Haïssable délation…

La délation suscite la réprobation. Pourquoi ? Maroussia Cohen, Bruxelles

Délation, dénonciation et témoignage ont en commun l’idée de faire connaître à un tiers une action cachée ou, à tout le moins, inconnue. Si les deux premiers termes, le premier surtout, ont mauvaise presse, le dernier – le témoignage – a une connotation positive. Ces trois mots, certes, expriment la volonté de faire apparaître la vérité, mais les motivations de leurs auteurs sont très différentes et très diversement appréciées. Le premier est aux yeux de tous synonyme de lâcheté, de volonté de nuire, celle-ci étant souvent accompagnée de la volupté qui s’y attache. Entre délation et dénonciation, la nuance est faible : cette dernière, tout au plus, paraît posséder un caractère moins anonyme. On peut imaginer des circonstances où il faut en prendre son parti, compte tenu des enjeux : sauver des vies, empêcher une injustice flagrante ou se protéger contre les représailles. Dans ce cas, spontanément, on parle plus volontiers de dénonciation, voire de témoignage. Incontestablement, le terme de délation est intrinsèquement négatif. Pourquoi ?

Vivre en société suppose un certain nombre de règles qui permettent à cette cohabitation forcée et nécessaire d’être supportable. La première règle est sans doute celle qui consiste à faire coexister deux sphères, une publique et l’autre privée. Entre les deux, il n’y a pas de cloison étanche. L’espace public empiète souvent sur le privé. Et inversement. Notre déambulation dans le domaine public n’enlève rien à l’aspect privé de la plupart de nos démarches. Autrement dit, nous estimons qu’il est de notre droit d’en être seul juge. Concrètement, si je suis marié(e) et que j’ai une liaison, j’estime que cela ne regarde que moi. Si je triche en remplissant ma feuille d’impôts, il incombe aux agents du fisc de mettre au jour par eux-mêmes mes dissimulations… et pas à mon voisin. Ce sentiment est généralement accepté. Il conditionne la vie commune, à l’instar de la politesse, qui met comme une huile parfumée dans nos entremêlements. Il participe de ce savoir-vivre que chacun, à des degrés divers, estime indispensable aux relations sociales. La délation devient alors transgression. Elle saccage ma vie privée. A ce sentiment s’ajoutent le dégoût et la crainte d’être surpris dans mon intimité par un voyeur importun et dangereux. Voilà pourquoi, chacun pouvant être victime de cette violation de son intimité, la délation apparaît comme haïssable. Quant aux motifs qui y poussent, laissons psychologues, sociologues et moralistes le soin d’en démêler l’écheveau.

Jean Nousse

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