Hirsch « Jeune premier, ça ne dure pas »

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

A 87 ans, l’immense Robert Hirsch revient sur scène dans Le Père, de Florian Zeller. Un des événements de la rentrée théâtrale parisienne. L’oil vif, le verbe amusé, le souvenir fringant, le comédien déroule sa carrière pour Le VIf/L’Express. Un plaisir. Et même plus.

Robert Hirsch s’en amusait à l’orée de l’été :  » Ces jours-ci, j’utilise une canne, un bâton de vieillesse, car ce n’est pas le moment de louper un trottoir, mais sinon je n’en ai pas besoin.  » Patatras, une chute dans un escalier l’a obligé à retarder son retour sur scène, dans la dernière pièce de Florian Zeller, Le Père, prévu le 20 septembre au théâtre Hébertot, à Paris. Il est des marches, en revanche, qu’il remonte sans tomber, ce sont celles de sa carrière. Et l’on peut vérifier que, s’il n’a pas toujours bon pied, à 87 ans, il a bon £il et bonne mémoire, contrairement à son personnage, qui s’enlise dans le passé. Robert Hirsch a le sourcil pessimiste et l’£il plein d’espoir. Il semble toujours suçoter un cachou, mais, en réalité, c’est un souvenir, une anecdote ou une plaisanterie qu’il polit dans son sourire.

Le Vif/L’Express : Que vous dit votre corps alors que vous allez remonter en scène ?

Robert Hirsch : Il rechigne un peu : j’ai subi une seconde opération de la hanche, ça tire un peu, mais ça ira. De toute façon, en scène, ça va toujours. Tout est amorti, la douleur n’existe pas. On n’éternue pas en scène. Cela m’est arrivé une seule fois, dans Amphitryon, mais c’était en plein air. J’ai toujours eu le trac, et ça me propulse. Maintenant, je joue moins avec mon corps, mais il ne m’a jamais trahi, grâce à la danse. Dans Bouzin, du Fil à la patte, où j’étais tordu en S, comme dans Richard III, où j’avais une semelle de 20 centimètres, mon corps a toujours suivi.

Et votre voix ?

Je ne m’en suis jamais occupé ! Ni cours de chant ni exercices d’articulation. Au Conservatoire, il y avait une classe de placement de voix : j’y suis allé une fois et n’y ai plus jamais mis les pieds.

Et la mémoire ?

Elle n’a jamais été un problème. Je n’ai eu aucun grand trou, uniquement des petits, un mot pour un autre et hop ! le public ne voit rienà

Comment abordez-vous un rôle ?

J’arrive à plat, humble, j’attends la direction donnée par le metteur en scène. Je joue d’abord avec la tête, je pense, puis avec mon corps, et le personnage se fait au fil des répétitions, en fonction surtout du public qui est dans la salle, partenaires ou techniciens.

Songez-vous aux acteurs qui vous ont précédé ?

Non, si on pense au passé, on ne joue plus rien. Quand on disait :  » Après Julia Bartet [comédienne française, 1854-1941], personne ne pourra reprendre ce rôle « , c’était une bêtise. Et quand on disait :  » Ce personnage a toujours été joué ainsi, il faut continuer « , c’en était une autre. La  » tradition  » a foutu beaucoup de choses en l’air : la vérité et le tempérament, notamment. Cela tuait des spectacles entiers. Quand il y avait une reprise de rôle, Julia Bartet envoyait sa bonne aux répétitions ; la pauvre fille disait :  » A ce moment-là, Madame est ici, elle fait ça « , et la diva ne venait que pour les représentations, où elle appliquait une mise en scène ancestrale.

Avez-vous été heureux à la Comédie-Française ?

J’y ai passé les vingt-cinq plus belles années de ma vie. On vivait ensemble, on serait presque partis ensemble en vacances. Ce n’était plus un travailà J’ai changé trois fois de loge, celle que j’ai préférée était à l’étage Samson, avec vue sur l’hôtel du Louvre. Il y avait une moquette que m’avait offerte Pierre Bergé, des tissus bleu pâle, des rideaux de velours vert amande et des meubles laqués noirs. Le confort de la loge, c’était très important pour moi, car j’arrivais toujours trois ou quatre heures avant le lever de rideau pour être tranquille, pour que rien ne puisse m’arriver avant de jouer. J’écoutais un opéra – j’en suis fou – sans lien avec mes rôles : La Vie parisienne, d’Offenbach, me dopait pour jouer Richard III. A la fin, je saluais de manière retenue, parce que j’avais joué un rôle terrible, mais au troisième rappel, j’éclatais de joie : c’était le retour d’Offenbach ! Ma passion, c’est les compositeurs russes. J’aime aussi Wagner et Puccini. Je ne suis jamais bouleversé au théâtre, parfois au cinéma, mais c’est à l’Opéra que je ressens les grandes émotions.

Etes-vous retourné au Français ?

Quand Philippe Torreton a joué Scapin, en 1998, il m’a écrit une belle lettre pour me demander de venir le voir, et j’ai accepté. Je n’avais pas remis les pieds à la Comédie-Française depuis mon départ, en 1974. Je suis arrivé une heure en avance, j’ai déambulé au milieu des colonnes de Buren : j’avais le trac. A la boîte à sel, où l’on prend les places, Catherine Samie, la doyenne, m’attendait. J’étais rassuré d’être accompagné. A l’entracte, je n’ai pas voulu quitter mon fauteuil, une habilleuse et un machiniste sont venus me saluer, j’étais ému. En partant, j’ai réalisé que j’avais autant eu la trouille que si j’avais dû jouer, une trouille de débutant. Je ne suis jamais revenu.

Florian Zeller a écrit pour vous. Cela vous rassure-t-il ?

Non. C’est la troisième fois que ça m’arrive, et les deux premières, c’était naze. L’un des textes s’appelait Le Gag, ce qui est toujours dangereux pour une pièce comique. Un bide. Mais la pièce de Zeller tient la route. Et mes partenaires sont très bien. Je les connaissais peu, mais, comme je vais rarement au théâtre, je me renseigne toujours auprès de ceux qui y vont beaucoup, pour savoir ce que valent mes camarades :  » Tu le connais ? Est-ce qu’il picole ?  » Là, ça va.

Comment Zeller vous a-t-il convaincu ?

Il voulait me voir, un dîner a été organisé, il me regardaità Il m’a demandé ce que j’aimerais jouer et je lui ai répondu que c’était à lui de voir si je l’inspirais. Deux mois et demi plus tard, je recevais le texte. Je joue un type qui perd la tête et radote un peu. De plus, il est odieux, méchant. Il a deux filles : sa préférée, dont il demande toujours des nouvelles – elle est morte ; et l’autre, qu’il maltraite et qui dit de lui :  » Il m’a toujours fait peur.  » Oui, je joue une vieille peau de vache, qui prétend être danseur de claquettes.

Les méchants, une vieille habitude, non ?

Oui, j’en ai joué pas mal, des méchants, des pervers, des salauds : Néron, Richard III, Tartuffe, Raskolnikovà Même Scapin n’est pas net, au fond. Et le Gardien, de Pinter, est odieux. J’ai eu la chance de ne pas jouer les jeunes premiers : jeune premier, ça ne dure pas, tandis que fumier, on est servi toute sa vie.

CHRISTOPHE BARBIER; PROPOS RECUEILLIS PAR C. B.

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