Harrison, le hors-la-loi

Avec Une odyssée américaine,  » Big Jim « 

nous entraîne dans un road-movie

rugissant à travers un pays en proie

au capitalisme le plus effréné. Salutaire.

Reclus au fond des bois, dans son chalet du Montana, Jim Harrison a inventé une école littéraire où l’on apprend à désapprendre, sur des chemins buissonniers qui conduisent vers le Grand Ailleurs, dans les rugissements de la vie sauvage. Et, si les héros de  » Big Jim  » deviennent d’emblée nos confidents, c’est parce qu’ils sont les derniers braconniers de la liberté, des baroudeurs de l’absolu qui, en compagnie des mésanges et des grizzlis, tournent le dos à l’Amérique du fric et de l’esbroufe, un pays contre lequel l’auteur de Dalva ne cesse de décocher ses banderilles avec une fureur de matador.  » Aux Etats-Unis, fulminait-il à la veille de l’élection d’Obama, nous en sommes au point où chaque citoyen intelligent a été contraint de devenir le proctologue qui soigne l’anus putrescent du capitalisme effréné. Nous avons été violés par la classe de nos dirigeants, et toute la communauté financière a manifesté autant de sens moral qu’un cartel de la drogue mexicain. « 

C’est ce monde-là que vomit Cliff, le héros vagabond d’Une odyssée américaine. A 60 ans, ce rancher du Far West a décidé de changer de vie. Sa femme vient de le plaquer et s’est éclipsée avec un bellâtre, pour faire carrière dans l’immobilier. Sa chienne adorée est morte, et il a fini par vendre sa ferme du Michigan. Il ne lui reste que son break – une vieille Ford Taunus – son amour immodéré de la littérature et son incurable mélancolie.  » Ma dépendance précoce aux bouquins de Thoreau et d’Emerson m’a rendu beaucoup trop sensible à la brutalité du monde contemporain « , lâche Cliff, qui saute un matin dans sa voiture et met les voiles à bord de cette Rossinante avec, pour seul viatique, un vers d’un poète anglais dont il a oublié le nom :  » Etreins la joie qui s’envole. « 

Le voici sur la route, comme tous ces  » fils du vent  » qui, depuis Kerouac, ont dévoré le bitume du Nouveau Monde pour ne pas perdre leur âme. Au fil d’un road-movie taillé dans les grandes largeurs, Harrison raconte la cavale de Cliff à travers tout l’Ouest américain, de motels en campings, des ranchs du Nebraska aux plaines étincelantes du Montana, des réserves Blackfeet de l’Idaho aux paysages calcinés du Nouveau-Mexique.

Une Amérique dont il est le dernier des Mohicans

En quittant le bercail, Cliff a emporté un vieux puzzle écorné, dont les pièces représentent différents Etats de l’Amérique : à chaque frontière, il en balance une par la fenêtre de son break, comme pour se débarrasser de ce pays qu’il rêve de réconcilier avec son innocence originelle. Aussi a-t-il décidé de rebaptiser chaque Etat du nom d’une tribu indienne, afin de remonter jusqu’à la case départ, celle du paradis perdu.

Mais Cliff devra mettre ses chimères en veilleuse et se contenter, au détour de son odyssée, d’un butin plus trivial : la très experte Marybelle, une Circé nymphomane qui rallumera ses ardeurs – clin d’£il appuyé à Henry Miller – et qui affublera cet incorrigible anar d’un portable immonde qu’il ne tardera pas à jeter au fond des latrines, du côté de l’Arizonaà Cliff dénichera-t-il la Toison d’or dans un pays qui le dégoûte de plus en plus ? Retournera-t-il à Ithaque, vers ce Michigan où les promoteurs ont rasé sa ferme et ses souvenirs ? Réponse dans ce roman superbe, pétri avec la colère et la nostalgie d’un écrivain qui entend bien rester un outlaw, aux confins d’une Amérique dont il est le dernier des Mohicans. Sa fréquentation est une jouvence et, si éreintée soit-elle, sa vieille Ford Taunus ronfle encore joliment, sur les chemins où l’attendent d’autres  » clochards célestes « .

Une odyssée américaine, par Jim Harrison, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent. Flammarion, 320 p.

André Clavel

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