» IL AURAIT eu UN RÔLE DANS LA ROME ANTIQUE « 

Berlusconi rappelle au latiniste Guy Achard * des tribuns bien plus anciens.

Le Vif/L’Express : A quels personnages de l’Antiquité Berlusconi vous fait-il penser ?

> Guy Achard : Je ne pense pas qu’il faille penser aux tribuns de la fin du iie siècle av. J.-C., comme les Gracques, ou au révolutionnaire Catilina. Mais plus, dans sa première manière, à un Clodius, l’ennemi de Cicéron, procédurier et friand de frasques. Si l’on écoute le verbe plus adouci, mais toujours direct, du Berlusconi d’aujourd’hui, c’est à Caton l’Ancien, adepte du parler vrai et railleur du beau sexe, qu’on pourrait songer.

La communication à Rome, il y a deux mille ans, était-elle importante pour réussir en politique ?

>Les Romains ont porté la communication à un degré qui restera longtemps inégalé. Si elle s’exerce sous la royauté dans des cercles étroits (sénat, conseil royal), avec la République, elle devient vitale, puisque les citoyens importants doivent non seulement convaincre un vaste corps électoral – des auditeurs par dizaines de milliers, au forum ou dans des cirques – pour accéder aux charges et pour le vote de nombreuses lois, mais aussi séduire le sénat (quelques centaines de membres), qui débat des questions capitales (finances, politique étrangère). Au début, la compétence, la sagesse, l’autorité priment. Le Romain se contente d’une parole fruste et directe. Ensuite, il découvre l’utilité de la rhétorique, un art venu de Grèce, une véritable technique de communication. C’est l’élément premier de l’éducation. Cicéron donne des leçons d’éloquence à des consuls ! Le discours oral se doublait d’une sorte de communication indirecte : la solennité des mises en scène (réception de Tiridate par Néron, par exemple). La beauté de la capitale et des lieux de parole avait quelque parenté avec nos moyens audiovisuels actuelsà

Le débat public n’était pas aussi policé qu’on le croit en généralà

>Le tempérament italien a très vite coloré cette rhétorique grecque. Les politiques romains ne dédaignent pas le pittoresque : il ne s’agit pas seulement de fustiger les coglioni ! On traite son adversaire de  » souche « , de  » séditieux « , de  » traître « , d' » impie « , de  » saltimbanque « , de  » stupide « , d' » ivrogne « , de  » débauché « , de  » tyran « , de  » voleur « , de  » fou  » (cf. Berlusconi : les juges sont des aliénés), d' » homosexuel « , de  » bête cruelle « , etc. Rien n’y manque.

La plaisanterie – qui vise même les particularités physiques – n’est pas absente. Un exemple entre cent : Crassus et Lamia, lequel était fort laid, se trouvaient en conflit. Comme Lamia ne cessait d’interrompre Crassus :  » Allons, dit Crassus, écoutons ce beau garçon !  » Et tout le monde de rireà A quoi l’autre rétorqua :  » Je n’ai pu former les traits de mon visage, mais j’ai pu former mon esprit.  »  » Ecoutons donc ce beau parleur !  » repartit Crassus. Et les rires de redoublerà

Berlusconi aurait-il fait carrière dans la Rome antique ?

>Bien des Romains se sont grisés de l’influence qu’ils prêtaient à la parole, sans voir que le vrai pouvoir était ailleurs. Cicéron était plus éloquent que César, mais César avait la puissance militaire et l’a emporté. Crassus, richissime, a un temps fait jeu égal avec César et Pompée. Comme Berlusconi dispose d’une belle puissance financière – qu’il a l’habileté d’ailleurs de mettre au service de la communication – il aurait sans doute eu les qualités requises pour jouer un rôle. Certains iront plus loin en disant que son argent lui a permis de se créer un réseau d’amitiés, que sa passion pour le football (le Milan AC) aurait été efficace à Rome, où les grands s’appuyaient sur un solide tissu de relations et séduisaient souvent l’électorat par l’organisation de brillants circenses (jeux du cirque).

* Auteur de La Communication à Rome (Les Belles Lettres).

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL DEMETZ

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