Hollywood s’en retourne en guerre

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le genre du film de guerre a fait son grand retour dans le cinéma américain, mais sous des formes parfois surprenantes…

Après deux décennies de désaffection, le film de guerre a repris ses droits à Hollywood. Il aura fallu le triomphe inattendu de Il faut sauver le soldat Ryan pour que l’industrie américaine du film retrouve le chemin du champ de bataille, qu’elle avait abandonné ou presque depuis le début des années 1980.

Le genre avait, certes, longtemps fait partie des plus actifs et des plus profitables, avec le polar et la comédie. Mais la guerre du Vietnam était passée par là. Ce conflit fut le premier à s’afficher en direct ou presque sur les écrans de télévision, média concurrent dont l’impression de vérité (malgré censure et manipulation), le style reportage cru et heurté soulignaient d’un coup ce que le film de guerre hollywoodien pouvait avoir d’artificiel, de fabriqué. Malgré quelques exemples d’engagement patriotique inconditionnel – comme Les Bérets verts, de John Wayne -, l’enlisement américain dans l’ex-Indochine française suscita chez les cinéastes une majorité de regards distanciés, voire carrément critiques. M.A.S.H. et son ironie décapante (1) marquèrent dès 1970 le sommet de cette approche subversive. Le film de Robert Altman avait beau se dérouler durant la guerre de Corée, c’est bien sûr au Vietnam qu’il invitait à penser. Il incarnait parfaitement la nouvelle culture des seventies, caractérisée par la contestation et où de jeunes cinéastes en nombre grandissant profitaient de l’affaiblissement du système des grands studios pour ruer dans les brancards. Francis Coppola était de ces réinventeurs (avec Scorsese et De Palma, notamment), et la décennie troublée se referma sur son génial Apocalypse Now (1979), transposition « vietnamienne » d’une nouvelle de Conrad ( Au coeur des ténèbres) située… au Congo belge. La fin sans gloire d’une guerre impossible à gagner, la dérision marquant les quelques films encore produits à l’époque, l’absence d’envie du public de se confronter à des images de fiction pâlissantes en regard de celles – réelles – du petit écran: tout annonçait la mise en sommeil du cinéma de guerre américain. Les superhéros d’action (littéralement) musclée allaient venir rapidement combler le manque, dans des films où la science-fiction ( Terminator), la boxe ( Rocky), le polar ( Piège de cristal) offraient des simulacres d’affrontements guerriers. Arnold Schwarzenegger et Bruce Willis allaient marquer cette vague, sans oublier, bien sûr, un Sylvester Stallone dont le premier fait d’armes marquant fut, ne l’oublions pas, un Rambo (1982) où le héros était un ancien combattant du Vietnam devenu vagabond et entrant en révolte contre une société qui ne lui a pas offert une chance de se réinsérer…

Spielberg, Custer, Alamo

Steven Spielberg n’avait aucune idée, en entamant le tournage de Il faut sauver le soldat Ryan, du succès populaire qu’il pourrait rencontrer. Le réalisateur de E.T. avait déjà prouvé avec La Liste de Schindler tout à la fois son besoin d’évoquer l’époque de la Seconde Guerre mondiale, et sa capacité à sortir pour l’occasion d’une pure logique commerciale. On lui avait dit que personne n’irait voir un film sur le génocide des juifs par les nazis. On s’était trompé. De même, on lui certifia que le film de guerre était mort, et que les énormes moyens consacrés à recréer le débarquement du 6 juin 1944 seraient dépensés en pure perte. On sait ce qu’il en advint, l’extraordinaire et hyperréaliste séquence d’ouverture de Il faut sauver le soldat Ryan n’empêchant pas, pour atroce qu’elle fût, les spectateurs de se presser dans les salles.

Hollywood comprit son erreur et le genre du film de guerre sortit de son sommeil pour faire un retour en force. Titres marquants de cette nouvelle vague militaire, Pearl Harbour, Black Hawk Down, Behind Enemy Lines et Nous étions soldats ont en commun quelque chose de singulier et assez inattendu. Le choix de leurs sujets respectifs ne s’est pas porté sur de brillantes victoires mais, tout au contraire, sur des épisodes tragiques et/ou cuisants pour la puissance américaine. Le premier évoquait l’attaque surprise et destructrice de la flotte US par les Japonais en décembre 1941. Le second décrit comment des commandos de « marines » en mission en Somalie voient la ville de Mogadiscio se refermer sur eux comme un piège en octobre 1993. Le troisième suit un pilote abattu au-dessus de l’ex-Yougoslavie et devenu le gibier de miliciens serbes. Et le quatrième recrée la première grande bataille de la guerre au Vietnam, lorsque quelques centaines de GI furent encerclés par des milliers d’ennemis en 1965. Dans l’ordre: une défaite (précédant certes une contre-attaque que l’on sait finalement victorieuse), une déroute, une fuite et une résistance débouchant sur une sorte de « match nul ».

Les 4 films précités s’inscrivent dans la logique du double syndrome de Custer et d’Alamo. Le massacre du général de cavalerie et de ses hommes par les Indiens coalisés près de la rivière Little Big Horn, en 1876, et le siège d’une centaine de Texans par les milliers de soldats mexicains, en 1836, figurent parmi les épisodes les plus fameux et célébrés de la mythologie militaire aux Etats-Unis (2). L’honneur dans la mort ou dans la reddition: c’est à ces sources particulières de l’Histoire que s’abreuvent, chacun à sa manière, les films précités. L’héroïsme n’y est plus présenté comme une donnée obligatoire, liée à l’armée conquérante, mais bien plutôt comme une qualité individuelle s’exprimant dans l’épreuve. Pearl Harbour,Nous étions soldats et Behind Enemy Lines n’en oublient pas pour autant les envolées lyrico-patriotiques, à la différence d’un Black Hawk Down infiniment plus amer. Mais le choix d’épisodes ou de situations donnant le dessous aux forces américaines reste significative. La première puissance mondiale tenterait-elle – à travers ses films – de se faire plaindre plutôt que craindre? Nous opposerons à cette hypocrisie l’ironie de l’excellent Clint Eastwood, lorsqu’il filma, en 1986 et dans le très sous-estimé Heartbreak Ridge, la dernière victoire en date de l’armée US, remportée sur… l’île de la Grenade! Une ironie salutaire, qu’on ne retrouvera pas dans le prochain film de guerre made in Hollywood qui sortira sur nos écrans à la fin du mois. Mais Hart’s War ne s’en inscrit pas moins dans l’ambiguïté du courant actuel, Bruce Willis y campant un colonel prisonnier des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, et dont le cynisme se heurte à l’idéalisme d’un jeune lieutenant.

Louis Danvers

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