Good Morning, Nigeria

Marianne Payot Journaliste

La Londonienne Noo Saro-Wiwa se réconciliera-t-elle avec le pays de son père, Ken, exécuté en 1995 ? Réponse dans son captivant journal de voyage.

La dernière fois que Noo était retournée dans son pays, c’était en 2005, pour déterrer les os de son père, dont le cadavre avait été balancé, dix ans plus tôt, dans une fosse, près de Port Harcourt, au terme d’un procès inique. L’exécution par pendaison de l’écrivain et militant écologiste Ken Saro-Wiwa et de huit de ses camarades avait valu au régime du dictateur nigérian, Sani Abacha, de subir l’opprobre de toutes les associations des droits de l’homme et d’être mis au ban du Commonwealth.

Avant ce bref séjour  » mortifère « , Noo avait passé quelques étés dans son Nigeria natal (qualifié par elle-même de  » goulag tropical « ). Sans grand enthousiasme, comme on le voit, tant les coutumes, la chaleur et l’inconfort de ces road-trips familiaux tranchaient avec le bien-être de sa vie de jeune British – son père avait envoyé très tôt toute sa famille dans le Surrey pour lui assurer une bonne éducation. Autant dire que, lorsque, il y a cinq, six ans, elle se décide à remettre les pieds dans son pays, la globe-trotteuse londonienne, 31 ans à l’époque, auteur de guides pour Lonely Planet, n’en mène pas large, entre espoir et appréhension :  » Alors seulement, avec un peu de chance, je pourrais en avoir moins peur, peut-être l’aimer, et l’envisager comme un « chez-moi » potentiel « , écrit-elle dans les premières pages de son formidable journal de voyage, Transwonderland. Retour au Nigeria, le savoureux récit, rayonnant d’humour et d’intelligence, de ses quatre mois de tribulations africaines.

Dès la première scène, à l’aéroport, le charme agit. Mi-exilée, mi-touriste, Noo a trouvé le ton, le juste regard pour dire ce peuple de  » chahuteurs  » et ce pays anarchique et baroque. C’est chez une amie de sa mère, Tata Janice, à Satellite Town, banlieue de Lagos la tentaculaire (une quinzaine de millions d’habitants, à la louche), qu’elle pose son sac. Pas d’eau, peu d’électricité (dans un pays producteur de pétrole depuis la fin des années 1950 !) dans la maison délabrée, pourtant Noo hésite à s’extirper du sofa du salon qui lui fait office de lit. Elle finit par se lancer, effrayée, dans le maelström de la cité, rongée par la corruption des politiques, les embouteillages dantesques, le racket des policiers, les palabres tumultueuses de ses habitants et les vociférations des prêcheurs de tout poil. Seul conseil de Tata Janice : rentrer avant la nuit, paradis des voleurs.  » Je pris conscience que si je voulais survivre, il me fallait vite trouver la paix en moi…  » note la rescapée des taxis danfos (minibus), et okadas (motos)… Après trois semaines de Lagos, la voilà de plus en plus à l’aise, à l’instar des Lagotiens, au  » tempérament en acier trempé  » et dotés d’une belle croyance en soi. Et en Dieu. Un Dieu bricolé, de pentecôtisme charismatique, florissant ici depuis les années 1980, et de religions traditionnelles.

La corruption,  » cette pourritude  »

Il est temps de prendre la route. A trois heures au nord de Lagos ( » ne serait-elle pas finalement une métropole futuriste, un avant-goût de la planète ?  » se demande Noo), Ibadan, où son père a étudié et où tournent, fatigués, quelques manèges du parc d’attractions de Transwonderland ; puis vient Abuja, la porte du Nord islamique, la nouvelle capitale, propre et ennuyeuse, où vit son frère aîné,  » Junior « . Des centaines de kilomètres plus loin, après la visite, en vraie touriste sudiste, des contrées musulmanes, Noo achève son périple chez ses ancêtres Ogoni, à Port Harcourt. Une ville-jardin devenue métropole sans attrait, port d’un pétrole synonyme de destruction pour le peuple du Delta. Et c’est réconciliée avec son pays, mais toujours en colère contre la corruption ( » une pourriture qu’avait combattue mon père et qui fut cause de sa mort « ), que la fille de Ken s’envole vers son exil doré.

Transwonderland. Retour au Nigeria, par Noo Saro-Wiwa, trad. de l’anglais par Françoise Pertat. Hoëbeke, 288 p.

Marianne Payot

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