Hélin et les autres

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Engagé, parfois enragé, festif et amoureux: le second disque de Daniel Hélin, aux couleurs jazzy, accouche d’un talentueux manifeste libertaire

« J’étais content de mon premier disque, mais c’est la première fois que je suis fier de quelque chose. Ma démarche a à voir avec la gourmandise: je veux prendre le bon et le mauvais sans être conclusif. » Dans un café de Louvain-la-Neuve, à quelques minutes de sa roulotte encombrée, Daniel Hélin, 30 ans, parle avec amour de Les Bulles, charge héroïque bardée de textes forts et de jazz en liberté. Jazz, à condition de considérer que le big band rassemblé neuf jours durant dans un studio bruxellois a aussi sillonné le tango, les rythmes cubains, le blues et les fanfares, dont plusieurs au tempérament tsigane: « Sans doute une trace de mon séjour à Belgrade en 1998: c’est là que j’ai écrit La Guerre. » Sur ce morceau pétaradant comme un Kusturica, le Premier Prix du Conservatoire de Liège (grande distinction) s’emballe ferme: « L’Europe des vieux bourreaux lèche ses bottes d’apparat/Elle justifie mon or en morts de bon aloi/Si je paie en euro mon club génocidaire/Qu’il assume son bizness dans une pleine lumière. » Diction pressée pendant une bonne partie du morceau, puis déclamation posée pour des mots qui ne sont pas sans rappeler ceux de Léo Ferré.

Sans doute la même colère intrépide et la volonté d’user du verbe comme d’une arme indéfectible. Ce n’est pas un hasard s’il dédie son album aux travailleurs de Clabecq et au Collectif sans ticket (pour la gratuité des transports en commun): « Je ne veux en faire ni des héros ni des martyrs, mais les procès dont ils sont l’objet caractérisent les impasses du processus démocratique. » Ce qui distingue Hélin de la simple bravoure militante est tout entier dans les braises de ses morceaux politiquement incorrects, notamment dans sa façon de convoquer l’importance du sexe et de l’amour dans nos vies. « Ce qui m’intéresse, c’est ce qui ne va pas. Comme dans Panne de courant, où je raconte que 99 % des femmes s’emmerdent en baisant. » Ce qui donne: « On s’déshabille avec ivresse/On enlève tout de bas en haut/On s’inonde dans les caresses/Et je lui sors mon petit héros/A ce moment mes chers amis/Se lève un voile sur ma vie/La désolation est suprême. » Lorsqu’on lui demande quelques explications sur ces « zob » et autres « triques » qui reviennent plusieurs fois sur Les Bulles, Hélin répond stratégie: « La vraie pornographie, c’est appeler la guerre « Liberté immuable » ou les morts « dégâts collatéraux ». »

Un disque cochon

Si l’on peut regretter que le disque, joliment mis en musique par Jean-Yves Evrard (complice du premier disque), manque un peu d’espace pour les notes, il est patent qu’Hélin ne se réduit à aucune catégorie de chanteur. Dégagé tout autant qu’engagé, capable d’écrire des vers dignes du meilleur Gainsbourg ( Clarisse) comme de « pisser » un cri primal ( Testament), il s’avère – heureusement – inclassable. Si ce n’est qu’il possède un goût presque irréel de la terre et des animaux, qui l’amène en chanteur naturaliste d’une bouleversante inspiration. Le Cochon et La Limace respirent la comédie humaine, à travers le monde animal où Hélin se pose en entomologiste finaud: « Au fond du jardin elle rêvasse/Elle fait des poèmes comme Boccace/Elle pourrait sortir de la masse/Mais elle s’en fout comme d’une callebasse » ( La Limace).

Beaucoup d’arguments plaident donc en sa faveur: son sens de la parodie (la façon dont il évoque Brel) autant que la transparence de sa démarche. « Avec ce disque, en partie réalisé grâce aux subsides de la Communauté française, en partie grâce à l’argent que j’ai gagné avec mon premier disque et mes concerts, je suis ruiné! Et c’est une belle position, parce que c’est intéressant de passer au-delà de la notion d’économie. » Hélin annonce que, s’il vend 6 000 disques, il fera un troisième album: donc, un achat artistique et civique à la fois!

CD distribué par Bang ! Daniel Hélin est en concert avec la formation du disque – neuf musiciens – au Cirque royal, à Bruxelles, le 7 février, puis, en trio, en tournée en Belgique. Pour le 7 février: ticket plus CD vendus à 19,83 euros (800 francs), uniquement au Cirque royal et au Botanique (02-218 37 32).

Philippe Cornet

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