HIP HOP

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dans une ville soumise à un hypothétique ressort, les Liégeois de Starflam racontent Survivant, un quotidien au néoréalisme convaincant

« Deux pavés dans une vitre, ça ruine juste un commerce/Cramer une cabine téléphonique, cela ne bouleverse que ton entourage/Pas le camp adverse » ( Ultrastarflam): et si le rap de Starflam avait simplement du plomb dans la tête plutôt que la langue de bois comme matière première? Quitte, c’est sûr, à ne pas nous raconter des fausses histoires rosies de garçons propres sur eux: « Débrouille pour les fringues, les transports en commun et le ciné/Fraudeur invétéré plus par pulsion que par obligation/Quelle sensation de satisfaire à ses tentations » ( Mentalité de resquilleur).

La rencontre avec le second CD, Survivant, du groupe liégeois confirme une manière d’assaisonner la colère qui ne vire pas au catalogue de pseudo-provocations. Pas plus qu’au coup de sang façon De Puta Madre, NTMisé dans ses manières « dures »: la fraternité du (rachitique) hip-hop belge n’est pas un mirage complet, puisque c’est le Puta bruxellois Pee Gonzalez qui réalise la très belle pochette crayonnée du groupe de la Cité ardente. Mais la raison est-elle de saison dans un milieu concurrencé par sa propre course à l’image? « Ecoute ce son qui résiste, ce son qui se défend/Ce son qui persiste/C’est un chant militant (…) C’est la sauce qui nous représente/Un son de survivant » ( Choisis ton camp): Starflam esquisse une nouvelle forme d’engagement, débarrassée des soucis de l’idéologie et du paraître verbal. En suivant l’un des membres du groupe, Balo, Afro-Belge de 23 ans, on arrive chez Fred, bassiste et aîné (31 ans) de la confédération Starflam, à Grivegnée, dans son studio « à 10 000 balles par mois, comme on n’en trouve pas à Bruxelles ». Sans doute, même si Bruxelles compte moins de rues noircies par une mémoire ouvrière enrayée: « On n’arrête pas de parler d’apathie: ça suffit, faut sortir de cet état d’esprit d’assistés qui est un schéma paternaliste. Faut pas non plus faire semblant de croire qu’on « aide » les jeunes avec des tables de ping-pong. On a l’impression que les hommes politiques ne vivent pas dans le même monde que nous », explique Fred qui en a eu marre de dépendre du CPAS. « Franchement, on a passé le cap d' »emmerder les flics et de considérer que l’Etat est une pute ». Le « rien faire » nous frappe, mais une génération semble toujours croire être à l’époque de la Wallonie forte », confirme Balo.

Pour des raisons civiques…

La fréquentation, au début des années 90, d’un atelier graffiti de la maison des jeunes de Thier, ne paraît pas la solution idéale pour constituer une dynamique de groupe menant à un contrat discographique et à la réputation de Starflam, désormais considéré comme le meilleur groupe rap du pays! A cette époque, des ados tchatchent sur la Cité plus trop ardente et mettent en place un langage qui finit par constituer la bande-son des Malfrats Linguistiques. Un changement de nom plus tard (Starflam), et les ex-gamins sortent un premier disque, en 1998: de sept à huit mille exemplaires vendus (un bon chiffre). Acclamations, et puis, très vite, embrouilles avec le partenaire discographique (Warner), lors de la sortie d’un second CD, pourtant suscité par celui-ci. Une histoire belgo-belge trop longue (et navrante à raconter): EMI, inspiré, récupère l’affaire à l’amiable, et Starflam bénéficie d’une liberté maximale.

Bons et fauchés

Le prix à payer existe: les sept du collectif sont garantis fauchés, et il est donc quasi civique d’acheter Survivant, album aux grooves noirs, blancs et variés, qui évite beats clichés et mots épuisés. Marie Daulne (la Zap Mama) ne s’y est pas trompée en passant sur une plage. Pas plus qu’Arno, qui vient se tordre le boyau sur un très joli L’Amour Suze. Les artères du « vieux » bluesman ont vibré sur l’âme du hip-hop de Liège: prenons ce signe-là au sérieux, Starflam est vraiment bon.

CD Survivant, chez EMI.

Philippe Cornet

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