Grande fraude et petits maillons

Au Parlement, une avocate de l’Etat jette ce pavé : des avocats fiscalistes alimenteraient  » une idéologie niant la fraude « . Et il y aurait  » collusion  » avec des magistrats.

Plus une mouche ne volait dans la salle internationale de la Chambre, le lundi 16 mars, quand une avocate répondant au nom de Bourmanne, Martine, jurant de dire  » toute la vérité et rien que la vérité « , a dénoncé des carences dans la lutte contre la criminalité en col blanc.  » C’est un danger pour notre démocratie !  » selon la dame en rouge, découpant chaque syllabe. L’avocate Martine Bourmanne défend l’Etat belge depuis dix ans dans l’affaire dite des  » sociétés de liquidités  » (en anglais : cash companies). Une des hémorragies fiscales les plus sévères de l’histoire récente, ayant permis à de grandes sociétés ou à de petits entrepreneurs d’échapper à des montants d’impôts colossaux. De quoi s’agit-il, en deux mots : des entreprises actives sont transformées en sociétés bidon, gonflées de liquidités ; de quoi  » nettoyer  » de la base imposable à une très large échelle. Selon Martine Bourmanne,  » cette affaire est devenue le cheval de bataille de penseurs pour qui ces mécanismes de fraude, grave et organisée, relèvent tout au plus de la recherche de la voie la moins imposée « .

 » Une nouvelle forme de pensée unique « 

L’avocate de l’Etat était auditionnée par une commission d’enquête parlementaire chargée d’analyser les échecs de la lutte antifraude.  » Moi, je dénonce une nouvelle forme de pensée unique. Lors de colloques pour professionnels du droit fiscal, j’observe la collusion tacite entre des avocats et des magistrats. Un consensus émerge entre eux : tout cela ne serait pas de la fraude, simplement de l’ingénierie fiscale.  » Et Martine Bourmanne d’insister :  » Des cabinets d’avocats fiscalistes monopolisent la doctrine.  » Qui ? Motus, sauf à huis clos.  » J’ai entendu un de ces ténors affirmer devant un parterre de 200 personnes qu’il n’y avait pas de fraude fiscale en Belgique. « Ils » défendent face à l’Etat ces montages complexes. Et les mêmes, professeurs d’université, dispensent à leurs étudiants une théorie niant l’existence de toute fraude. A leurs moments perdus, ils donnent aussi des cours à des magistrats, écrivent dans des revues spécialisées ou nourrissent des pourvois en cassation. « 

Comment équilibrer les échanges ?, interrogent alors plusieurs parlementaires. Réponse amère :  » Je me sens fort seule, dixit l’avocate de l’Etat, et, au parquet financier de Bruxelles, on m’a avoué qu’on classait parfois sans suite, uniquement par manque de temps. La partie adverse s’en sert, bien entendu…  » Les filières de sociétés de liquidités sont encore vivaces, affirme pour sa part le fonctionnaire Alain Moreau, ancien secrétaire du Comité antifraude (CAF).  » J’invite la justice à davantage s’impliquer dans la répression de la grande fraude, embraie Martine Bourmanne. Les magistrats rechignent à mettre en cause les banques, par exemple. « 

Nouvel émoi des parlementaires, pourtant habitués, ces dernières semaines, à entendre pareils discours. Lundi prochain, la commission d’enquête auditionnera des banquiers appelés à se justifier suite à cette étonnante incitation à la fraude recueillie, caméra cachée, par une journaliste de l’émission Questions à la Une, sur la RTBF. On y voit le cadre d’une banque luxembourgeoise, liée à une institution belge récemment soutenue par l’Etat, déployer un arsenal complet pour aider le chaland fortuné. La condition : disposer d’un magot important et accepter le transit par une société off shore logée à Panama et gérée par la banque en question. Dernière astuce pour tromper le fisc : une carte bancaire totalement anonyme permettant de retirer de l’argent en Belgique, sans lien avec les comptes qui l’alimentent.

Philippe Engels

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