Idées

Toute solution au Proche-Orient doit surmonter, simultanément, trois obstacles majeurs. Le premier consiste dans le refus du monde arabo-musulman et… d’une fraction de l’opinion de nos pays de reconnaître la légitime existence de l’Etat d’Israël. Le second obstacle réside dans les implantations juives en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le troisième concerne l’Occident où, insidieusement, le vieil antisémitisme (2 000 ans d’âge) revit, de-ci de-là, dans un antisionisme proclamé

La légitime existence de l’Etat d’Israël : cette exigence est sans conteste la plus difficile à faire admettre. De même que la légitime défense exprime le droit de chaque particulier de vivre, et pour ce faire d’user, si besoin est, de la violence, de même un peuple – ou un groupe de personnes qui a le sentiment d’un destin commun – doit se voir reconnaître le droit à la légitime existence. Autrement dit, la légitime existence de l’Etat d’Israël ne fait pas partie de la négociation. Elle est un préalable. A l’Occident de l’affirmer continûment, en incitant les Etats arabes à l’accepter.

Même si elle est récente, la légitime existence de la Palestine est devenue, également, une exigence non négociable. Elle est née d’une erreur impardonnable : l’établissement d’implantations juives après la guerre de Six Jours (1967). Les Israéliens ont laissé des colons s’y installer plutôt que de considérer les territoires conquis comme un moyen d’échange contre une paix véritable. Cette attitude se trouvait confortée, il est vrai, par la position des pays arabes, proclamant, depuis 1948: pas de négociation, pas de reconnaissance, pas de paix. Leur objectif – tout en refusant l’existence d’un Etat palestinien à côté d’un Etat juif – tenait en deux propositions complémentaires : détruire « l’entité sioniste » et jeter les juifs à la mer. Après 1967, les Arabes des territoires occupés décidèrent de prendre leur destin en main. Ne vivaient-ils pas en étrangers sur leur terre morcelée par les implantations? Ainsi, Israël a été le facteur déterminant dans l’apparition du sentiment national palestinien. L’insoutenable refus arabe se transformait en une revendication nationale parfaitement légitime : la création d’un Etat palestinien… tout en maintenant vivace la négation de la légitime existence d’Israël.

Evacuation de 95 à 97 % de la Cisjordanie et de Gaza, abandon des quartiers arabes de la vieille ville de Jérusalem, acceptation du contrôle palestinien de l’esplanade des Mosquées, retour de 150 000 Arabes en Israël (regroupement familial) et participation financière à l’installation des réfugiés en Palestine ou dans les pays voisins : telles étaient les propositions du Premier ministre israélien Ehud Barak, l’an passé, à Camp David et à Taba (Egypte). La paix était à portée de la main. Yasser Arafat jugea cependant ces concessions insuffisantes. Il demandait aussi que 3 600 000 réfugiés arabes soient réinstallés en Israël. Autrement dit, il exigeait la disparition du caractère national juif de l’Etat hébreu, réaffirmant sans fard son refus de la légitime existence d’Israël. Nos médias ne mentionnèrent pratiquement pas les propositions d’Ehud Barak. Ils ne s’interrogèrent pas davantage sur le sens de leur rejet. Ils se contentèrent, ils se contentent, avec un pathos et une insistance dont ils n’usent pour aucun autre conflit (Algérie, Afghanistan, Balkans…) de condamner la violence, parfois disproportionnée, de Tsahal face à la violence des Palestiniens.

Pleurer sur la Shoah en faisant retentir un chant funèbre, c’est bien. Reste que les rescapés de 1945 n’ont trouvé nulle part où aller et que la Grande-Bretagne s’opposait à leur entrée en Palestine. A ce jour, aucun gouvernement européen n’a dit clairement que la légitime existence de l’Etat d’Israël était non négociable. Alors qu’un quasi-silence radiotélévisé a accueilli les propositions de Barak, Ariel Sharon est continuellement vilipendé. Quant au Pape, il écoute sans broncher les vitupérations antisémites du président syrien. Cet antisionisme rampant a deux sources. L’une, culturelle, se confond avec deux mille ans d’antijudaïsme chrétien. L’autre est une séquelle de la propagande soviétique. A partir de 1949, Moscou se veut le meilleur défenseur de la cause arabe, remettant en vigueur son antisionisme doctrinal dont s’emparent les orphelins d’une certaine gauche. A l’antisémitisme d’hier, compromis par les crimes nazis, se substitue un antisionisme qui offre le moyen d’en faire sans l’avouer.

Aujourd’hui, l’Europe a le devoir moral d’affirmer la reconnaissance de la légitime existence d’Israël et de l’Etat palestinien, condition préliminaire et non négociable de la paix. Encore faut-il que la publicité de cette politique soit répercutée avec toute la vigueur nécessaire par les médias. On m’objectera, à juste titre, qu’ils sont libres. Faudrait-il en conclure, devant un déséquilibre manifeste, que le vieil antisémitisme tente de revivre dans un antisionisme doctrinal en souillant le débat public ?

Par Jérôme Grynpas, professeur de philosophie.

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