Humour noir et délectable

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Etienne Chatiliez, le réalisateur de Tatie Danielle, persiste dans la comédie provocatrice avec Tanguy, où des parents veulent « virer » leur fiston qui s’incruste…

Avec La vie est un long fleuve tranquille et Tatie Danielle, Etienne Chatiliez s’est révélé comme un cinéaste d’une drôlerie décapante, faisant de la famille son cadre favori. Après nous avoir offert, sur un mode moins grinçant, Le bonheur est dans le pré, le réalisateur revient à sa structure de base: un milieu familial dysfonctionnel et des personnages oscillant entre réalisme et dérapage burlesque.

Tanguy raconte l’histoire d’un couple aux prises avec un problème qu’il n’attendait pas. Edith et Paul (Sabine Azéma et André Dussollier) ont un fils unique brillant, conjuguant succès universitaires (il étudie le chinois) et féminins (il multiplie les conquêtes). Tanguy a déjà 28 ans, mais ce grand garçon vit toujours chez ses parents, sans manifester la moindre envie de quitter le nid. Malgré son affection déclarée pour les auteurs de ses jours, malgré sa politesse, malgré une routine quotidienne faite de sourires et d’amabilités, Paul et – surtout – Edith en viennent à ne plus pouvoir le voir en peinture. Faute de réussir à le persuader de déménager, ils vont prendre une décision extrême: tout faire pour rendre son existence à la maison intenable, insupportable, jusqu’à ce que, dégoûté, il ne voie de solution que dans le départ…

Du réalisme au délire

Si l’on optait pour une métaphore culinaire, Tanguy serait un excellent plat, ni frit ni flambé, mais mijoté. Etienne Chatiliez y prend son temps pour présenter les personnages, puis pour les faire progressivement évoluer d’une situation réaliste vers le basculement dans un délire allant jusqu’à l’absurde. Cette approche inusitée, très peu française et, à vrai dire, quelque peu « british », distille un plaisir continu que viennent pimenter quelques moments de franche et secouante hilarité. S’il affirme avoir beaucoup appris, techniquement parlant, depuis ses débuts dans la mise en scène (« Je mettais des plans l’un derrière l’autre, maintenant je travaille de manière bien plus fluide et cohérente »), Chatiliez n’en a pas trop, pour autant, arrondi les angles de l’inspiration joliment vacharde qui l’animait voici une bonne dizaine d’années. « Ce qui me plaît, explique le cinéaste, c’est d’aller loin avec le rire, de jouer avec le dangereux, l’inacceptable. C’est de montrer, par exemple, des parents apprendre par la radio qu’un avion est tombé, se demander si leur fils n’était pas dedans, et nourrir quant à sa présence à bord un sentiment ignoble qui effleure en même temps le spectateur et teste son aptitude à rire de tout. »

Etienne Chatiliez danse sur une corde raide, recherchant l’équilibre entre une méchanceté – essentielle au comique depuis les grands aïeux burlesques, Chaplin y compris – et une humanité qui ne nous fait jamais lâcher ses personnages, si noires leurs pensées d’un instant soient-elles. « Le tabou, cette fois, était les sentiments ambivalents – et sacrilèges – qui peuvent assaillir un père ou une mère devant un rejeton qu’ils aiment mais qui finit par leur sortir des yeux. Parent ou enfant, nous ressentons tous à un moment ou à un autre ce type de sentiment, mais nous le refoulons presque toujours, par culpabilité. Raison de plus pour en rire et, plus globalement, rire des aspects les moins glorieux de notre humanité. Hier soir, j’assistais au spectacle de Valérie Lemercier. Elle dit des horreurs, des choses extrêmement violentes, et tout le monde rigole dans la salle. Enfin, presque tout le monde… Je trouve ce type de rire salutaire. Il nous fait prendre conscience, au-delà de l’hilarité, de choses que nous n’aurions sans doute pas accepté de voir si elles nous avaient été montrées sous un angle sérieux. »

Jubilation intérieure

Parce qu’il est difficile pour lui de trouver un sujet qui le fasse sourire durant les deux ans et demi que prend un projet pour aboutir, Chatiliez tourne relativement peu (4 longs-métrages en treize ans). S’il a trouvé l’idée de Tanguy – proposée par sa collègue Yolande Zauberman – séduisante, c’est « parce qu’elle inversait la situation bien connue où ce sont les mômes qui veulent se barrer de chez les parents, et aussi par ce qu’elle m’a mis sur les lèvres ce petit sourire vicieux auquel il était très tentant de vouloir rendre justice en l’amenant sur le visage des autres, de la manière la plus honnête et authentique possible. »

Une fois de plus embarqué dans une histoire de famille, le cinéaste avoue se sentir particulièrement bien dans « cette structure que l’on ne choisit pas, où l’amour est rendu comme obligatoire par les liens du sang. » Et Chatiliez, qui affirme volontiers « préférer arpenter les pelouses interdites que les pelouses bien tracées », d’ironiser: « Je ne suis peut-être pas encore assez grand pour évoquer l’amour entre adultes consentants! »

Pour réussir Tanguy, film en équilibre sur le fil du rasoir, il fallait au réalisateur des interprètes de haut vol. Autour du jeune Eric Berger, parfaite « tête à claques » dans le rôle titulaire, nous avons le bonheur de voir évoluer Sabine Azéma et André Dussollier. Ces comédiens subtils signent l’une comme l’autre une prestation délicieusement perverse. Ils ont, comme le dit très justement Chatiliez, « ce sourire intérieur, cette jubilation qui affleure et que le spectateur perçoit sans qu’ils doivent la souligner pour autant, devenant ainsi leur complice pour le meilleur et – surtout – pour le pire. » En adoptant, pour filmer, la tactique du plan-séquence (chaque scène étant tournée en continuité, sans coupure), le réalisateur de Tanguy ouvre à ses interprètes très en verve un espace ludique dans lequel ils évoluent de manière inspirée. Un régal pour eux, et aussi pour nous!

Louis Danvers

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