Graines de délinquants

Troubles du comportement et violence chez les enfants sont-ils innés ou acquis ? Les scientifiques accumulent les études. Elles montrent le rôle joué par l’hérédité, mais aussi le poids déterminant du milieu social et familial.

Après avoir analysé l’ADN d’un millier d’adolescents, des généticiens de l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill, ont identifié une variante d’un gène baptisé MAO-A (mono-amine-oxydase A), très fréquente chez des enfants en échec scolaire ou catalogués difficiles. Le gène en question influe sur le fonctionnement de neurotransmetteurs (molécules véhiculant les messages chimiques dans le cerveau). Ceux qui en sont porteurs ont un taux de redoublement beaucoup plus élevé et sont souvent impliqués dans des actes de violence ou d’incivilité. Mais cette hérédité ne se traduit pas toujours de la même façon. Les chercheurs ont été intrigués par une bizarrerie statistique : certains enfants MAO-A ne semblent pas avoir de problème de comportementà lorsqu’ils partagent au moins un repas par jour avec leurs deux parents. Autrement dit, lorsqu’ils sont élevés dans des familles structurées.

Cette découverte déroutante est confirmée par une étude similaire, réalisée par un professeur de criminologie de l’université de Floride, Kevin Beaver, sur 1 816 garçons âgés de 12 à 18 ans. Elle met en évidence la prévalence d’un autre gène, baptisé DAT 1, lui aussi impliqué dans le fonctionnement d’un neuromédiateur, la sérotonine, chez les jeunes catalogués comme antisociaux. Le marqueur génétique est, là encore, surreprésenté chez les enfants des milieux défavorisés (parents séparés, mère absente, problèmes financiers ou de logement). Et, là encore, on trouve des porteurs  » asymptomatiques  » du gène dans les familles plus aisées ou dont les parents s’investissent davantage. Comme si l’éducation compensait ou annulait le handicap de l’hérédité.  » Le milieu social et familial peut exacerber un composant héréditaire ou, au contraire, l’atténuer, explique Beaver. Il est possible qu’un stress constant déclenche l’activité du gène. « 

Un taux de cortisol plus bas quand on vit dans l’insécurité

Le vieux débat sur l’inné et l’acquis se complique au fur et à mesure que les biologistes avancent dans la compréhension des rapports entre l’hérédité et l’environnement. Depuis le décryptage du génome humain en 2001, on sait que certains gènes restent silencieux et ne s’activent que dans certaines conditions, à la suite d’un changement de régime alimentaire ou d’un événement traumatisant. La revue Child Development vient ainsi de publier une grande étude, lancée par l’Institut américain de la santé, qui fournit un exemple édifiant de cette interaction. Portant sur 1 000 enfants régulièrement soumis entre la naissance et l’âge de 17 ans à des batteries de tests médicaux et psychologiques, elle montre que ceux qui, dans les trois premières années de leur vie, ont vécu dans un environnement insécurisant (pauvreté, disputes entre les parents, difficultés financières ou familiales), présentent à l’adolescence un niveau anormalement bas de cortisol, une hormone impliquée dans les réactions au stress, signe d’un état d’angoisse chronique.

Cette modification biologique n’est pas anodine. Gary Evans, un professeur de sociologie de l’université Cornell, à New York, a découvert une diminution des capacités cognitives chez les enfants à faible taux de cortisol : ce déséquilibre hormonal semble entraîner notamment une détérioration de la mémoire à court terme, c’est-à-dire la capacité à retenir de nouvelles informations. Ce qui permettrait d’expliquer pourquoi les élèves de milieux défavorisés réussissent moins bien à l’école et, plus tard, dans leur vie professionnelle, comparés à ceux de familles de la classe moyenne : ils sont handicapés non par l’hérédité, mais par leur milieu. Le stress chronique pourrait également être un facteur déclencheur de l’obésité, selon une chercheuse de l’université d’Etat de l’Iowa, Brenda Lohman, qui a trouvé une corrélation entre le niveau de cortisol et le surpoids chez des adolescentes de 10 à 15 ans.

Le stress détériore la mémoire des ados

Des expériences menées sur des animaux montrent justement l’importance des soins maternels dans le fonctionnement des gènes qui contrôlent la réponse au stress. Des biologistes israéliens de l’université de Haïfa ont montré que des rates soumises à des activités stressantes au tout début de leur grossesse engendrent des petits qui manifestent de l’anxiété et se tiennent en retrait du groupe, surtout les femelles.  » Nous commençons à peine à comprendre les conséquences biologiques des sévices psychologiques « , souligne Gustavo Turecki, un des auteurs de l’expérience. Un bémol cependant : une autre étude publiée en avril dans Biological Psychiatry et réalisée cette fois sur des singes par des chercheurs de l’université de Californie à Davis, conclut à un résultat légèrement différent. Des jeunes primates isolés avec leur mère sont plus agressifs ou plus anxieux que ceux qui batifolent avec leurs congénères dans de grandes cages. Ce serait non pas l’absence de soins parentaux, mais celle de relations sociales qui compromettrait la santé mentale de l’adoà

Si le destin n’est pas forcément inscrit sur l’ADN, la génétique joue cependant un rôle non négligeable dans les comportements à risques liés à l’alcool et à la toxicomanie. Le Dr Shirley Hill, professeur de psychiatrie à l’université de Pittsburgh (Pennsylvanie), a passé au scanner les cerveaux d’adolescents et d’adultes ayant, eux-mêmes ou leurs parents proches, des problèmes de dépendance à l’alcool. Elle a remarqué chez eux une différence de taille dans une région du cortex orbitofrontal droit, qui régule les émotions et l’impulsivité. Elle soutient que cette anomalie est d’origine héréditaire, et désigne comme responsables deux gènes, 5-HTT et BDNF, qui commandent la fabrication de la matière blanche (substance qui lie les neurones entre eux). D’autres scientifiques associent ces gènes à l’impulsivité. Nicholas Grahame, chercheur à l’université Purdue (Indiana), a mis au point une variété de souris sélectionnée pour son goût immodéré de l’alcool : sa prédisposition naturelle à l’éthylisme s’accompagne invariablement d’un comportement explosif et d’une plus grande nervosité. Des pédopsychiatres de l’université de Montréal affirment, eux, que les enfants repérés comme impulsifs à la maternelle ont plus souvent tendance à se droguer à l’adolescence et à connaître des problèmes d’alcoolisme ou d’addiction au jeu.

Entre la poule et l’£uf, il apparaît aujourd’hui de plus en plus illusoire d’attribuer l’origine de la violence au seul ADN, ou au seul environnement. Mais les tenants de l’inné, qui ne jurent que par l’hérédité, sont largement désavoués par les faits : le milieu social, la famille et les conditions de vie constituent des facteurs de prédisposition à la violence beaucoup plus importants qu’on ne le pensait jusque-là. C’est souvent tout simplement la précarité, et non pas l’hérédité, qui l’engendre. Des chercheurs de l’université de Cincinnati (Ohio) en donnent un exemple presque caricatural : ils ont mis en évidence une corrélation entre l’intoxication par le plomb contenu dans les peintures des foyers insalubres et la violence sociale. Les bébés dont le taux de ce métal dans le sang était anormalement élevé à la naissance ou juste après sont plus nombreux à avoir affaire à la police ou à la justice une fois arrivés à l’âge adulte. Curieuse association entre la pauvreté, le handicap mental (on sait que le saturnisme, l’intoxication au plomb, diminue les capacités cognitives) et la délinquanceà

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gilbert charles

la génétique joue un rôle non négligeable dans les comportements à risques liés à l’alcool

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