» Halte aux diktats du traitement « 

L’immunologue veut fédérer politiques, scientifiques et associations de patients à son credo : on peut traiter moins lourdement les patients séropositifs.

Médecin spécialisé en immunologie, clinicien du sida et chercheur, Jacques Leibowitch est le père de la trithérapie en France. Avec du recul, il se demande si l’on n’en fait pas un peu trop… Trop de traitements, trop lourds, alors que l’on pourrait réduire les quantités prescrites.

Le Vif/L’Express : Pourquoi vous opposez-vous aux choix thérapeutiques actuels ?

Jacques Leibowitch : Le traitement standard préconise une trithérapie sept jours sur sept. Ce schéma correspond à ce que j’appelle la dose d’attaque du virus, qui se justifie pour les six à douze premiers mois de traitement et pour réduire la charge virale au minimum. Mais fin des années 90, on s’est aperçu que lorsque le traitement était interrompu et que le patient avait une charge virale nulle, le virus ne refaisait pas son apparition avant sept jours. En 2000, des chercheurs du National Institute of Health ont tenté le traitement intermittent sur un petit groupe de patients : traitement classique pendant plusieurs mois, puis trithérapie classique pendant une semaine avec interruption la semaine suivante. Les patients prenaient donc la trithérapie une semaine sur deux, pendant un an, et ça a fonctionné ! Pourtant, plus aucune équipe n’a repris cette idée, excepté moi, dans le cadre de mon projet ICCARRE [pour intermittents, en cycles courts, les anti rétroviraux restent efficaces], dès 2003. C’est ce qui explique le peu d’études que l’on peut retrouver dans la littérature scientifique.

Que disent ces études ?

Certaines ont montré l’efficacité d’un traitement administré cinq jours par semaine au lieu de sept. Je suis actuellement 92 patients qui reçoivent, dans des conditions bien définies, leur traitement seulement quatre jours. On a donc réduit la dose hebdomadaire de 40 %. Certains prennent le traitement deux fois par semaine. Et tout cela, sans aucun problème. Déontologiquement, je devais le faire : j’ai le devoir de prescrire à mes patients le traitement nécessaire, adéquat et justifié, sans surmédicaliser ! Le principe des médecins est  » primum non nocere  » : d’abord ne pas nuire. Or, administrer de hautes doses de médicaments durant toute la vie, sans se poser de question, c’est passer outre ce principe. Je ne préconise pas le traitement intermittent aux 30 millions de patients séropositifs, mais il serait utile de se poser la question de l’intérêt d’alléger les prises de médicaments… Et de changer les mentalités des décideurs scientifiques, des experts, de ceux qui imposent le traitement sept jours sur sept. Peut-être faudra- t-il attendre la prochaine génération de médecins. Et même attendre qu’ils soient prêts à revoir leurs théories sur les causes du sida.

Vous contestez l’hypothèse des dommages immunitaires qui seraient à l’origine de la maladie ?

Oui ! C’est cette vision erronée de la maladie qui est à l’origine de la surmédicalisation ! Selon moi, il est vain de s’obstiner à atteindre un taux correct de CD4, les cellules immunitaires qui vont lutter contre le virus : plus leur nombre est élevé, mieux on serait protégé, donc on traite les patients tant qu’ils n’ont pas un taux supérieur à 500. Mais comment expliquer que certains de mes patients présentent un taux de CD4 bas et sont en pleine forme ? Vouloir leur faire atteindre à tout prix, par un traitement très lourd, le taux de 500 est irréaliste et surtout sans fondement !

L’intégralité de l’entretien sur www.levif.be

Carine Maillard

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