Hélène Grimaud révise son Bach

La pianiste virtuose vient d’enregistrer son premier disque consacré au maître allemand. L’occasion d’évoquer avec elle le plus sacré des compositeurs.

Propos recueillis par Bertrand Dermoncourt

Rares sont les disques, comme ceux d’Hélène Grimaud, qui ont le don d’imposer une telle présence. Dans son premier enregistrement consacré à la musique de Bach, la pianiste invite à une écoute active, stimulante, enrichissante.

Que représente Bach pour vous ?

E Bach est la Bible – je le sais depuis l’enfance, quand j’ai commencé à le jouer chaque jour, comme tant de pianistes. Nul artiste – Shakespeare excepté – n’a su comme lui transmettre chaque éclat du monde en une émotion aussi profonde et intime. Bach nous donne à entendre quelque chose qui s’apparente à la révélation de la vie, comme si sa musique était la conscience de la musique elle-même, son assurance, sa promesse.

Quelles qualités faut-il pour bien jouer Bach au piano ?

E Un pianiste n’est libre que s’il respecte à la lettre toutes les indications des partitions : cela donne la clef qui permet de passer au-delà. L’unique tradition, la seule démarche qui compte est donc celle de la probité intellectuelle et émotionnelle. Le reste n’est qu’anecdotique, car tout marche avec Bach, le staccato comme le rubato, les forte et les piano…

Comment procédez-vous ?

E J’expérimente. Et je me souviens que Bach n’était sans doute pas vraiment le bon bourgeois discipliné décrit par le cliché. C’était une forte personnalité, un original, qui possédait un sens de l’exploration hors du commun. Il était sans cesse en prise avec la matière, retournait ses idées dans tous les sens : c’est cette démarche-là que les interprètes doivent retrouver.

La grandeur de Bach vous a-t-elle intimidée ?

E Bach, ou le Grand Castrateur ! La seule idée de Bach a émasculé de nombreux musiciens. Le respect qu’il impose est tel qu’on ose à peine toucher sa musique… Bach est un compositeur messianique, il résume toute la musique, celle du passé et celle à venir. Comment l’évoquer sans sentir nos propres limites, sans percevoir d’abîme ?

Sa dimension spirituelle, si prégnante, peut-elle également être un frein ?

E Non, au contraire, elle doit libérer. Bach suggère toujours plus qu’il n’affirme. Avec pudeur. On parle souvent de sa  » joie  » à nulle autre pareille. Il s’agit de la célébration, constante, toujours renouvelée, des traces de l’invisible. Il glorifie le sacré et s’en réjouit. Son art révèle une démarche profondément spirituelle ; il est l’un des derniers compositeurs à exprimer dans ses £uvres une ferveur religieuse, qui allait être balayée par les Lumières.

Comment situer Bach dans l’histoire de la musique ?

E On se trompe à vouloir ne faire de Bach qu’un homme de son temps témoignant uniquement pour celui-ci, car Bach est toujours à venir. C’est comme une île au milieu du fleuve, insubmersible au milieu des courants et contre-courants.

Propos recueillis par Bertrand Dermoncourt

Hélène Grimaud. Bach (Deutsche Grammophon).

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