Haut les masques !

Aussi vieux que le monde, ces objets ont connu, à la fin du xix e siècle, une nouvelle vogue en Europe. Le musée d’Orsay, à Paris, en présente une saisissante galerie.

L’Homme au nez cassé, par Jean Carriès.

Grès émaillé, vers 1882.

Au xixe siècle, les masques ne sont plus des accessoires de culte ou de théâtre, comme durant l’Antiquité.  » A l’époque de Freud, ils nourrissent la réflexion sur  » l’inquiétante étrangeté de l’être « , explique Edouard Papet, commissaire de l’exposition. Etudiant, le sculpteur Carriès (1855-1894) a multiplié ses autoportraits, accentuant et déformant les expressions de sa  » gueule de bouledogue « , comme il se décrivait lui-même. La ressemblance finit par s’estomper, laissant place à l’humour ou traduisant une véritable angoisse.  » Le masque est un objet silencieux, mais il questionne l’identitéà Il dissimule et révèle en même temps. Une fois ôté, il est censé dévoiler le vrai moià « 

Bouclier avec le visage de Méduse, par Arnold Böcklin.

Papier mâché peint et doré, après 1887.

Moins codifiés que les portraits en buste, les masques laissent une grande liberté aux artistes. Ils illustrent notamment les questionnements mystiques ou philosophiques des symbolistes, hantés, notamment, par la figure de Méduse. Plutôt que de figurer le sang s’égouttant de la tête coupée de la Gorgone, le Suisse Böcklin (1827-1901) a préféré se concentrer sur son visage. Les yeux épouvantés, au strabisme imperceptible, sont particulièrement terribles.  » Méduse pétrifiait quiconque croisait son regard, rappelle Edouard Papet. Mais il se produit, ici, un glissement de signification. Elle semble pétrifiée à son tour, fascinée par un autre regard – celui de l’artiste ou du spectateur ? A moins qu’elle ne reste sidérée par sa propre décollationà « 

Corinthe, par Henry Cros.

Pâte de verre, 1892.

Corinthe remonte à la tradition des masques de théâtre antique, qui connaissent alors un regain d’intérêt. Pour le réaliser, Henry Cros (1840-1907) a utilisé de la pâte de verre, dont le grain grossier rappelle les objets archéologiques.  » Les masques, recherchés comme éléments décoratifs, ont permis d’expérimenter des matériaux plus novateurs, tels le grès, le papier mâché ou le cuir « , explique Edouard Papet. La mode des masques est donc déjà bien ancrée lorsque, dans les années1910, la France découvre ceux qui arrivent d’Afrique ou d’Océanie. Ces modèles primitifs accompagneront l’aventure de l’art moderne. Mais ça, c’est une autre histoire.

Masques. De Carpeaux à Picasso. Musée d’Orsay, Paris (VIIe). Jusqu’au 1er février.

Annick Colonna-Césari

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