© jeffrey vanhoutte

Haute basse

Etourdissant bassiste, notamment chez Lavilliers, Daniel Romeo livre The Black Days Session #1, album funky solo instrumental évoquant aussi son histoire perso de fils du Pays noir.

 » C’est avant tout quelqu’un qui veut se faire plaisir en jouant de la musique avec les gens qu’il aime. C’est déjà ce qu’il avait fait lors d’une création au Festival des Libertés, il y a quelques années : inviter les musiciens qui le touchent, humainement et musicalement. Et puis, cet album est extrêmement personnel, il lui ressemble beaucoup dans ce mix de funky, de Miles Davis période Bitches Brew et de ballades. Tout cela avec une grande énergie.  » Guitariste d’envergure, Julien Tassin éclaire plusieurs titres de The Black Days Session #1 de Daniel Romeo, qui est aussi son oncle. Affinités que Daniel partage sur les onze morceaux d’un album conçu comme une affaire de famille étendue aux liens non biologiques.

Mon album exprime le désir de raconter des histoires… que l’on pourra encore écouter dans dix ans.

On y retrouve nombre d’instrumentistes français partageant depuis des années son parcours protéiforme, par exemple Toots, enregistré le temps d’un solo thielemanesque, ou Fat Cat. A la fois titre d’une plage du disque qui ronronne de plaisir – constante de l’album – et surnom donné par Daniel Romeo au claviériste-compositeur huttois devenu parisien, Eric Legnini,  » un frère « . Un à ajouter à une fratrie Romeo comptant pas moins de treize enfants élevés dans une cité ouvrière de Marcinelle, le père étant arrivé de Calabre dans les années 1950 pour bosser à la mine du Bois du Cazier.  » Il échappera à la catastrophe de Marcinelle parce que ce jour-là, il était malade.  »

Né en 1971, Daniel, cadet de la vaste famille, tombe naturellement dans la potion musicale : un frère tient un café-club des environs qui programme des soirées jazz, un autre est DJ.  » J’ai eu de la chance parce que j’écoutais aussi bien Pink Floyd, les Beatles que Miles Davis, John Coltrane, George Benson ou Kraftwerk. D’ailleurs, à la maison, on ne passait pas spécialement de la musique italienne. J’ai eu une guitare en main dès l’âge de 5-6 ans et puis mon frère Pep, qui jouait de cet instrument en version électrique dans Les Gangsters d’amour, avait arrangé un ancien garage en une sorte de studio où il y avait une batterie, une basse, des guitares. C’était accessible et donc je me suis très vite mis à jouer de tout ce qui était disponible… Tout cela, très naturellement, sans me poser de questions. Comme le choix de la basse, qui a été un autre hasard : mon album n’est pas un album de bassiste mais il exprime le désir de raconter des histoires. Organiques, que l’on pourra encore écouter dans dix ans.  »

Des rencontres qui comptent

Daniel Romeo ne se pose pas trop de questions non plus sur la nécessité de l’école,  » accessoire pour moi  » : il arrête d’y aller à l’âge de 15 ans. Entre-temps, il arpente déjà les scènes carolos mais aussi de Bruxelles, de gig en gig, de club en club. A l’ancienne. Où le métier de musicien s’inscrit dans les gènes sans forcément suivre des cours d’ADN. Gamin, il suit un peu l’académie mais jusqu’à aujourd’hui, Daniel s’incarne d’abord en autodidacte doué : ne lisant pas la musique, il joue d’instinct, d’oreille et de mémoire. Ado, il croise le pianiste Eric Fat Cat Legnini et le batteur Stéphane Galland, jazzmen belges actuellement parmi les plus talentueux et reconnus à l’international, qui suivront le cursus du conservatoire. Avec eux, il crée le trio Skyline, plutôt jazz, qui vit une bonne année. Bien plus tard, Legnini réapparaît dans la vie de Daniel en invitant ce dernier à remplacer le bassiste Richard Bona, tout aussi fameux que le leader du groupe concerné, le batteur Paco Séry, ex-accompagnateur du légendaire Jaco Pastorius (1951 – 1987).

CD/LP The Black Days Session #1  chez CQFD/L'autre distribution,  bit.ly/2UHfg8K
CD/LP The Black Days Session #1 chez CQFD/L’autre distribution, bit.ly/2UHfg8K

Voilà donc Romeo parmi quelques-uns des meilleurs instrumentistes parisiens : maillon d’une carrière où la réputation de l’enfant de Marcinelle l’amènera à travailler avec des esprits aussi différents que Mike Stern, Roy Hargrove, Mino Cinelu, Manu Katche, Yael Naim, Fed Wesley ou Junior Jack. Sans oublier Bernard Lavilliers, avec lequel il tourne depuis un peu plus de quatre ans.  » Ce n’est plus seulement mon employeur puisqu’il est devenu un ami très proche. Souvent, il m’a raconté des choses qui paraissent hallucinantes, genre se faire tirer dessus au Brésil, mais que j’ai pu vérifier auprès des musiciens ou de son manager qui étaient avec lui. Et là, on a commencé à écrire ensemble.  » Exercice supplémentaire pour Daniel Romeo dont la patte d’écriture diligente l’excellence de The Black Days Session #1 : le bassiste y rencontre son alter ego compositeur. Toujours avec ce groove au-delà des catégories prévisibles.

Un disque de vie et de mort

Les rencontres ? Mot banalisé mais source d’essentiels carrefours suprises. Quand il a  » 12-13 ans « , Daniel fait la connaissance de Toots Thielemans, qui le prend en sympathie.  » Un peu plus tard, il y a eu cette soirée où il jouait au Middelheim, à Anvers, et il a explosé sa guitare avant le concert. Il m’a demandé de lui en apporter une, ce que j’ai évidemment fait. Nous sommes devenus assez potes, je ne sais pas trop pourquoi. On s’envoyait des sms, j’ai même fait un reportage télé chez lui, à La Hulpe. Sur Black Days, sa partie d’harmonica qui date de quelques années, a été faite après que je lui aie envoyé quelques titres : parmi eux, il a choisi Vincent, morceau dédié à mon fils.  »

Le petit pipi – expression perso de l’imparable Belgo-américain mort en août 2016 – coule dans Vincent avec l’essentiel naturel d’une artère fémorale : une rivière qui s’ajoute aux confluents des onze autres musiciens présents sur le morceau. Reproduisant le schéma général d’un disque qui, tout en multipliant les genres et nuances autour du jazz-funk, possède une vigueur organique épanouissante. Une large texture invitant dans la sarabande cuivres et violons, ceux-ci finement arrangés par Michel Herr. Le genre d’album qui demande deux-trois écoutes avant d’en goûter pleinement sinuosités et parfums. D’autant que, derrière ses vertus instrumentales, rôdent aussi de moins plaisants fantômes : celui d’une mère disparue ( On The Edge), du comparse ingé son fauché brutalement ( Pali) et d’un frère, Franco, emporté par le cancer. Mais le sentiment de célébration finit malgré tout par l’emporter sur l’encre, La Session des jours noirs, consacrant aussi l’un de ses moments les plus forts à l’amour du couple ( Onika). Disque de vie et de mort : on est pressé d’en voir à l’été ou à l’automne prochains la transposition scénique.

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