Idées

Le monde du foot est en émoi. L’arrêt Bosman est passé par là. Sur le terrain juridique et politique, un match serré oppose l’Union européenne et les instances du football. Les enjeux sont multiples et contradictoires: intérêts financiers, justice sociale et éthique sportive, libre circulation des joueurs-travailleurs et libre gestion de leurs entreprises pour les marchands de spectacles sportifs. Le dessous des cartes baigne dans le flou.

Le siècle qui vient de s’achever n’a pas été avare, sur la fin, de révélations troublantes sur les problèmes de corruption et de dopage. Le dopage? Nul ne l’ignore: il touche essentiellement le cyclisme et l’haltérophilie. Le football? Vous n’y pensez pas! Ce sport parmi les plus appréciés des foules un peu partout dans le monde… Impossible! Et pourtant, ne voilà-t-il pas, ô cause de lèse-majesté, qu’un joueur professionnel de haut niveau, officiant en D1 française, ose confier à un grand journal parisien qu’il est là où il est grâce à des produits dopants, obtenus sans trop de difficultés. Pire encore: il dit ne rien regretter, même si, soudain effrayé, il a réduit ses injections de produits miracles. Une politique systématique de son club? Non. Mais, mis au parfum, les dirigeants du club ne le sanctionnent pas, se contentant de fermer les yeux. Quelle leçon pour les jeunes rêvant de devenir des stars tout comme leurs idoles! Sous prétexte de dénoncer un mal qui devrait répandre la terreur, voilà qu’est divulgué le message que le dopage, ça marche, et qu’il conditionne la réussite. Les tireurs de ficelles demeurent cachés. Le sportif est abandonné à lui-même, dans la quête mythique de ses rêves d’enfant quasi inaccessibles. Le plus curieux? Ce témoignage décapant est vite passé au bleu: nul démenti, nul débat sérieux dans les médias. Etouffée, cette révélation, comme l’ont été ces multiples affaires qui gangrènent le sport en général et le football en particulier: l’accusation portée contre l’Océanie afin que la Coupe du monde 2006 soit confiée à l’Allemagne et non à l’Afrique, diverses affaires de corruption impliquant de grands clubs (Anderlecht et bien d’autres).

Que trouvons-nous dernière tout cela? L’argent, l’argent fou, l’argent-roi, bien évidemment. Et ses complices, contraints et forcés (?): les médias. Salaires faramineux de joueurs vedettes, droits de télévision exorbitants, manipulations de spectateurs avides de sensations fortes et d’émotions collectives. Le sport, victime de son succès (?), s’efface devant le spectacle et les affaires: le show-business est devenu la règle du jeu (1). Est-ce une raison pour nous en faire une raison? Une preuve de cette réelle menace: le projet de création d’une ligue privée des grands clubs de football européens (le G 14, rien que les riches et les puissants rêvant de devenir de plus en plus riches et puissants, donc ni Anderlecht, ni Bruges, ni le Standard!) imaginée par Berlusconi sur le modèle de la NBA américaine, un club fermé, sans montée ni descente, fonctionnant donc non pas selon des normes sportives, mais à partir de critères commerciaux (cela est écrit noir sur blanc). Plus de sanction sportive: la logique du marché écrase tout sur son passage. Plus aucun contrôle d’organes inspiré par le sens du service public ou de l’intérêt collectif. Qui ne perçoit que cette évolution porte en elle le germe de l’exclusion et de la fracture sociales? Dualisation du sport, reflet de la dualisation de la société. Fracture sportive précisément destinée à faire supporter – panem et circences – cette fracture sociale: les masses exclues ne tentent-elles pas d’oublier leur désespoir lors de ces grand-messes sportives? Mais point trop n’en faut: que Calais se hisse jusqu’en finale de la Coupe de France, c’est bon pour le spectacle (et certaines trésoreries), qu’il gagne la Coupe, là cela ne va plus; un penalty providentiel, à la dernière minute, permet de remettre les choses en place… et de préserver les futures rentrées financières – médias obligent. Ici aussi, la récréation est finie…

Tout n’est cependant pas noir dans le foot. Celui-ci, comme tous les sports, comporte des faces noires et des faces blanches, souvent entremêlées. Le rêve demeure. Les enfants se passionnent toujours. Les adultes également. Les Wallons soutiennent de tout leur coeur le Standard, composé d’une majorité de joueurs néerlandophones. Les jeunes de La Courneuve ont pu, il y a peu, serrer la main de Zidane et de Ronaldo. Ils sont rentrés dans leurs banlieues la tête pleine d’images inoubliables. Que voulez-vous de plus? Ils font, plus que jamais, des rêves.

(1) Pour une analyse plus détaillée, lire Marcel Bolle De Bal et Dominique Vesir, Le Sportif et le sociologue-Sport, individu et société, Paris, L’Harmattan, 2000.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

par Marcel Bolle De Bal, professeur émérite de l’ULB.

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