Haut lieu du protestantisme wallon

Petite visite auprès de la communauté protestante de Dour. Dans cette localité du Borinage, marquée par le passé industriel, l’esprit de Calvin s’est transmis de génération en génération.

Dour, ses terrils, ses maisons ouvrières, ses pizzerias, son festival rock. Mais pas seulement. Cette localité du Borinage, toute proche de la frontière française, rayonne aussi grâce à sa communauté protestante, l’une des plus anciennes de Belgique. Sur les 18 000 habitants de Dour, le nombre de protestants avoisinerait aujourd’hui le millier. Bien que minoritaires, ils ont contribué à faire de l’entité ce qu’elle est aujourd’hui. Ce sont les protestants qui ont, les premiers, créé une troupe scoute à Dour. L’unité est entre-temps devenue pluraliste, mais ses activités perdurent. Il y eut également à Dour un dispensaire protestant et une école protestante. L’un comme l’autre ont fermé leurs portes. Par contre, la commune compte toujours deux homes protestants pour personnes âgées. Et l’Entraide sociale protestante demeure très active.  » La communauté protestante reste un acteur important au niveau local, indique l’échevin des Cultes Jacquy Detrain (CDH). La commune participera d’ailleurs aux festivités de l’année Calvin. Ce sera l’occasion de mettre à l’honneur une partie de la population qui a apporté beaucoup à Dour. « 

Bâti en 1827, le temple de Dour possède un aspect imposant, monumental, avec ses colonnes et son fronton, inspirés par l’architecture grecque antique. L’intérieur, lui, est sobre, dépouillé à l’extrême, à l’image de tous les temples de la tradition calviniste. Ni vitraux, ni tableaux aux murs. Seul objet mis en valeur : un exemplaire de la Bible, exposé sur un pupitre.  » Logique. Le protestantisme, c’est avant tout la redécouverte des Ecritures saintes, une démocratisation de la lecture et de l’interprétation de la Bible, qui n’est plus confisquée par une élite « , commente Aldo Benini, le pasteur de Dour, dans un fort accent borain. Né à Frameries, fils d’un mineur italien, Aldo Benini a trouvé sa vocation au contact d’immigrés italiens membres de la Table vaudoise, un courant du protestantisme à la doctrine progressiste et essentiellement implanté dans le Piémont.  » Ce qui m’a plu, confie-t-il, c’est la liberté de pensée et la liberté de croire. Nous, protestants, ne sommes pas des dogmatiques. Ce n’est pas parce que nous nous situons dans une mouvance calviniste que nous idolâtrons Calvin : il a réalisé de grandes choses, il en a raté pas mal aussi. « 

La présence de  » huguenots  » est attestée à Dour depuis 1560. Malgré la répression, l’esprit de la Réforme s’est transmis de génération en génération, souvent dans la clandestinité. Pour ne pas éveiller les soupçons, les familles protestantes faisaient baptiser leurs enfants et se rendaient chaque dimanche à la messe. Ce n’est qu’à la fin du xviiie siècle que la communauté a pu sortir du bois – au sens propre, car les célébrations avaient parfois lieu dans les bois de Pâturages ou de Colfontaine. A partir de 1788, un pasteur itinérant sillonne le Borinage, le Tournaisis et le nord de la France pour réorganiser les foyers protestants qui y subsistent. Dour devient alors la matrice, l’église mère, à partir de laquelle d’autres communautés protestantes seront soit fondées, soit réactivées dans les localités voisines du Borinage.

Cité de la Toureille. Un bloc d’habitations sociales un peu défraîchi. C’est là qu’habite Hilda Spinner, personnage haut en couleur, qui continue de manier, à 85 ans, un humour vif et pétillant. Née de la rencontre entre une protestante douroise et un soldat anglais, lors de la Première Guerre mondiale, elle affiche une foi qu’elle qualifie elle-même de  » gigantesque « .  » L’homme s’est détourné de Dieu, voilà pourquoi ça va si mal, assène-t-elle. Dieu procure une force extraordinaire. Quand je donnais le catéchisme, je répétais sans cesse aux jeunes : n’abandonnez pas votre foi protestante et, surtout, lisez la Bible ! « 

L’histoire locale a été marquée par la méfiance réciproque entre catholiques et protestants. Comme beaucoup de personnes de sa génération, Hilda Spinner s’en souvient.  » Ma maman me racontait qu’à sa vue les catholiques changeaient de trottoir et faisaient le signe de croix « , relate-t-elle. Les temps ont bien changé. Chaque année, une messe £cuménique réunit l’ensemble des chrétiens dourois. Une année sur deux, le pasteur va prêcher à l’église catholique. L’année suivante, c’est au tour du curé de prononcer son homélie au temple.

Curé et pasteur subissent d’ailleurs, l’un et l’autre, la désaffection des fidèles. Le dimanche, à peine 30 personnes se rendent encore au temple, conçu pour accueillir 400 hommes et femmes. Les cultes célébrés dans les deux homes protestants réunissent, quant à eux, une quarantaine de personnes. La communauté vieillit… Pourtant, les jours de fête, le temple de Dour attire encore plus de 200 personnes. Et les pièces de théâtre en patois picard jouées dans la salle adjacente au temple rencontrent un franc succès. Le pasteur Aldo Benini se veut optimiste :  » Nous portons depuis cinq siècles une parole libre, de protestation. Après une si longue existence, c’est normal : tout mouvement s’essouffle, même ceux qui se veulent en réforme permanente. Des traditions s’installent, parfois un peu lourdes. Alors, on peut dire que nous disparaissons, mais sans réellement disparaître. La plupart des libertés actuelles viennent de l’esprit de la Réforme. Nos idées imprègnent désormais l’ensemble de la société. « 

François Brabant

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