Catherine Ringer, Fred Chichin, duo maximo. © Renaud Corlouër

Héritage Mitsouko

Douze ans après le décès de Fred Chichin, sa moitié Catherine Ringer accepte de remettre les projecteurs sur les Rita Mitsouko, avec un best of, une intégrale et une tournée à guichets fermés.

C’est une actrice, c’est ça ?  » Visiblement, les quatre millenials rigolards n’ont pas reconnu Catherine Ringer, croisée dans le hall d’entrée de la RTBF. Est-ce le bonnet-béret dans lequel elle a enfoncé son chignon ? Ou alors leur jeune âge ? Aucun d’eux, en effet, ne devait être né quand est sorti Marcia Baïla, classique des classiques, hit inaugural d’une carrière qui les multipliera. Ces derniers mois, Catherine Ringer est repartie sur les routes pour les rejouer. Certes, elle n’a jamais tout à fait cessé de les chanter. Cette fois, cependant, après deux albums sous son nom, il est question d’embrasser à nouveau pleinement le répertoire de l’un des duos les plus originaux de la pop française, dont la trajectoire s’est arrêtée brutalement : en 2007, Fred Chichin, compagnon, à la scène comme à la ville, de Catherine Ringer mourait d’un cancer fulgurant. Sur Chroniques et fantaisies, sorti il y a deux ans, elle chantait sur le morceau Tristessa :  » Méchamment le temps nous sépare, mais répare aussi ma vie.  » Aujourd’hui, elle est enfin prête à célébrer sa plus belle histoire d’amour, personnelle et musicale, et replonger dans les sept albums originaux, parus entre 1984 et 2007.  » Au départ, c’est l’idée de la maison de disques, qui voulait ressortir une intégrale. On m’a fait comprendre que c’était le moment.  » Sinon, les gens vont s’arrêter sur les deux, trois tubes, alors que vous avez une belle oeuvre « , etc. Et puis, c’était aussi l’occasion de remasteriser les enregistrements. Ce qui n’avait jamais été fait. Sur les plateformes digitales, par exemple, le son n’était pas toujours très bon. Un morceau comme Dans la steppe, était inécoutable. Là, c’est mieux…  »

Chanteuse acrobate

C’est à la fin des années 1970 que Catherine Ringer et Fred Chichin se rencontrent : elle, chanteuse-danseuse sauvage, au parcours cabossé (récemment, elle expliquait avoir quitté le domicile familial à l’âge de 13 ans et demi pour rejoindre un homme d’une vingtaine d’années qui abusera d’elle) ; lui, guitariste à la dégaine d’apache, tout juste sorti de prison pour des histoires de drogue. Iconoclastes, les deux s’amusent à brouiller les cartes, mélangeant gouaille frenchy et harangue rock’n’roll. Punk à leur manière ?  » Ah non, pas du tout. Musicalement déjà, le punk était une musique très simple, brute, qui évitait toute sophistication. On n’a jamais fait des morceaux comme ça. Et puis, le  » no future « , tout ça, cela ne m’a jamais trop tentée. J’ai toujours aimé la vie. Fred aussi, d’ailleurs.  » Malgré les excès destroy des seventies ?  » Disons que c’était une époque où, dans le rock, les gens étaient attirés par des choses un peu dangereuses, comme les drogues dures, etc. Mais pour autant, Fred a toujours été un bon vivant.  »

En vrais francs-tireurs, les Rita Mitsouko tailleront un parcours certes inégal, mais aux sommets inégalés. Un mélange de chanson décalée et de rock perché, de funk grinçant et de pop fantaisiste. Ponctuant leur trajectoire de tubes XXL, ils réussiront à faire danser tout en évoquant la mort d’une amie (la chorégraphe Marcia  » Baïla  » Moretto) ou les trains vers Auschwitz ( Le Petit Train), par lequel est passé le père de Catherine Ringer. A la fois personnels, différents, et pop(ulaires).  » La vraie réussite de l’entreprise, c’est ça : avoir fait quelque chose très librement, et que cela ne soit pas resté lettre morte, que ces chansons ne soient pas restées planquées dans leur coin.  » Seul regret : que  » le plus international des groupes français  » de l’époque ne soit jamais vraiment parvenu à trouver le chemin du succès en dehors de la zone francophone.  » C’était pourtant ce qu’on voulait faire. Mais cela n’a jamais vraiment pris. Fred a été très déçu. Moi, un peu moins : je trouvais qu’on avait déjà énormément de chance comme ça.  »

Les Rita Mitsouko, best of/coffret intégrale 12 CD ou 13 vinyles, distr. Because.
Les Rita Mitsouko, best of/coffret intégrale 12 CD ou 13 vinyles, distr. Because.

Douze ans après la disparition de Fred Chichin, les Rita Mitsouko rassemblent toujours. A Bruxelles, le 5 décembre, le concert a affiché complet, comme à peu près partout ailleurs. Si le groupe reste populaire, on aura pourtant du mal à lui trouver des héritiers… Peut-être que la recette du duo était trop personnelle, trop inclassable pour être perpétuée. A l’instar, par exemple, de la voix unique de Ringer, chanteuse acrobate qui a multiplié les registres.  » Cela tient au fait que j’ai commencé à chanter dans des endroits où l’on me faisait faire plein de voix différentes (NDLR : à 17 ans, dans le théâtre musical de Michel Puig), un peu comme un imitateur. Du coup, quand Fred me demandait parfois : « Celle-là, chante-la avec ta voix », je me demandais toujours laquelle. Mais petit à petit, c’est devenu mon style. Aujourd’hui, on me dit que j’ai une vraie signature vocale, ce qui est quand même cocasse quand on y pense…  »

En septembre dernier, la Philharmonie de Paris offrait une carte blanche à Catherine Ringer.  » Mais je ne suis pas trop douée pour ça.  » A l’affiche, ce soir-là, Roberto Basarte, ami de longue date, le groupe Minuit (celui de ses fille et fils, Simone Ringer et Raoul Chichin), ou encore les Anglais de Fat White Family –  » Je ne connaissais pas. On m’a fait écouter. Je trouvais que cela ressemblait pas mal à ce qu’on aurait pu écouter dans les années 1980, avec Fred. Du coup, j’ai dit : « OK, allons-y »…  » Et c’est à peu près tout. Génération Daho partout/Succession Mitsouko nulle part ? Mais où sont passés les enfants des Rita ?

Peut-être que, comme le label le suggérait, les rééditions actuelles et la tournée viennent donc bel et bien à point. S’il a fallu la convaincre, Catherine Ringer ne déclare d’ailleurs pas autre chose. Même si elle prendra soin de ne pas trop tirer sur la corde de la nostalgie. Pas question de se pencher sur une éventuelle (auto)biographie.  » On a voulu en écrire une pour le coffret. J’ai commencé mais ça m’ennuyait. Et ceux qui s’y sont essayés, cela ne me plaisait pas. De toute façon, je n’ai pas la tête à ça. Peut-être plus tard, quand je serai très vieille. On me dit : « Attention, si tu ne le fais pas, d’autres s’en chargeront, tu vas te retrouver avec un biopic qui va donner une image bizarre de Fred et toi, etc. » D’accord. Mais ce n’est pas non plus parce qu’on raconte soi-même les choses qu’elles sont forcément exactes. Je peux me tromper aussi… Oh, et finalement, cela n’est pas si important que ça. Ce qui compte, chez un artiste, c’est sa production, ce sont les chansons. Ce sur quoi les gens rêvent…  »

Confirmation quelques minutes plus tard, quand on retombe sur le groupe de jeunes, dont on éclaire la lanterne.  » Les Rita Mitsouko ? Hmmm, attendez.  » C’est comme ça, peut-être ?  » Ah oui ! Marcia Baïla, c’est ça ? Et Andy ? «  Dis-moi oui…

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