GENèSE D’UNE CRISE DANS UNE TASSE DE CAFé

Comment en est-on arrivé là ? L’analyse d’Yves Delacollette

 » Des courtiers américains ont accordé des crédits à ceux qu’ils nommaient les « Ninjas » (« No income, no job, no asset » : sans salaire, sans emploi, sans patrimoine). Bref, des personnes non solvables. Ils pensaient que leur insolvabilité n’était pas un problème, puisque l’immobilier augmentait, que les taux étaient bas, qu’il y avait beaucoup de liquidités dans l’économie. En cas de défaillance d’un « ninja », la revente de son bien lui permettait de rembourser. De leur côté, les banquiers n’avaient pas laissé ces prêts hypothécaires dans leurs bilans, mais les avaient transférés dans des véhicules (ce qu’on appelle la titrisation) et incorporés dans des packages. Des montages d’une complication telle que le financier Warren Buffett, deuxième fortune mondiale après Bill Gates, avouait lui-même n’y rien comprendre.

Des banquiers disposant d’excès de liquidités ont choisi des solutions de facilité : investir dans ces véhicules financiers – d’autant qu’ils étaient bien cotés par les agences de notation, payées par l’industrie financière. Du coup, ils étaient considérés comme très rentables et sans risque. Et c’était tellement moins fatigant que d’accorder, par exemple, des crédits à des entreprises. Car, dans ce cas, il fallait se renseigner sur la situation de ces entreprises. Bref, la véritable activité des banquiers était négligée au profit de ce système, qu’on appelle  » faire du levier « .

Les banques se vendaient ces produits les unes aux autres. C’était le début de l’engrenage de la confiance moutonnière. L’immobilier a commencé à baisser et les taux à augmenter. La plupart des emprunts étaient souscrits à des taux variables, ce qui fait que les emprunteurs ont vite été pris à la gorge. Mais la petite dose de crédits malsains avait été insérée un peu partout dans le système financier, elle ne pouvait plus être retirée. C’est comme une goutte de lait dans le café, elle se dilue et vous ne pouvez plus l’ôter. Si le lait était tourné, toute la tasse peut être à jeter.

Les banques ne connaissaient pas le degré de toxicité de leurs actifs. Quand la situation s’est dégradée, ces véhicules ont inspiré la défiance, plus personne n’a voulu en acheter, donc leur valeur a dégringolé. Or les normes comptables – établies avec des intentions louables de rigueur à la suite des scandales Enron, WorldCom, Parmalat, notamment – imposent la transparence sur la valeur des actifs. Ces normes stipulent que les actifs doivent être comptabilisés à leur valeur sur le marché boursier. Quand les véhicules se sont dépréciés, les bilans des banques se sont donc dégradés. Freddy Bouckaert, membre du directoire d’AXA, disait que quand les emprunts d’une banque représentent 30 fois ses fonds propres, il suffit d’une dépréciation de 3,5 % de son bilan pour qu’elle n’ait, de facto, plus de fonds propres. Une baisse de 5 % impose une recapitalisation. Et on en est là, dans un enchaînement : réévaluation du bilan, dépréciation, recapitalisation. « 

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