Hors la politique… point de salut

 » Rendez à César ce qui est à César  » (Luc 20,25). Entendez : respectons l’autonomie du politique. Mais il y a la suite :  » … et rendez à Dieu ce qui est à Dieu.  » Ce qui appartient à Dieu ? Une certaine vision de l’homme. L’homme est-il ange ou bête ?

A en croire Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), l’homme serait plus proche de l’ange. Dans l’état de nature, il est  » bon sauvage « . C’est la société qui le pervertit. Le romantisme anarchiste s’inspire de pareille vision et propose donc de déconstruire l’Etat.

Karl Marx – comme certains altermondialistes radicaux – en tire une autre conclusion :  » Créons une société sans classes sociales et nous rendrons à l’homme sa bonté naturelle.  » Puissante utopie. Mais elle ne s’impose que par la dictature du prolétariat et la tyrannie des apparatchiks. Car l’homme n’est pas un ange.

Est-il alors une bête féroce – un loup pour l’homme – comme le pensait Thomas Hobbes (1588-1679) ? Dans ce cas, optons pour un régime autoritaire qui canalise la violence et défend l’égoïsme collectif (option défendue par Hobbes avec son souverain Léviathan). Ou, au contraire, laissons la nature humaine se déployer avec un minimum d’interférence.

Pour l’ultralibéralisme dogmatique, la vie en société n’est que continuation du struggle for life darwinien.  » La cupidité est bonne et elle est légale « , déclarait Gordon Gekko, le businessman cynique brillamment joué par Michael Douglas dans le film Wall Street. Oui, la cupidité est source d’accroissement de richesse, mais il s’agit d’un moteur myope. Elle ne permet pas les investissements à long terme, qui veillent à l’avenir démocratique d’une communauté – à commencer par l’environnement et l’éducation.

Avec d’autres traditions spirituelles, le regard chrétien énonce que l’homme n’est ni ange ni bête. Créature digne de Dieu, il est aussi spirituellement boiteux. Son épanouissement social passe donc par un laborieux équilibre entre ses besoins matériels (l’économie) et spirituels (valeurs). Pour faire cohabiter le marché et l’idéal, il y a nécessité de médiation. Tel est le rôle du politique.

En économie, la justice est dite  » commutative  » (terme d’Aristote). En clair, si un pain coûte 2 euros, ce sera le prix à payer par Bill Gates comme par une pauvre veuve avec dix orphelins. Le cours du marché assure un cadre objectif aux échanges humains, mais chacun comprend qu’il n’est pas le tout de la justice. Surtout si la veuve n’a pas de quoi s’acheter du pain pour ses orphelins.  » C’est injuste !  » s’exclame le sens commun. La logique mercantile est donc confrontée à la notion morale de justice, cette balise fondatrice qui habite les c£urs.

Où se croisent froide réalité économique et hauts idéaux moraux ? Dans la politique – cette laborieuse, tâtonnante et inachevée mise en £uvre du vivre-ensemble. Ici, la justice se fait  » distributive « . C’est elle qui édicte qu’il est juste que Bill Gates paie plus d’impôts que la veuve. Cela afin que la veuve accède aux soins de santé et ses orphelins, à l’éducation .

L’enjeu des interminables débats politiques est donc de déterminer selon quelles clés de répartition le gâteau de la richesse commune sera partagé et quels seront les modes de financement de pareille redistribution (impôts, etc.). Ici apparaissent les différences d’appréciation entre ce que l’on nomme communément en politique  » la droite  » et  » la gauche  » avec leurs sensibilités plus ou moins modérément (je cite par ordre alphabétique) conservatrices, écologistes, humanistes, libérales, socialistes, etc. Les religions ou spiritualités n’ont pas à les départager :  » Rendez à César…  » Mais celui qui décrit la politique comme  » sale et pourrie  » oublie que la souveraineté du peuple a un corollaire : nos élus nous ressemblent. En clair : seul l’antipolitisme est indigne de l’homme et même – pour les croyants – indigne de Dieu.

Éric De Beukelaer

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