Gérard de Villiers – Claude Lanzmann

Tout sépare l’auteur des SAS et le réalisateur de Shoah, qui se connaissent depuis plus de trente ans. Mais cette complicité résiste à leurs différences. Ainsi vont ces écrivains, artistes, célébrités dont Le Vif/L’Express raconte, cet été, les liens inattendus.

C’est peu de dire qu’on ne les imaginait pas si proches, ces deux-là ! D’un côté, Claude Lanzmann, 83 ans, juif, résistant de la première heure, très proche de Sartre et Beauvoir, directeur de leur revue Les Temps modernes depuis 1986, réalisateur du film événement Shoah, journaliste et cinéaste engagé. De l’autre, Gérard de Villiers, 79 ans, aristo frondeur, résolument à droite, auteur des SAS, romans d’espionnage hyperréalistes conjuguant barbouzeries et parties fines, self-made-man avisé et fortuné.

Le premier a milité contre le nazisme, le colonialisme et la peine de mort, pour le FLN algérien, et prit la défense d’Israël, assumant une aura d’intellectuel exigeant et des manières bourrues. Le second a été officier pendant la guerre d’Algérie, grand reporter des cours royales et des sales coups, toujours très introduit dans le monde du renseignement, et cultive une réputation sulfureuse ; il porte beau et fréquente la jet-set. L’un figure au Who’s Who, l’autre au Bottin mondain. Tous deux sont des grandes gueules et des têtes brûlées qui aiment la vie et les femmes. Voilà peut-être le secret de l’amitié singulière qu’ils entretiennent depuis plus de trente ans.

 » Nous faisons partie de cette génération qui ira au cimetière à pied ! Claude est une force de la nature, même s’il s’est tapé une greffe de l’aorte. C’est un teigneux, dans le bon sens du terme, un battant « , confie Gérard de Villiers, prompt à nous convier dans son vaste appartement de l’avenue Foch. Après avoir annulé deux rendez-vous, Claude Lanzmann consent à nous recevoir également chez lui, à Paris, vers Denfert-Rochereau :  » Contrairement à beaucoup, je n’ai pas honte d’être son ami. Mais c’est compliqué de parler de lui : je ne le prends pas toujours au sérieux. « 

Dans Le Lièvre de Patagonie, ses Mémoires récemment parus – qui font un tabac en librairie – l’écrivain ne mentionne pas une seule fois son vieux compèreà  » Ce n’était pas le propos, il y a plein d’autres gens dont je ne parle pas non plus. J’ai connu Gérard de Villiers à France Dimanche dans les années 1950. Je travaillais au service rewriting du journal et je récrivais ses articles. Gérard était un formidable reporter, mais, comme les autres journalistes, il ne savait pas écrire. Il a appris depuis, et je peux vous assurer qu’il est l’unique auteur de ses livres.  » Soit autant de best-sellers : 200 000 exemplaires vendus au bas mot pour chaque épisode des aventures de Son Altesse Sérénissime le prince-espion Malko Linge, que Gérard de Villiers publie sans relâche quatre fois par an depuis 1965, aux éditions qui portent son nom.

De prétendus romans de gare boudés par la critique, celle-là même qui a encensé Le Lièvre de Patagonieà Ce qui n’empêche nullement Claude Lanzmann, ancien élève de khâgne au lycée Louis-le-Grand, d’en pincer pour les SAS :  » Je n’en rate pas un ! J’achète chaque nouveau titre chez mon kiosquier, je le lis en une nuit, et j’appelle Gérard le lendemain pour lui dire ce que j’en pense. Le dernier est plein de coquilles, c’est une honte ! Evidemment, certains sont meilleurs que d’autres, et puis les histoires de sexe sont très bien, il y a un vrai suspense. « 

Tout de même, ce prince Malko Linge n’est pas ce qu’il y a de plus fréquentableà L’admirateur de Frantz Fanon, illustre pourfendeur du colonialisme, en convient :  » Au début, Malko était vraiment repoussant, fasciste, raciste, sexiste. Il faut croire qu’il y a de cela chez Gérard de Villiers. Mais aussi chez tous ceux qui le lisent, moi comprisà Heureusement, le personnage a changé. Comme son auteur, il s’est humanisé.  » Est-il si loin, le temps où le fils de Valentine Boularan de Combajoux et de Jacques Adam de Villiers déclarait, dans une interview à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute, en 1991, qu’il voyait d' » excellentes choses dans le Front national  » ? Claude Lanzmann hausse les épaules :  » Gérard profère des choses scandaleuses, il aime bien choquer, c’est un provocateur. Mais je suis capable de le provoquer aussi ! « 

Pour preuve, ces échanges de gracieusetés. Claude à Gérard :  » Tu es une crapule nazie !  » Gérard à Claude :  » Tu es le seul homme dont Hitler a fait la fortune, grâce à Shoah !  » Tels deux grands comédiens qui s’affrontentà Pour mieux rendre les armes et se lancer des fleurs : Claude admire le chef d’entreprise parti de rien et qui a fait de sa maison d’édition une  » affaire florissante « , Gérard ne tarit pas d’éloges sur  » l’intellectuel dans le meilleur sens du terme, qui n’écrit pas du jus de crâne « . Pour autant, aucun complexe d’infériorité chez l’auteur de polars virils :  » Moi, j’écris des contes de fées pour adultes, comme disait Marcel Jullian. « 

Se qualifiant de  » viscéralement anticommuniste « , Gérard de Villiers assure qu’il n’a jamais eu le moindre accrochage politique avec son ami.  » Juif, résistant, intellectuel, il était obligé d’être communiste. Mais je suis sûr qu’il ne l’est plus depuis belle lurette !  » En fait, leur amitié a mis un certain temps à trouver ses marques, comme le précise Lanzmann.  » A l’époque de France Dimanche, nous n’étions pas encore amis. On jouait juste aux cartes ensemble, au gin-rummy, au poker, Gérard est très fort. On est restés longtemps sans se voir, il était plus proche de mon frère Jacques. Mais il a repris contact avec moi au moment de la sortie de Shoahà quand il a vu que j’accédais à la gloire ! « 

Aujourd’hui, les deux hommes se retrouvent surtout lors des dîners que Gérard de Villiers organise avenue Foch, avec sa compagne Sylvie.  » C’est marrant, il y a plein de types de la DST, des juges, des anciens flics « , sourit Lanzmann. Le dernier raout en date réunissait un collaborateur d’Eric Woerth, le journaliste Yves Thréard, éditorialiste au Figaro, l’avocat Eric Morin, Yvan Barbot, ancien ponte d’Interpol. Et surtout Mariana, très belle Russe, veuve, qui n’a pas laissé Claude Lanzmann insensibleà  » On se voit rarement à d’autres occasions, sauf quand Gérard m’invite très généreusement dans sa maison de Saint-Tropez.  » Ah, Saint-Trop’ !  » Claude est comme un gosse : dès 9 heures, il plonge dans la piscine et nage un bon moment. Ensuite, il va en ville acheter tout ce qu’il aime : il est gourmand comme une chatte !  » Mais pas facile à gérer :  » Il ne sait jamais ce qu’il va faire vingt-quatre heures à l’avance. Claude est imprévisible, comme les requins. « 

Tellement imprévisible qu’il peut aussi se mettre à déclamer de la poésie à tout bout de champ.  » A Saint-Tropez, l’été dernier, j’avais invité quelques amis, pas vraiment des intellos, Massimo Gargia par exemple. Et voilà Claude qui se met à réciter La Chanson de Roland. Il a scotché tout le monde !  » raconte le créateur de Malko, dont le bureau informel, tendance capharnaüm, est orné d’armes à feu et d’affiches de femmes en petite tenueà

On est loin du bureau de Claude Lanzmann, avec ses murs couverts de livres. Mais son ego est pareillement à la fête, avec nombre de photos le montrant sous toutes les coutures, à tous les âges ; avec également toutes ces décorations que des institutions juives lui ont décernées, notamment pour ses films, de Shoah à Sobibor en passant par Tsahal, documentaire controversé qui, selon certains, ferait l’apologie de l’armée israélienneà  » Claude regarde Israël avec les yeux de Chimène, mais c’est le seul sujet sur lequel nous divergeons, estime Gérard de Villiers. N’étant pas juif, je ne peux pas ressentir comme lui. A part ça, en politique, nous avons les mêmes analyses sur beaucoup de choses.  » Claude Lanzmann rectifie le tir :  » On ne parle pas vraiment politique tous les deux. D’ailleurs, on parle peu. Gérard est un homme taciturne. Il est pudique à sa manière.  » Ce dernier renvoie la balle :  » Claude s’intéresse surtout à lui, mais il a conscience de son narcissisme, il est très malin. Il ne craint pas de déplaire. Au fond, nous sommes tous les deux de grands solitaires.  » Un ange passe, comme l’écrit si souvent Gérard de Villiers. Assurément, l’amitié entre Claude Lanzmann et Gérard de Villiers relève autant du choc des cultures que du choc des titansà l

delphine peras

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