEST

Même pas mort. Avec Les huit salopards, de Quentin Tarantino, le western retrouve des couleurs et, dans The Revenant, Alejandro González Iñárritu en fait un magnifique combat entre l’homme et la nature. Enquête sur un genre star qui n’en finit pas d’arpenter l’Amérique et ses mythes.

Il était une fois… dans l’Ouest. Ainsi commence l’aventure du western, à la fois conte et légende, récit d’apprentissage, manuel d’histoire, épopée culturelle et miroir d’un pays en construction. Il suffirait presque d’aligner les titres pour raconter cette époque qui balaie le XIXe siècle et met en place l’ordre et la loi, la colonisation et le rêve américain : Les Conquérants d’un nouveau monde, Au mépris des lois, Les pionniers de la Louisiane, Une bible et un fusil, Le cheval de fer, Le dernier des Peaux-Rouges, Buffalo Bill et les Indiens, Je n’ai pas tué Lincoln, Je vais, je tire et je reviens… Quelques passionnés de la gâchette ont recensé 6 000 westerns tournés depuis l’invention du cinéma, en 1895. Soit des tonnes de poussière, des kilomètres de pistes, des litres de café bouilli au feu de bois, des bagarres en saloon à la pelle et… quasiment un western par semaine à se mettre sous l’oeil. Peu de genres peuvent aligner un tel palmarès. Aucun, d’ailleurs. Même pas le polar, autre peinture de l’Amérique, qui s’est coloré en thriller, film policier, film noir… Le western, c’est le western. Point.

 » Vis ta vie, mais ne m’emmerde pas ou je te tire dessus  »

Il n’est pas mort. Sans doute pas aussi vivace que dans les années 1940-1960, mais il revient régulièrement : Danse avec les loups, Impitoyable, Mort ou vif, Trois enterrements, True Grit… En ce début 2016, Quentin Tarantino remet le couvert après son Django Unchained et s’affiche avec Les huit salopards, western en huis clos, façon roman à énigme agathachristien en version gore. Le genre résiste à tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. Le 24 février, sort Jane Got a Gun, avec Natalie Portman en pistolero, et le 27 janvier, Alejandro González Iñárritu propose The Revenant, avec Leonardo DiCaprio, extraordinaire récit de vengeance et de survie dans un paysage neigeux et glacé avec Indiens fantomatiques et grizzli pas content. Le genre résiste à tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

 » Le western est le cinéma américain par excellence « , écrit André Bazin en 1953. Contrairement à l’Europe, et particulièrement à la France dont la culture s’est construite par le verbe et dont l’histoire s’est racontée au fil des pages des livres, les Etats-Unis, eux, se sont mis en scène sur grand écran. Le 7e art est le miroir d’un pays qui avance en même temps qu’il se représente. Le cinéma américain est celui du mouvement, de l’action, du comportement. Le héros ou l’homme de la rue a trouvé sa place dans les films qui ont façonné, dans la réalité, une certaine façon de vivre et de penser. Le western a pris sa (grande) part dans l’érection de cette mythologie qui sans cesse s’est frottée à la société. Dans Western : nouvelles frontières, documentaire réalisé par Marius Doïcov et Julien Dupuy, le réalisateur John Carpenter dessine parfaitement la silhouette du cow-boy pour la projeter dans l’Amérique d’aujourd’hui et de toujours :  » Il y a quelque chose dans l’esprit des gens qui s’installaient dans l’Ouest qui peut se résumer à « s’il te plaît, amuse-toi, vis ta vie, mais ne m’emmerde pas ou je te tire dessus. »  » Le culte de l’individu, déjà.

L’origine esthétique et dramatique du blockbuster

Quentin Tarantino, costume gris cintré et bien coiffé, moins turbulent que d’habitude, est intarissable sur le western. Il serait sans doute capable de citer le nom du comédien mexicain qui dort près de la grange, un sombrero sur le visage.  » J’aime le western parce que c’est notre culture. Je l’aime parce qu’il est à la fois mythe et histoire. Et qu’il parle de la masculinité, de l’amour, de la rédemption et de la fragilité humaine. Je préfère le western italien, car son aspect baroque et stylisé me plaît davantage que le classicisme de John Ford mais, pour moi, Rio Bravo reste une référence à tous points de vue.  » Il ne croit pas si bien dire. Ce film de Howard Hawks, sorti en 1959, à revoir mille fois pour ne jamais s’en lasser, avec John Wayne en shérif et Dean Martin en adjoint alcoolo prêt au rachat, signe la fin d’une époque : les grands studios hollywoodiens meurent, le cinéma se politise, une nouvelle génération de cinéastes et d’acteurs apparaît – Arthur Penn, Sidney Lumet, Paul Newman, Robert Redford… -, la télévision s’installe durablement à la maison, le cinéma européen débarque aux Etats-Unis. Un western est le symbole de toutes ces transformations culturelles, économiques et sociales.

D’ailleurs, le genre aussi évolue et mute.  » C’est une éponge, note l’universitaire Jean-Marie Tixier, coauteur d’un Dictionnaire du western (Vendémiaire). Il fait écho à l’actualité et rend compte des bouleversements de la société. Le train sifflera trois fois, par exemple, dénonce ouvertement le maccarthysme.  » Son scénariste, Carl Foreman, a été inscrit sur la liste noire et s’est exilé en Grande-Bretagne à la sortie du film, en 1952. Soldat bleu, en 1970, est, lui, un démarquage de la guerre du Vietnam et Jeremiah Johnson, en 1972, un acte écologique. La liste est longue.  » C’est un genre complet. A partir d’une structure épique qui peut flirter avec la tragédie, il propose toujours une réflexion politique « , explique Claude Aziza, coauteur du Dictionnaire du western. Il sert également, dans un vaste recyclage dont Hollywood a le secret et la maîtrise, de base esthétique et dramatique au blockbuster. Puisqu’on en parle un peu ces temps-ci, la saga de La guerre des étoiles n’est rien moins que la version galactique de la conquête de l’Ouest et des nouveaux espaces. Que porte donc Han Solo à la ceinture ? Oui, un étui et un revolver…

 » A force d’être à ce point localisé à une région et à une époque, le western devient universel. C’est le paradoxe d’un genre qui fonctionne à la fois sur le réel et le fantasme « , analyse Thomas Bidegain, réalisateur des Cowboys et fidèle scénariste de Jacques Audiard, avec qui il écrit en ce moment… un western, adaptation des Frères Sisters, de Patrick deWitt. Le film qui illustre le mieux le  » paradoxe  » de Thomas Bidegain est sans doute Pale Rider, magnifique western de Clint Eastwood, toujours le pied à l’étrier. La star y joue un homme sans nom, pasteur vêtu de noir, comme sorti des ombres de l’enfer, qui débarque dans une bourgade tenue d’une main de fer par ce salopard de Coy LaHood. A la description réaliste de la vie des chercheurs d’or répond la figure onirique d’un homme capable de hanter les rêves des uns et les cauchemars des autres. L’essence même du cinéma.

Il serait un brin fastidieux de citer les films évoquant : le massacre des Indiens et la dénonciation d’une politique colonialiste, la guerre de Sécession et la réunification du pays, la construction du chemin de fer et le maillage économique entre les Etats, la victoire de la loi sur le crime et celle de la démocratie sur les abus de pouvoir, la figure du self-made-man et la (trop) lente affirmation de la figure féminine – regardez donc Barbara Stanwyck dans Quarante tueurs, de Sam Fuller -, enfin, la naissance de l’industrialisation à l’aube du XXe siècle alors que les derniers coups de feu résonnent encore dans L’homme qui tua Liberty Valance. Le journaliste Dutton Peabody y déclare :  » Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende.  » Dire la vérité telle qu’il la voit.

La conquête de l’Ouest est une quête de soi

Au-delà de cette peinture politique, il y a aussi, et surtout, la description de la nature humaine, de ces hommes et de ces femmes parfois meurtris par un passé douloureux, confrontés à des situations extrêmes par lesquelles ils vont se définir, et incapables de dessiner leur propre avenir. La conquête de l’Ouest est une quête de soi.  » Les romans de Fenimore Cooper sont déjà empreints d’une certaine nostalgie, souligne Claude Aziza. Le western est le genre qui évoque le mieux le temps qui passe, la fragilité de l’existence, le passage à l’âge adulte, la mort. Et la façon dont l’homme cherche sa place dans le monde. Sans forcément la trouver, d’ailleurs.  » Dans Les huit salopards, Tarantino s’amuse (et parfois ennuie) à brouiller les identités de ses personnages et filme la vie comme une pièce de théâtre, tandis qu’Iñárritu, dans The Revenant, met en scène l’homme et la nature en un scénario où rien ne compte hors le désir de survie et de vengeance. Le bien et le mal rongés jusqu’à l’os.

Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone. Si le cinéaste a fait cuire le genre dans l’eau des pâtes pour afficher un nouveau menu, il lui a surtout redonné des couleurs. Ce western devenu classique est même à inscrire au Panthéon – si l’on veut bien excuser ce raccourci culturel. Tout y est. Le romanesque et le tragique, la mythologie du cinéma et le récit d’une époque. Un chef-d’oeuvre artistique et la photographie exacte d’une société en pleine transformation… Dernière séquence. Henry Fonda vient de mordre la poussière. Charles Bronson quitte un monde qu’il ne connaît plus et se retire de la scène. Jason Robards est mort à ses pieds. La trace des cow-boys va peu à peu s’effacer, et seul le cinéma saura la retrouver. Il faut maintenant partir. Un dernier regard sur un temps qui disparaît. Le chemin de fer arrive, une gare sort de terre. L’homme à l’harmonica n’est plus à sa place mais il ne regrette rien. Il va juste s’en aller et laisser les hommes de bonne volonté construire un pays à venir.

Par Eric Libiot

 » J’aime le western parce qu’il parle de la masculinité, de l’amour, de la rédemption et de la fragilité humaine  »

Quentin Tarantino

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