Herman, premier palier en entrant

Le portrait de Herman De Croo, 45e président de la Chambre, est officiellement pendu au Parlement : un  » tête-épaules  » très réaliste, qui est aussi, pour sortir du lot, le seul de profil…

Tout est affaire de place. Celle qu’a élue Herman De Croo pour accrocher sa bouille aux cimaises du Parlement est tout bonnement  » la meilleure « . Chambre des représentants, première volée de l’escalier d’honneur : c’est simple, les élus du peuple et les quelque 50 000 visiteurs annuels de l’illustre bâtiment ne verront que HDC, parce que les portraits de ses 44 prédécesseurs sont cachés derrière le tournant, fondus dans la masse, alignés à la queue leu leu dans le couloir qui mène à l’hémicycle.  » Sa  » paroi à lui, la cloison crème du premier palier, le seul endroit qui permette de prendre du recul pour contempler l’£uvre, De Croo l’avait à l’£il depuis… dix ans. Il rit encore de son excellent choix, qui le fait marcher en tête de la troupe des vieux dirigeants de l’assemblée, tel un général d’armée morte.  » Ah ah, je les ai tous dans le dos, maintenant, et depuis 1830 !  » La meilleure place, oui, et la dernière disponible. Désormais, tout est complet, et personne ne sait où on  » pendra  » Herman van Rompuy et Patrick Dewael, quand leurs tours viendront…

C’est une tradition vieille comme la Belgique. Au terme de son mandat, chaque président de la Chambre a droit à son portrait encadré, dimensions standard (pour ne pas faire de jaloux), tous frais payés. Entre la sélection de l’artiste, les visites de commissions ad hoc à l’atelier du peintre, les séances de pose et l’inauguration officielle, la procédure prend parfois du temps : Defraigne a mis quatorze ans avant d’être fixé au mur pour de bon (il boudait la cérémonie tant que Nothomb hantait les lieux), Langendries, quatre, et De Croo, deux, seulement. Le dernier exécuté a pourtant  » fait son difficile « , comme on dit : rien ne lui semblait valable, parmi la centaine de barbouilleurs ayant offert spontanément leurs talents. Jusqu’à ce que sa fille Ariane, juriste et historienne de l’art, aille consulter, en juin passé, le travail d’Eneko Fraile, un Basque de 40 ans officiant dans un minuscule réduit de la rue des Tanneurs, à Bruxelles. Tope là ! Eneko visite la Chambre, pour s’imprégner de l’environnement esthético-historique. Le marbre, les colonnes ioniques, les frises du plafond, tout sue le classicisme autrichien. En revanche, il doit croquer une personnalité qu’il juge forte, et qui a même envisagé de placer sa photo, plutôt qu’une huile, à la suite de ses pairs. Cette option hyperréaliste ainsi qu’un goût pour les  » renaissants  » du xive siècle flamand (qui évoque l’origine linguistique du parlementaire) inspirent soudain le peintre : pourquoi ne pas oser une vue de côté ? De Croo est conquis. Un profil, ce n’est pas banal (il est le seul de la série). Et ça renvoie à la numismatique, aux empereurs romains pénétrés de dignité. En cinq séances de pose, avec un modèle docile comme un agneau (quoique accro à son GSM), Eneko achève le portrait :  » La barbe, la coupe de cheveux, la direction des rides… tout fonctionne comme si De Croo voulait percer de flèches d’invisibles obstacles. Ce profil évoque un lion en marche. Il n’est en revanche ni arrogant ni intimidant, car il n’affronte personne. De Croo semble concentré sur son propre business, tout en se laissant observer…  » Une section qui divise le cadre selon le nombre d’or, un contraste vibrant en noir et blanc, une cravate (bleue, bien sûr) qui tombe comme une chute d’eau. Rien d’autre à l’arrière-plan, ni fenêtre ni miroir ni tribune. Juste cette peau lunaire, avec ses boutons, ses bosses et ses vallées, et un regard résolument tourné vers l’avenir. Eneko a opté d’emblée pour le profil droit,  » en raison du mouvement qui s’amorce dans le dos du sujet  » – la colonne des anciens titulaires. Une longue procession de notables, pareille aux parades des galeries de l’évolution des musées zoologiques.  » C’est ça, c’est ça, dit De Croo. Et moi je suis le dernier des singes avant l’apocalypse… « 

Valérie Colin

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